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Lundi matin, 8h17. Elle a deux minutes de retard sur son horaire habituel. Habituellement, elle commence sa douche à 8h15. Ça ne va pas du tout. Deux minutes dans une journée, c’est particulièrement important. Pourtant, elle sait qu’elle ne parviendra pas à tenir son horaire correctement en ce début de semaine, ne serait-ce que pour retrouver les lieux et se rendre d’un point a à un point b. Elle est certaine de rater l’heure de son petit-déjeuner, à 8h30, parce que la table en bois est trop loin du lac, et elle est déjà en retard. Il faut simplement qu’elle réduise celui-ci au possible. Alors Mylah presse le pas, sachant pertinemment où se diriger pour se rafraîchir, à défaut d’avoir de véritable douche. Elle a organisé sa semaine et elle compte bien se tenir au planning. Elle a dessiné le plan dans un coin du campement à l’aide d’une pierre. Il est probable que le plan ait été effacé par des pas depuis, mais elle le refera chaque matin à 8h09 si cela est nécessaire. Elle s’en souvient suffisamment bien ne pas perdre ses repères jusqu’en fin de semaine. Finalement, elle arrive au lac à 8h21. Elle sait l’heure parce qu’elle compte ses pas, chaque dizaine de pas équivalent à 13 secondes. Et quand elle ne marche pas, elle fonctionne en rythme de ses paroles, de ses gestes, qu’elle maitrise à la perfection et qui sont synchronisés depuis qu’elle est gosse, pour ne pas être trop rapides ou trop lents. Elle a d’autres petites techniques, comme tout simplement compter les secondes ou se fier à la position du soleil si vraiment elle ne sait plus. Ça l’aiguille, un peu. Pas sûre qu’elle soit totalement juste, cependant, mais elle préfère penser que c’est le cas. Elle est satisfaite de ne pas être totalement perdue, même sans montre, ce serait une horreur que ne pas pouvoir maitriser son planning. Déjà que celui-ci est obligé d’être assoupli compte tenu de la situation et que cela lui déplait fortement. Ce qui lui déplait également, c’est la couleur des eaux du lac quand elle arrive devant celui-ci. Vert. Pas un joli vert, un vert d’eau qui donne envie de s’échapper, mais un vert usé, comme pollué. Elle pose sa main sur sa bouche écarquillée, quelque peu choquée. « Quelle horreur. » Elle murmure, tandis qu’elle prend rapidement appui sur l’un des cailloux à ses côtés quand l’eau s’avance un peu trop d’elle. Elle n’a pas confiance. Pas du tout même. Quelqu’un s’approche à sa droite, et Mylah ne relève pas les yeux, trop occupée à s’assurer que l’eau mutante ne s’approche pas trop de sa fragile peau, tandis qu’elle se décide tout de même à entamer la conversation, si l’on peut appeler cela ainsi. « Je n’ai pas l’impression que cette eau ait été traitée correctement. » Elle débute, perchée sur son caillou, légèrement cambrée en avant, la tête penchée et les sourcils froncés. Elle examine cette eau de son perchoir, sceptique. Elle a beaucoup voyagé en cours de sa maigre existence, Mylah, elle connait les eaux des plus belles plages et elles ne sont pas comparables à celles-ci. Non pas parce qu’il s’agit là de la gamme de paysage inférieure à ceux qu’elle connait, mais parce que celles-ci ne semblent pas juste posséder une couleur originale, mais aussi une qualité d’eau très inférieure à ce qu’elle connait. Elle peut le dire, c’est sale. Ou du moins, ça a l’air. Mais comme, dans son esprit, Mylah a rarement tort, elle décrète que ses eaux sont sales. La production aurait pu faire un effort. Ils décident de faire une surprise à chaque participant en changeant le programme habituel du prime, puis de les forcer à vivre à l’extérieur durant toute une semaine, voilà qu’ils n’ont pas même pris soin de traiter les eaux dans lesquelles ils sont supposés faire leur toilette ? C’en est trop pour Mylah, qui se laisse retomber sur le caillou, tirant ses jambes vers elle afin qu’elles n’entrent pas en contact avec l’eau. « Tout va de travers, rien n’est organisé correctement, ce n’est pas vivable. » Elle soupire, plus pour elle-même que pour la jeune femme à ses côtés. « Pas vivable, pas vivable, pas vivable. » Elle répète, comme à son habitude, quand elle est agacée. Elle préfère finalement détourner le regard, la vision de cette eau teintée de vert lui provoquant des frissons, pour porter son attention sur la femme à ses côtés. Elle a de beaux cheveux. Ils sont merveilleux. Pas une mèche plus foncée que l’autre, une parfaite harmonie dans la couleur. C’est magnifique, à tel point que Mylah en est fascinée, quitte à oublier ses bonnes manières et à cesser de scruter sa camarade comme si celle-ci avait une tâche en plein milieu du visage. À vrai dire, elle s’apparente plus à une œuvre d’art.

Je ne saurais vraiment dire si je suis tombée du lit ou si je n'ai pas dormi. Déjà que mon sommeil est très agité d'ordinaire, inlassablement parsemé de cauchemars, le confort plus que sommaire de mon sac de couchage n'a rien arrangé. Plutôt que de tenter de me rendormir, je décide de mettre à profit ces quelques minutes de répit alors que tout le monde dort. Si j'ai tout compris hier, la douche, si je peux l'appeler ainsi, se prend dans le lac. Autrement dit, à la vue de tous. Horrifiant. Heureusement, ils nous ont autorisés à prendre un maillot de bains avec nous, pour éviter la nudité totale. Dans la tente exiguë, je parviens à enfiler mon maillot sans réveiller Imma et à me rhabiller par dessus ensuite. Je dois avouer que l'eau verdâtre du lac ne m'inspire que très peu, seulement, après quelques secondes de réflexion, je me dis qu'ils ne nous auraient pas indiqué de nous baigner ici si ce n'était pas sûr pour notre santé et notre hygiène. Après avoir regardé, une deux, dix fois autour de moi pour vérifier que personne n'est à l'horizon, j'ôte mes vêtements et glisse délicatement dans l'eau. Savonnée en deux temps trois mouvements, je ressors de l'eau et m'assieds sur un rocher plat, exposant ma beau blanche aux premiers rayons du soleil pour sécher. Je me permets de le faire maintenant, quand le soleil est encore bas dans le ciel, lorsque les risques pour moi de devenir écrevisse sont moinue. dres. Les minutes passent. Combien je ne saurais dire, mais je me laisse aller à flâner au soleil dans le calme du matin. Je me laisse tant aller que je n'entends pas les pas qui s'approchent avant qu'il ne soit trop tard, qu'une candidate soit là, tout près de moi. La simple idée qu'elle puisse me voir aussi dénudée me fait monter les larmes aux yeux et augmenter le rythme cardiaque. Inspire. Expire. Inspire. Expire. Mes poings se serrent et ma tête s'embrume. Je n'entends pas ce qu'elle dit, prise par la gêne. Mes joues sont cramoisies, je le sais, ma respiration s'affole. Et là. La je la vois me regarder, me fixer, sans retenue. Immédiatement, je cache mon visage dans mes mains en disant : P... Pourquoi tu me regardes comme ça? Ma voix est à la limite. Quelques syllabes de plus et je craque.

La couleur de l’eau plus que suspecte fait bien vite place à un agacement quant à l’organisation de la semaine. Mylah organise et planifie chaque détail, c’est donc un véritable cauchemar que d’être confronté à une telle situation. La production va l’entendre, à coup sûr. Elle n’est pas connue pour posséder le plus agréable des caractères et elle ne se gênera pas pour le démontrer. À vrai dire, pour peu, elle serait presque au bord des larmes, tant tout va de travers et le choc est encore bien présent. Elle n’en revient pas qu’on l’ait trahie de la sorte. C’est plus fort qu’elle, elle ne peut pas réagir correctement face à des imprévus, elle est perdue, apeurée, perturbée. Heureusement que la jeune femme à ses côtés est là et qu’elle lui change bien vite les idées, sans le vouloir. Mylah se concentre sur sa couleur de cheveux flamboyante, magnifique, harmonieuse. Quitte à se montrer trop insistante en l’observant, comme lui le fait remarquer la rousse. « Pardon. Je suis désolée, vraiment. » Elle se confond en excuse, ses prunelles naviguant ailleurs, trop rapidement pour qu’elle se fixe sur un point précis. Mylah se maudit intérieurement. Son éducation, ce n’est pas ça. Ce n’est pas fixé les gens jusqu’à les rendre mal à l’aise. Le pire dans tout cela, c’est qu’elle n’a pas conscience de ses actes, trop perturbée par un détail pour réaliser la façon dont elle se comporte. Ses excuses sont sincères et elle se décide enfin à formuler la raison d’un tel acharnement. « Tes cheveux sont magnifiques. » Et elle se perd à nouveau, admirant les cheveux de cette fille qu’elle ne connait même pas. On dit que les roux n’ont pas d’âme, Mylah n’est pas de sa vie, le roux est une couleur particulière qui rend les individus qui la revêtisse uniques. « Comment tu fais ? » Elle continue, naïvement. Comment elle fait pour avoir de si beaux cheveux ? Mylah fait attention à son apparence, on pourrait presque la traiter de superficielle ainsi cette question n’est pas posée d’un ton moqueur, elle est réellement intéressée par la réponse. « Je vais chez le coiffeur tous les vendredis à 13h30, normalement, mais mes cheveux ont jamais été aussi magnifique que les tiens. » Elle raconte, un peu sceptique. Pourquoi cette fille peut avoir des cheveux plus beaux qu’elle qui a rendez-vous chaque semaine avec son coiffeur attitré, qui lui fait une fortune ses soins, puisque Mylah ne se satisfait que du meilleur. « Je crois qu’il m’arnaque, il va falloir que j’arrange cela. » Mylah conclut, déterminée et convaincue. Il se fiche d’elle. En même temps, venant d’un coiffeur qui se prénomme Etan, elle aurait dû sentir l’entourloupe. Etan, ça s’écrit avec un h, c’est obligatoire. Elle l’a toujours vu orthographié ainsi, c’est qu’il y a bien une raison. Quoi qu’il en soit, Mylah se décide enfin à tourner la tête pour fixer son regard sur l’eau du lac. Grossière erreur, des frissons parcourent son échine quand elle aperçoit la couleur de l’eau qui ne lui inspirera – probablement – jamais confiance. Elle opte donc pour les arbres, mais c’est également une erreur. L’espace entre eux n’est pas régulier, c’est perturbant. Alors elle baisse la tête sur ses pieds, soigneusement collés l’un à l’autre, pas un centimètre de peau d’un pied dépassant par rapport à l’autre, un parfait alignement. C’est bien mieux.

Je me serais attendue à tout, sauf à cela. Après s'être excusée, elle se met à me complimenter. Enfin, à complimenter mes cheveux plutôt, ce qui est déjà légèrement plus crédible. Mais tout de même, je suis sous le choc et le feu me monte aux joues. Je... Je les teins moi même. C'est ce que je fais depuis des années, je m'y suis habituée, ce n'est pas si compliqué. Je laisse échapper un micro-rire incrédule lorsqu'elle me dit qu'elle trouve que sa chevelure n'est pas à la hauteur de la mienne. Je ne peux m'empêcher de répliquer : Mais tu veux rire? Tu es tellement belle... Il n'y a pas la moindre nuance d'ironie dans ma voix, juste de la sincérité à l'état pur. Je donnerais beaucoup, bien que je n'aie pas grand chose, pour lui ressembler. Après m'être mordue la lèvre je finis par dire, avec beaucoup moins d'aplomb : Tu... Tu veux bien te retourner? J'hésite quelques instants avant d'ajouter, désireuse d'expliquer mon intention : Juste le temps que je me rhabille... Même si je ne vais rien enlever, je veux pouvoir remettre mes vêtements sans qu'elle ne me regarde, parce que je sais très bien que lorsque l'on bouge, l'attention de la personne près de nous suit nos mouvements. Et je ne veux pas qu'elle ait le temps de se rendre compte de la profonde déception que représente mon corps.

Si elle fixe cette femme, ce n’est pas parce qu’elle a une tâche en plein milieu du visage – contrairement à une autre – ni parce que son visage n’est pas harmonieux – contrairement à beaucoup – mais simplement parce que ses cheveux sont beaux. C’est même un terme trop faible. Magnifique serait plus approprié. Ils sont magnifiques, beaucoup trop par rapport aux siens et cela, ce n’est pas normal. Mylah est supposée toucher l’excellence du bout des doigts dans chaque domaine, pourquoi elle n’y arrive pas quand cela concerne ses cheveux ? Raison pour laquelle elle demande à la jeune femme comment elle fait, elle dont le coiffeur n’arrive pas à un tel résultat et qui en vient à se demander s’il ne se moque pas d’elle. Elle les teint, tout simplement, elle-même. Il n’y a pas d’autres secrets. Ou alors, elle ne veut pas les révéler. Et si c’est le cas, Mylah mettra un point d’honneur à tirer les vers du nez de la jeune femme. « C’est un travail de professionnel. C’est ce que tu fais dans la vie ? » C’est toujours bon à savoir, si c’est le cas. Si Mylah a envie de changement, ou simplement pour refaire sa teinture – oui, elle n’est pas une vraie blonde, sacrilège – qui sera assurément plus réussie si c’est la rousse qui s’en occupe. Mylah a appris à le faire seule pour ne pas être prise au dépourvu durant l’émission, mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne va pas déléguer cette responsabilité si elle le peut. Le compliment qu’elle a par la suite ne provoque pas de réaction gênée ou de signe de gratitude de la part de Mylah. « Oui, mais mes cheveux ne sont pas à la hauteur. » Elle est belle, elle le sait, elle est habituée à l’entendre alors les compliments la laissent de marbre, contrairement à la jeune femme rousse. Elle est belle, mais elle va désormais faire un complexe sur ses cheveux, pas aussi unifiés et soyeux que ceux de sa colocataire. Le ton de la rousse change du tout au tout, demandant à Mylah de se retourner. Celle-ci s’apprête à lui demander pourquoi, parce qu’elle n’aime pas recevoir des ordres – même si c’est demandé plutôt gentiment – sans en savoir les raisons derrière ceux-ci, mais la jeune femme reprend la parole avant qu’elle n’ait pu formuler sa question. C’est juste le temps qu’elle se rhabille et Mylah comprend que la rousse est pudique. Elle ne peut rien dire, elle l’est elle-même. « Oui, bien-sûr. » dit-elle en se retournant. Que la jeune femme se rassure, Mylah n’est pas du genre à regarder du coin de l’œil, comme certains pourraient le faire. De toute façon, son attention est bien vite déviée par les arbres, ces foutus arbres qui ne sont pas droits, pas alignés, pas soignés correctement. Nul doute qu’ils l’obséderont toute la semaine. « S’il y a un espace vert près du nid, j’espère que la production a fait appel à un paysagiste. » Elle lance, pour elle-même. Parfois, elle oublie qu’elle n’est pas seule et que ses réflexions n’intéressent pas grand-monde. Parfois, elle oublie tout simplement qu’elle fait ce genre de réflexions à voix haute.