Il n’est jamais trop tard pour se frotter à l’attrape-peluches. Je suis fermement décidée à repartir avec ce minion que j’ai repéré l’autre jour en passant par hasard. J’ai déjà tenté plusieurs fois sans parvenir pour autant à le remonter jusqu’au trou qui me permettra de le récupérer. Est-ce au moins possible ? Je n’ai jamais été trop chanceuse à cela et je peste comme une abrutie devant la machine à faire les beaux yeux au forain qui s’en occupe pour qu’il replace la peluche correctement. Tu parles qu’il doit prendre son pied à me voir galérer, ressortir une ou deux pièces et vider mon porte-monnaie comme cela plutôt qu’en allant m’acheter une bonne gaufre au Nutella. La tentation est d’autant plus grande ici que nous ne sommes pas forcés de mettre une pièce, aucune monnaie n’est exigée, nous avons juste à appuyer sur un bouton et à tenter notre chance. Je me tiens devant la machine depuis quelques minutes à observer et réfléchir comme si ma vie en dépendait, où diriger la pince, de quel côté la peluche pourrait-elle retomber et ricocher pour tomber ? Tellement de questions existentielles et peu de solutions infaillibles. Non, la pression est trop grande alors autant demander à quelqu’un d’autre de s’y coller à ma place, j’aurais quelqu’un à disputer au moins. Tiens, une jeune fille passe par-là, la pauvre est sur le point d’être frappée par la foudre. « HEY ! » J’hurle… Elle se retourne, pas certaine d’être concernée. « Oui, c’est à toi que je parle, viens voir ! » Je lui demande avec mon plus beau sourire, celui qui atténue le plus le fait que je peux parfois être une hystérique comme on ne parvient presque plus à en voir excepté dans les films.

Il faisait un peu meilleur aujourd’hui. Le soleil brillait assez fort, tant et si bien que Gael plissait des yeux pour avancer sans être éblouie, elle qui marchait face au soleil pour se rendre vers les quelques attractions du nid. Finalement, elle atteint un point d’ombre et c’est là qu’une autre candidate l’interpelle. Gael se retourne, les sourcils légèrement froncés et regarde autour d’elle, avant que Greta ne confirme que c’était bien à elle qu’elle parlait. Alors elle s’avance. « Salut. » Fit-elle, un peu suspicieuse. « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Vu comment elle l’a appelé, elle a intérêt à avoir quelque chose d’intéressant à lui dire. Bon, Greta lui a offert un large sourire, donc elle se doute que ce n’est rien de grave. C’est déjà ça. « Ah, tu galères avec la machine ? » Gael sourit, amusée, avant de jeter un œil aux peluches qui s’y trouvent. « On a réussi à avoir un ours, l’autre jour, avec Pablo. » Bon elle s’en fout peut être, mais Gael y pense parce que Pablo est le partenaire de Greta.

Gael est mon héroïne du jour. Elle le sera si je parviens à obtenir le minion que je convoite. Il est là, devant moi à me provoquer depuis plusieurs jours. Vous savez, le minion soubrette ? C’est de celui-là que je parle, il m’a beaucoup fait rire dans le film et j’aimerais parvenir à le choper. A défaut d’y arriver moi-même je me dis qu’elle pourra peut-être, avec la chance du débutant, attraper cette maudite peluche sans trop prendre de temps. On ne sait jamais, je préfère mettre toutes les chances de mon côté et regarder quelqu’un d’autre en baver histoire de ne pas avoir des envies de meurtres en échouant à dix mille reprises. Je serais capable de mettre une dose au clown qui s’occupe de la grande roue juste parce qu’il n’est pas loin du stand et qu’il n’y a personne qui s’occupe de l’attrape-peluches sur qui je peux pousser une gueulante. Le sourire amusé de Gael me permet de ne pas avoir à expliquer ce que je fais ici, elle a très bien compris ce que je veux. « C’est vrai ? Zut, j’aurais dû venir avec lui… » Sauf qu’il n’est peut-être pas celui qui a réussi à avoir la peluche. « Tu essaierais de me choper le minion ? » Je demande avec mon air le plus mignon, le regard de chien battu qui va naturellement avec. « Si tu y parviens… Je t’offre un quart d’heure vérité ? » Si elle n’y arrive pas aussi, j’ai plein de questions à lui poser puisqu’elle est l’une des seules candidates à qui je n’ai encore jamais adressé la parole.

Gael lâche un léger rire. « Oui, peut être ! Je n’ai rien réussi à avoir, moi. » C’était plutôt lui, lais il avait la motivation d’avoir quelque chose pour sa fille. Ca motive un père, sans doute. Gael hoche la tête et s’approche de la machine. « Bon aller, c’est bien parce que c’est toi. » N’importe quoi, elle ne la connaît même pas. Disons que Gael aime jouer et qu’elle aime les challenge. Celui-ci en est un. Elle s’approche des commandes et attrape le joystick. Avant d’appuyer sur le bouton, elle lance un petit regard à Greta. « Ne te moque pas si je rate, hein. » Ce serait le pompom, après tout la candidate lui demande d’attraper la peluche pour elle alors, si en plus, elle se moque qu’elle, la jeune femme la laissera en plan et elle n’aura qu’à se débrouiller… Et voilà, c'est raté. « Je te l’avais dis que je n’étais pas très douée… Aller, essaie, toi ! »

J’ai maintenant confirmation que Pablo est celui qui est parvenu à obtenir une peluche de cette machine diabolique. Nous ne sommes donc pas plus avancées toutes les deux. Peut-être qu’avec la chance du débutant nous arriverons à quelque chose ? On peut toujours espérer non ? Gael se décide à me faire plaisir et se lance, j’ignore si sa motivation aura raison de cette bête à chagrin mais j’ai envie de croire en elle. Je lui emboite le pas pour pouvoir la regarder faire, toute excitée. « Allez on y croit ! Si tu réussis… Meuf, si tu parviens à m’avoir ma peluche tu deviens mon Dieu okay ? » Je m’emballe alors qu’elle commence à positionner la pince pour la faire retomber sur l’un des minions. « Promis, je suis très mauvaise à ce jeu, je ne risque donc pas de me moquer de toi. » Sauf qu’elle passe carrément à côté de la peluche, il y a de quoi rigoler un petit peu, je vais me contenir histoire de ne pas la vexer. « Bon, c’était le temps de s’échauffer, laisse-moi faire une tentative et profites en pour me dire quel âge tu as et d’où tu viens. » J’ai envie d’apprendre à la connaitre un petit peu. Serais-je meilleure qu’elle à ce jeu ? J’attrape la manette, tente de guider la pince au bon endroit et presse le bouton pour qu’elle s’écroule sur la peluche… La pince ne bouge pas, elle reste en l’air. « Mais… Mais ce n’est pas juste !!!! » Je remarque, boudeuse.

Gael essaie de ne pas rire pendant qu’elle fait sa manœuvre de la pince, mais Greta est plutôt drôle quand elle s’emballe comme ça. Elle ne sait pas quel âge à la candidate, mais elle est plus âgée qu’elle c’est sûr et c’est drôle de voir cette femme s’acharner comme ça pour une peluche. Bon, ceci dit, à son âge Gael aime les peluches aussi. Il n’y a pas d’âge pour apprécier les bonnes choses ! « On va bien finir par l’avoir, à force… » Fit-elle en laissant Greta se mettre devant les manettes. En attendant, l’américaine se décale un peu sur sa gauche, toujours de sorte à pouvoir regarder ce que faisait Greta avec la machine et, surtout, pour voir si elle allait s’en sortir mieux qu’elle. « Je viens de Chicago et j’ai 26 ans. Et toi ? » Fit-elle alors qu’elle constatait que le bouton restait coincé, malgré que la pince était bien placée. « C’est un coup de l’angelot ça, j’te parie. » Fit Gael avec un air suspicieux. « Il est vraiment coincé, coincé ? » Fit-elle en parlant du bouton. Parce que bon, si c’était le cas, elles ne pourraient même plus jouer, quoi…

Je suis peut-être âgée mais je n’ai pas perdu mon âme d’enfant, je m’amuse avec un rien et je ne me prends pas la tête. Je suis énormément jugée pour cela, parce que l’on me trouve parfois immature et pas assez responsable mais je ne vois pas en quoi le fait de profiter de la vie et de ne pas s’intéresser au regard des autres est une preuve d’irresponsabilité. J’ai élevé mon fils quasiment toute seule, je suis devenue mère au lycée, j’ai tout abandonné pour lui et je suis tout de même parvenue à percer dans la danse une fois libérée d’emprises néfastes et une fois mon fils suffisamment âgé pour aller à la crèche. J’en ai bavé pendant des années, ça n’a jamais été simple, je me suis défoncée pour avoir ce que j’ai aujourd’hui, pour réussir. Tout cela pour quoi ? Pour être heureuse, pour ne pas vendre mon âme au diable. J’ai su rester la même et j’en suis très fière. Quelques confessions de Gael me permettent de la situer, 26 ans, Chicago… C’est noté ! « J’ai 41 ans, je suis à New-York même si je bouge beaucoup lorsque je suis en tournée… Je suis danseuse ! » Coup de l’angelot ou pas, la pince est toujours bloquée, je ne sais pas quoi faire pour la débloquer, mettre un coup dans la machine au risque d’enclencher une alarme ? « Elle est bloquée bloquée oui… Tu crois que je peux mettre un petit coup de fesse contre la machine, histoire de voir si elle repart ? » J’ai un bon popotin, cela pourrait donc fonctionner… Ou pas du tout, à voir.