Lundi, premier jour de la semaine. La jeune femme n’était pas très présente lors du prime de la veille et pour cause : elle avait un mal de tête à vouloir se cogner le crâne contre un mur épais, pour le faire partie. Le mal de tête, pas le mur. La jeune femme avait donc pris une aspirine, avant de rapidement aller se coucher et, ce matin, elle s’était levée de bonne heure. Comme d’habitude. Gael pris sa douche à son aise. Personne ne se trouvait dans la salle de bain, elle se sentait donc plus à l’aise même si la brune n’oubliait jamais la présence des caméras autour d’elle. Elles ne la dérangeaient pas, elle était même plutôt à l’aise devant une caméra mais la brune préférait quand même vivre dans son intimité. Après avoir pris sa douche, l’américaine se rendit dans la cuisine et sortit ce qu’il lui fallait pour se faire un ou deux œufs au plat et un peu de bacon. Le café coulait dans la machine quand un candidat qu’elle connaissait un peu entra dans la pièce. « Bonjour Naveen. » Fit-elle en lui souriant. Le café prêt, elle attrapa une tasse mais s’arrêta avant de fermer le placard. « Je te sers un café ? » Elle ne savait pas trop ce qu’il préférait consommer le matin. Café, thé, eau ? « Tu veux que je te fasse un œuf à toi aussi ? » Son déjeuner était très américain, rien à voir, peut être, avec la culture indienne… Elle ne savait pas trop, mais peut être qu’il mangeait sucré le matin, comme dans certains pays d’Europe ?

Si Naveen n'était jamais tellement du genre à traîner au fond de son lit, aujourd'hui il l'avait quitté avec d'autant moins de regrets que d'habitude, pour la simple et bonne raison qu'il n'avait du y dormir que quelques minutes, par ci par là, durant la nuit qu'il avait surtout passée à réfléchir. Ce genre de choses lui arrivaient assez souvent depuis qu'il était ici, seulement il ne lui était encore jamais arrivé de faire une vraie nuit blanche, et de se retrouver au petit matin avec l'impression qu'il pourrait s'écrouler à chaque pas qu'il faisait. Pensant toutefois que la cuisine n'était pas le pire endroit où il pourrait se rendre, et qu'un petit-déjeuner ne pourrait surtout pas lui faire de mal, l'indien poussa la porte de la pièce et eut l'agréable surprise de tomber sur Gael, apparemment affairée à préparer son premier repas de la journée, justement. « Oh, bonjour Gael. » Il la salua, le sourire aux lèvres, car bien qu'il ne soit pas au meilleur de sa forme, il ne deviendrait impoli pour rien au monde. « Je veux bien, oui, merci. » Il ajouta ensuite, lorsque Gael lui proposa un café, elle qui pour le coup semblait avoir deviné que c'était ce dont il avait justement grand besoin. « Tu n'aurais pas un camion citerne, plutôt qu'une tasse ? Parce que je crois qu'il me faudrait au moins ça, ce matin. » Un léger rire s'échappa de ses lèvres, tandis qu'il s'avança jusqu'au comptoir pour s'y appuyer. Si l'indien optait le plus souvent pour un thé le matin, il arrivait qu'un café soit la seule chose susceptible de le réveiller. A la prochaine proposition de sa camarade, il se pinça légèrement les lèvres. « L’œuf, par contre, je préfère éviter. Je n'ai pas vraiment l'habitude et ce n'est sûrement pas le jour pour essayer de la prendre. » Parce que dans son état, il lui paraissait préférable d'avaler quelque chose qui ne risquerait pas d'intensifier son mal de cœur, et de terminer dans la cuvette des toilettes. « Merci quand même. » Il reprit, dans un sourire reconnaissant, parce qu'il était toujours appréciable de constater que de bon matin, certains savaient se montrer disponibles et généreux. « Tu te montres toujours aussi serviable, avec ton partenaire ? » L'indien demanda d'ailleurs, tandis qu'il chercha du regard quelque chose qu'il pourrait avaler, avant que ses yeux ne retrouvent ceux de Gael. « Parce que si oui, je ne comprendrais décidément pas qu'il ait toujours l'air de faire la tête. » Ou disons, qu'il ne se montre jamais particulièrement amical, une chose dont l'indien ne lui tenait pas rigueur, certes, mais qui tout de même le désolait un peu. Sans doute parce qu'il était persuadé qu'un bon fond se cachait derrière cette carapace d'enfant gâté, et que sa tendance à vouloir voir du bon chez chacun ne le rendait de toute façon pas tellement objectif.

Naveen salua la jeune femme et accepta sa proposition. Alors, Gael attrapa une seconde tasse dans le placard, qu’elle posa sur le comptoir avant de refermer la porte. Elle servi alors une tasse à Naveen, avec un léger rire, avant de s’en servir une pour elle-même. « Non, je ne pense pas que ça rentrerait dans cette cuisine. On peut essayer de demander à Cupidon, sinon ? Ou alors, on te le fait en intraveineuse. » Oui non sauf que ça, elle ne sait pas vraiment le faire non plus. Non seulement la jeune femme n’a pas l’équipement requis, mais en plus elle n’a jamais travaillé dans le milieu hospitalier. Gael lui tendit sa tasse, elle n’avait rien mit dedans mais il avait du le voir. Elle, elle le buvait noir son café. Du moins la première tasse, elle avait le sentiment que ça fonctionnait mieux pour la réveiller. « Tu as mal dormi ? » Demanda-t-elle quand il refusa son œuf. Il avait l’air un peu patraque, il était même carrément pâle par rapport à d’habitude et la jeune femme distinguait des cernes sous ses yeux. « Bah, j’essaie. Je ne lui cuisine pas des cookies toutes les semaines. » En fait, ce n’était arrivé qu’une fois. « Mais si je fais à manger et qu’il y en a trop, je lui propose. Enfin comme je t’ai proposé quoi. » Ca lui semble normal, à Gael. Elle va en faire quoi, sinon, de sa nourriture ? La jeter ? Si elle est occupée à faire quelque chose, elle peut proposer si quelqu’un veut en bénéficier. Par contre, la jeune femme ne ferait pas les lessives de Colin, par exemple. Faudrait pas exagérer. « Ah ! Non mais il est juste comme ça, j’imagine ? Il n’a pas un mauvais fond, il est juste… Bah, comme ça. » Elle secoue la main et hausse les épaules, en mettant son œuf à cuire.

Le café, ça n'était pas tous les matins qu'il se l'autorisait. Sa mère lui avait toujours raconté qu'il détraquait le cycle du sommeil et pouvait à long terme être dangereux pour la santé, alors inconsciemment il avait veillé à ne jamais en faire une habitude. Et puis, le thé, ça restait la boisson incontournable dans un pays comme le sien, un petit plaisir qu'on aimait s'octroyer dès le matin. Seulement, dans l'état qui était le sien, rien ne lui ferait probablement autant de bien qu'une bonne tasse de café. Bien qu'il ait tendance à penser qu'un camion citerne, ce serait encore mieux. Ah, ça n'était pas possible ? « Tu as des connaissances médicales ? » Il demanda en tout cas à Gael, un sourire amusé accroché à ses lèvres, lorsqu'elle proposa d'opter pour une ingurgitation par intraveineuse. « Parce que dans le cas contraire, tu ne m'en voudras pas de décliner ta proposition. » Il savait bien évidemment qu'elle n'était pas sérieuse, raison pour laquelle il ne s'était pas inquiété. Saisissant en tout cas la tasse qu'elle lui tendit et l'en remerciant à travers un sourire, il afficha une légère grimace à la question de la jeune femme. « Mal, je crois que ça irait encore. » Il souffla, dans un nouveau sourire, forcé de reconnaître que lorsqu'il dormait, même mal, il se portait quand même un petit peu mieux. « Je n'ai pas dormi du tout, à vrai dire. Et je ne dois plus être en âge de faire nuit blanche, parce que … j'ai l'impression d'être passé à l'essoreuse. » Disons que s'il était resté debout trente secondes de plus, il aurait probablement fait connaissance avec le parquet, et peut être même improvisé une sieste à même le sol, qui sait. Car si à une époque il aurait sans doute tenu le coup un peu plus facilement, maintenant que la trentaine était proche, il sentait bien que son organisme ne coopérait pas vraiment de la même façon. Notant en tout cas la générosité de Gael, l'indien chercha à savoir si elle se montrait tout aussi serviable avec son jeune partenaire, et sa réponse sembla le lui confirmer. « Ça te semble peut être peu, mais je ne suis pas sûr que tout le monde ici ait les mêmes attentions à l'égard de son partenaire. » Il ne visait personne en particulier, ne prétendant pas savoir comment ça se passait précisément chez les autres – et clairement, il ne parlait pas non plus de son propre binôme – mais il lui semblait avoir entendu dire qu'entre certaines partenaires, c'était un petit peu plus tendu. « Je pense aussi. Il doit y avoir des choses à comprendre, des choses à creuser. » Il ajouta par la suite, en hochant doucement la tête, lorsque Gael supposa que Colin puisse ne pas avoir mauvais fond. « J'ai essayé, une fois. Ça ne s'est pas tellement bien passé, mais … il faut dire aussi que lui proposer de méditer avec moi, ça revenait un peu à tendre le bâton pour se faire battre. » Il haussa les épaules et afficha une mine plus amusée, aujourd'hui pleinement conscient de ne pas s'y être pris correctement, avec Colin. « A ce propos, comment est-ce qu'il te surnomme, toi ? » Cette histoire de surnoms lui revenait tout à coup. Il avait appris voilà quelques jours que Colin le surnommait « Bollywood », et croyait savoir, grâce aux rubriques, que tout le monde ici avait plus ou moins droit à ce genre de petites attentions. Mais sa partenaire, lui réservait-il le même sort qu'aux autres, ou le lien symbolique qui les unissait était-il plus important pour Colin qu'on aurait tendance à le croire ? C'était précisément ce qu'il se demandait.

Gael lâcha un rire devant la réplique de l’Indien. Elle l’aimait bien, en fin de compte. Le candidat était simple à vivre et elle ne l’imaginait pas faire de mal à une mouche. Autrement dit, un adversaire de taille pour une joueuse comme elle mais étrangement, elle pensait un peu moins au jeu ces derniers temps et plus à vivre son aventure normalement. Ou presque. « Non, j’ai eu quelques cours de santé au lycée, quand j’étais dans mon option sportive mais pas assez pour faire ce genre de chose, je le crains. » Fit-elle avec un nouveau sourire, un peu désolé cette fois même si leur conversation n’avait absolument rien de sérieux. Gael attrapa une spatule pour retirer son œuf de la poêle et le mettre dans son assiette qu’elle avait préparé à côté. « Ah bon ? Quelque chose te tracasse ? » Elle se tourna vers lui, abandonnant le temps d’un instant son assiette et son œuf encore fumant. « Tu sais, le sport aide à bien dormir. Dans ton état, je ne te conseille pas d’en faire avant d’avoir dormi un peu mais je peux t’accompagner dans quelques entrainements, si tu veux ? » Si son insomnie était chronique, c’était en général un bon moyen de s’en débarrasser. Pas mal de gens utilisait le sport comme thérapie pour avoir un bon sommeil et c’était de notoriété publique que ça aidait vraiment. « Certes, mais je ne compare pas vraiment aux autres. » Elle ne le disait pas méchamment, pas du tout même, c’était plutôt une manière de dire que Gael n’avait pas l’impression d’avoir un comportement exceptionnel, vu qu’elle ne songeait pas à ce que les autres faisaient. Gael attrapa le sel et le poivre pour en mettre un peu sur son œuf, puis elle prit sa tasse, des couverts dans une main et son assiette dans l’autre. Elle invita Naveen à la suivre, d’un signe de tête, pour s’asseoir autour du comptoire. Là elle posa son assiette, sa tasse et les couverts et alla aussi prendre le pain. « Tu ne manges rien du tout ? » Parfois, elle était un peu maternelle, c’est vrai. Mais le voir juste avec son café lui faisait un peu mal au cœur. « C’est vrai que j’imagine mal Colin méditer. Mais c’était gentil de te part de lui proposer. Comme tu dis, je pense qu’il y a plus à découvrir sur lui que ce qu’il nous montre… Au final, c’est un peu comme tout le monde ici. On a juste différentes manières de se protéger. J’imagine. » Gael haussa les épaules doucement, avant d’entendre la question du candidat. « Hm, il ne me l’a pas encore dit en face mais ça doit surement avoir un rapport avec le fait qu’il considère que je n’ai pas de chance. Ce qui n’est pas le cas, d’ailleurs. La roulette russe l’a nominé lui, même si c’est moi qui l’ait tourné… » Elle hésite, pendant une seconde. « Je pense que c’est lui qui a la poisse, du coup. Sinon elle m’aurait nominé moi, non ? »

L'indien faisait peut être facilement confiance à ceux qui l'entouraient, pour autant il ne mettrait pas sa santé entre les mains de n'importe qui. Gael était une jeune femme charmante, mais il était peu probable qu'il concède à mettre sa vie en jeu simplement pour ses jolis yeux. Sa remarque le fit toutefois sourire. « C'est toujours bon à savoir. Si demain je fais une crise d’hypoglycémie, crois-moi, je serais bien content de te trouver. » Pas sûr que ça fasse en soi une grande différence s'il s'écroulait au beau milieu d'une pièce, mais oui, inconsciemment, ça avait tendance à le rassurer de savoir qu'elle avait malgré tout quelques notions. Lui confiant par la suite qu'il n'avait pas fermé l’œil de la nuit, il haussa doucement les épaules à sa question. « Tu sais comment ça marche, ici. Ils montrent des choses avec l'espoir que ça en perturbera certains, et … il faut croire qu'ils savent ce qu'ils font, car ça marche systématiquement sur les types comme moi. » Il esquissa un petit sourire, pour qu'elle ne soit pas tentée de le plaindre, parce qu'en soi c'était son problème, s'il était sensible. Il l'avait toujours été, et finalement ses séances de méditation étaient un peu un moyen qu'il avait trouvé pour contrôler ça. « Oh, c'est vrai que tu es dans le sport toi aussi. J'ai un peu l'impression d'être aux Jeux Olympiques, avec vous tous. Sauf que moi, je suis l’intrus qui sait tout juste faire un footing. » Son sourire se fit cette fois un peu plus amusé, tandis qu'il hocha bientôt la tête. « Mais à l'occasion, oui, ça me plairait bien. » A vrai dire, ça faisait quelques jours qu'il était démangé par l'envie de demander à l'un de ses camarades de lui apprendre quelques petites choses, à ce niveau-là. Il savait bien qu'à son âge, il ne deviendrait pas un athlète du jour au lendemain, mais se muscler un petit peu, ça ne pourrait pas lui faire de mal. Évoquant par la suite les petites attentions que Gael semblait avoir pour son partenaire, il sourit à sa remarque puis mouva la tête lorsqu'elle sembla s'inquiéter du fait qu'il n'ait encore rien mangé. « J'attends de savoir si c'est bien raisonnable d'avaler quelque chose, à vrai dire. Et puis, parfois, jeûner a des effets très thérapeutiques. » Il lui précisa alors, un peu moins sérieux sur la fin que sur le début, bien qu'il ait conscience que dans son état, il n'était peut être pas plus mal qu'il se contente de sa tasse de café. « En arrivant ici, je m'étais donné pour objectif de vous cerner les uns après les autres, mais depuis je me suis rendu compte que ça risquait d'être un peu plus compliqué que prévu. » Parce qu'il y avait beaucoup de personnes ici qui revêtaient un vrai mystère à ses yeux, et qu'il n'aurait sûrement pas assez de son aventure pour parvenir à tous les comprendre. Gael supposait en tout cas que le surnom qu'avait pu lui attribuer Colin pouvait être en rapport avec sa prétendue malchance, et il esquissa un nouveau sourire. « Je crois que ça dépend de comment on voit les choses. Moi, j'aurais aussi tendance à dire que puisque c'est lui qu'elle a nominé, c'est lui qui n'a pas de chance. Même si c'est plutôt fourbe de la part de la roulette d'être passée par toi pour le faire. » Mais bon, la roulette n'était pas vraiment digne de confiance, en tout cas c'est ce qu'il lui avait semblé noter lorsqu'il avait vu plusieurs de ses camarades se faire nominer d'office selon son bon vouloir, perdre leur cagnotte ou récolter toutes sortes d'autres malus dont lui se passait bien. « J'ai toujours eu pas mal de chance avec elle, pour ma part. La semaine dernière, j'ai même gagné 10 000 euros. » Il s'enthousiasma par la suite, repensant subitement à ce gain totalement inattendu, et qui bien qu'encore virtuel, lui avait vraiment fait de l'effet. Et pour cause. « C'est presque autant que ce que j'ai du gagner en huit ans de petits boulots, et encore, tout l'argent de mes salaires a profité à ma famille, aux courses, à l'entretien de la maison … » Il ne le déplorait pas parce que c'était pour eux, justement, qu'il avait travaillé si dur. Mais parfois, quand il y repensait, il avait un peu l'impression d'avoir perdu pas mal d'années à faire des choses sans grand intérêt pour lui. « Quand j'y pense, il n'y a pas beaucoup de femmes chez moi qui pourraient faire un métier comme le tien. Dans le sport, je veux dire. » Il nota ensuite, en tournant son visage vers le sien, et sur un ton véritablement pensif. « Il est grand temps que je t'emmène en Inde et qu'ensemble on se décide à changer les choses, hein. » Il lâcha un léger rire, mais sans joie. Parce qu'il avait beau donner le change au sujet de beaucoup de choses, et parvenir à sourire même quand parfois l'envie lui manquait, il y avait certains sujets sur lesquels il aurait du mal à plaisanter. La condition des femmes, dans un pays comme le sien, en faisait partie. Et ça, Gael le savait.