GABRIELLE

Le temps ici, file à une vitesse incroyable, alors que parallèlement les journées nous semblent interminables tant on a pas grand chose à foutre. Je regrette souvent mon écran de taille obscène qui me permettrait de mater des vieux films en refaisant les dialogues : « Dans la vie il faut deux choses pour réussir : les couilles et le manche ! » ou encore « It's a Sicilian message. It means Luca Brasi sleeps with the fishes. » tout en fumant clopes sur clopes. Mais ce qui me manque le plus, assurément, c’est mon ordinateur, en bon geek que je suis. Mais ici, il n’y a rien de tout ceci, et les jours semblent rallonger à mesure que les candidats disparaissent. Avant on ne pouvait pas faire un pas sans tomber sur quelqu’un, aujourd’hui on passer toute une journée sans voir personne. Le nid a été pensé pour trente-six personnes, aujourd’hui nous ne sommes plus que dix-huit. Et sur ces dix-huit, il y en a déjà une dizaine à rayer de la liste des gens que j’ai envie de voir. Alors on tue le temps, tous autant qu’on est. Certains bouffent, d’autres font du sport, ce qui créer un réel clivage entre le clan des corps ciselés, et celui des corps potelés, un clivage qui n’existait pas vraiment au début de l’aventure. Moi j’ai décidé de mettre ce temps à profit, au moins pour aujourd’hui. J’en ai marre de faire la sieste en espérant tuer quelques heures, alors j’ai quitté le transat de la piscine sur lequel je m’ennuyais ferme, et suis allé à la bibliothèque récupérer un dictionnaire franco-russe, du papier, un stylo, avant de retourner sur mes pas pour tirer des bras de morphée ma victime du jour. « Gaby... » Je murmure à son oreille tandis qu’elle roupille comme une larve, une mèche de cheveux lui barrant le front façon mono-sourcil à la Emmanuel Chain. « Gaby... Gaby... Gaby... » Je répète en enfonçant le bout de mon index dans la chaire tendre de son bras. Elle finit par ouvrir un oeil contrarié... Si, si, il est contrarié, cet oeil, je le vois bien. « zdravstvouy ! » Je lui lance avec jovialité, sourire aux lèvres, un signe de la main censé être un salut. « Ca veut dire “bonjour à toi” en russe... » Je précise, avant d’ajouter, très sérieux. « Vas-y, répète ! » Syssoï, meilleur prof du monde !

Elle a vraiment mal dormi aujourd’hui, nuit agitée, cauchemar et le reste, des vieilles peurs qui resurgissaient. Il n’empêche que ça travaillait dur dans la tête de la belle la nuit, ça tournait pas mal, en tout cas, elle n’avait pas son quota de sommeil, pas assez pour pouvoir tenir la journée sans bailler une seule fois dans l’heure. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait toute la journée, et dès qu’elle baille, la personne en face d’elle l’imite. Ca la fascine faut dire, elle se demande pourquoi l’envie de bailler est communicative, ça reste un grand mystère pour elle, depuis très longtemps même. Bref, elle compte nager aujourd’hui, elle se rend donc dans sa chambre. Gabrielle fouille minutieusement dans sa valise, à la recherche de son maillot deux pièces, elle le trouve pas, elle vide du coup toute la valise sur le lit, et fout tout en vrac, du vrai Gaby, un vrai bordel. La rousse met d’ailleurs une demi-heure à tout ranger, pour tout plier, et à jouer à tétris avec ses vêtements pour tout faire rentrer. Elle enfile donc son maillot avant de se rendre à la piscine, elle fait demi-tour, elle oublie sa serviette, elle ne va pas aller loin comme cela. Gabrielle a vraiment l’impression de faire n’importe quoi aujourd’hui, par manque de sommeil sûrement. Elle s’allonge sur un transat, fixant l’eau si calme, si plate, elle reste comme ça, sans parler ni bouger, puis finit par s’endormir au bout de cinq minutes. Elle est vachement bien comme ça, mais son bonheur est de courte durée à cause de …Syssoï. Apparemment il adore la réveiller lorsqu’elle a vraiment besoin de dormir, elle fait semblant de ne pas l’entendre, peut-être qu’il partira à la fin, mais non, il insiste, et enfonce son doigt dans son bras. Elle ouvre les yeux, en grognant, ronchonnant, avant d’enlever la mèche rousse qui la gène. « zdravstvouy ! » Pardon ? Ah du russe. Il veut qu’elle repète en plus, ça va pas le faire, autant lui dire tout de suite. « Zdravss..truc. J’arrive pas. » répond t-elle en levant ses yeux vers lui. « En même temps ta méthode n’est pas super pédagogique non plus » commence t-elle. « C’est comme si je te lisais un poème en espagnol ou en portugais et que je te demandais de repéter, c’est la même chose. » répond t-elle, parce que oui, elle parle ses deux langues, mais le russe franchement, ça à l’air bien trop dur, tout comme l’anglais aussi, soyons clairs. Et puis le russe, à quoi ça allait lui servir....

Bon, niveau prononciation c’est carrément pas ça, niveau ténacité non plus d’ailleurs, puisqu’elle abandonne à la première syllabe. Ok, je l’ai réveillé en plein songe très sympathique au regard du sourire qu’elle affichait, mais est-ce une raison pour se montrer si réticente face au Savoir, avec un “s” majuscule, je vous prie. Comment fera-t-elle lorsque je me serais décidé, sur un coup de tête, à lui faire visiter Saint Petersbourg et Moscou, et qu’elle aura à peine le temps de jeter trois pulls dans une valise avant de se retrouver dans un avion direction Poutine’s world ? « En même temps ta méthode n’est pas super pédagogique non plus » Quoi ? Elle a quoi ma méthode ? Réveil en douceur et sourire enjoué, il lui faut quoi de plus ? Une gommette à chaque bonne réponse ? « C’est comme si je te lisais un poème en espagnol ou en portugais et que je te demandais de repéter, c’est la même chose. » Bah non, justement. Enfin, techniquement ce ne serait pas du tout la même chose. Pas pour moi. « Mi madre es española, Princesa, e, eu falo um pouco português. » Bon, je n’ai que quelques notions de portugais -surtout des insultes, en fait- mais suffisamment pour comprendre le fil conducteur de n’importe quel poème. Oui, je suis chiant, oui, elle a probablement envie de me coller une gifle de frustration, mais c’est comme ça, je suis un melting-pot à moi tout seul, alors forcément, mes langues parlés suivent le même schéma. « Mais là n’est pas la question. » Je poursuis en français, imaginant les techniciens galérer pour nous coller des surtitrages en un temps express, des fois qu'on dise quelque chose d'intéressant ou croustillant, sait-on jamais. « Tu veux pas apprendre ? Ou bien c’est juste ma manière de faire qui va pas ? » J’opte tout naturellement pour la deuxième option, même si techniquement je ne vois pas où réside la difficulté à lui apprendre le mot «bonjour». Cela dit, je n’en souffle pas mot, et quitte mon transat pour rejoindre le sien. « Dérevo. » Ma voix glisse à son oreille à l’image de mon corps glissant derrière elle. « Ca veut dire “crétin”. Dérevo. T’auras le droit d’utiliser ce mot chaque fois que ça ira trop vite. On y va ? » je demande en ouvrant le dictionnaire franco-russe que j’ai toujours en main. « Bonjour, tu peux le dire “dobrii den”, c’est peut être plus simple. Et aurevoir c’est “da svidaniya”. Mais le plus important c’est “Gde nakhoditsia Syssoï ?” » Je relève le nez du bouquin et lui offre un regard perplexe. « Tu prends pas de notes ? » Et après, elle critique ma technique pédagogique ? Tire au flanc.

Il parle aussi portuguès, il est multilangue, c'est fou. C'est presque trop. Bien trop. Anglais, française, russe, espagnol, portugues, what else ? « Cabrón » lâche t-elle en le regardant, juste pour voir s'il la comprenait là. Pas bien difficile en même temps. Oui, c'est sa méthode bien sur, mais bon, ça il le sait déjà, elle ne va pas se répéter une énième fois aussi. « Dérevo. » dit-elle franchement, parce que là, il va trop vite. Et en plus le russe, c'est vraiment une langue étrange au niveau de la prononciation, et puis, c'est pas très beau. Oui, Gaby est un peu de mauvaise foi là, mais bon, il vient de la réveiller juste pour lui apprendre à parler russe, ce qu'elle ne saura jamais faire. Elle avait déjà du mal avec l'anglais, alors avec le russe, n'en parlons pas. Puis Syssoï vient squatter son transat, elle se laisse faire, ne bougeant que très peu. « Ca veut dire quoi, “Gde nakhoditsia Syssoï ?” » l'interroge t-elle finalement parce qu'elle veut savoir ce qu'elle pourrait éventuellement dire quoi. Ne pas partir à l'aveugle. « La façon dont tu me colles est assez indécente tu sais Syssoï. » repète t-elle doucement, un sourire amusé au bout des lèvres. Juste histoire qu'il prenne conscience, qu'elle n'était pas la seule à se coller à l'autre, hein, y avait pas qu'elle dans l'affaire. « Tu prends pas de notes ? » Mais il est sérieux là ? « Et je fais comment ? J'écris sur mon corps ? » lui demande t-elle doucement en souriant. Non parce qu'elle avait vu qu'il avait pris pleins d'affaires, genre papier, stylo, mais il ne lui avait rien donné. Elle pouvait toujours courir la pauvre. Elle tend la paume de la main pour qu'il lui donne du papier, et d'ailleurs ça faisait super logtemps que la rouquine n'avait pas écrit, quand on y pensait. Depuis qu'elle était entrée ici, bien sur elle parlait d'écrire, pas de dessiner. « Tu comptes m'emmener en Russie ? » lui demande t-elle. Oui, Gaby est un brin distraite et déconcentrée, mais elle trouve ça étrange qu'il se décide à lui apprendre le russe, là, maintenant, ce n'était pas logique. Enfin, il vallait mieux pas qu'elle cherche une quelconque logique dans les actes des habitants du château, y en a aucune généralement.

Décidément, ça doit être la mode de m’insulter en langue étrangère, je viens de me payer un ‘Cabrón‘ en pleine tête, ce qui m’arrache un sourire, mais ne m’arrête pas dans ma réflexion à voix haute. Ce qui m’arrête, en revanche, c’est son ‘Dérevo’ qu’elle n’est censée utiliser qu’en guise d’arrêt d’urgence. Je suppose donc que je vais trop vite, et relève la tête. J’ai pourtant pas le sentiment d’avoir été trop exigeant, juste « bonjour », « aurevoir », et… Ha bah c’est justement ça qu’elle n’a pas compris, vu qu’elle me demande de lui préciser la signification tandis que je me focalise sur sa prononciation pas trop mauvaise. « Ca veut dire « où se trouve Syssoï ? », en général, tu devrais trouver quelqu’un pour te répondre. Après, tout dépend où tu es perdue, aussi. » Je reprends mon feuilletage, mais j’ai le temps de rien faire qu’elle me tire de ma réflexion en plagiant une de mes répliques. Mais c’est qu’elle a de la répartie et un piquant très certain lorsque je la tire du lit… Je devrais la déranger plus souvent dans son sommeil. « Tu plaisantes ? Je suis à trois mètres ! » je m’exclame, faussement indigné, tout en me reculant au maximum, jusqu’à ce que mon dos rencontre le dossier du transat, et m’empêche d’aller plus loin. « C’était juste pour ne pas déranger les autres avec nos messes basses. » j’ajoute en désignant du menton, Elvis et Esther chahutant dans l’eau, comme s’ils risquaient d’être dérangés, ou ne serait-ce que nous entendre. Oui, bien sûr, c’est totalement pour ça que j’ai choisi d’être proche, évidemment… Je recentre le débat en m’indignant de sa non-prise de notes. Elle compte retenir tout ça comment ? J’ai laissé le bloc-note et le stylo sur l’autre transat, aussi, en temps normal, Gabrielle se serait contenté de lever les yeux au ciel en se contorsionnant afin de récupérer le butin ; au lieu de quoi elle m’assène sa deuxième répartie cinglante de la minute. Est-ce que je souhaite qu’elle écrive sur son corps. Un sourire étire mes lèvres. « Sur le mien, y a plus de place. » je lui rétorque avec une innocence que dément mon sourire. « Et puis, qui sait, ça fera peut être une meilleure technique pédagogique. » Oui, ou pas, hein. Finalement, elle n’a pas l’air totalement disposée à tester, puisqu’elle tend la paume et que je présume qu’elle veut que je lui donne le matériel, ce que je m’empresse de faire. Est-ce que je compte l’emmener en Russie, me demande-t-elle. Il y a quelques semaines, voir même quelques jours, cette idée m’aurait fait hurler de rire intérieurement tant elle semblait ridicule et inenvisageable, alors qu’aujourd’hui, je m’entends répondre « Bah oui. » comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle au monde. « Sauf si t’as mieux à faire. » Oui, parce qu’il existe énormément de choses plus sympa à faire que d’aller visiter la Russie aux frais de la princesse. C’est l’évidence même.

Ca lui faisait tellement étrange de parler en portugués, ouai, ça lui manquait. La rouquine n'avait qu'une envie, repartir au Brésil, l'ambiance lui manquait, oui, elle mettait ça sur sa liste. Parce que depuis quelques jours, Gabrielle faisait une liste des choses les plus importantes qu'elle devrait faire lorsqu'elle serait sortie, et le voyage au Brésil était en tête pour l'instant. Mais bon, il avait encore une chance dêtre détroné. Revenons à nos moutons, Gabrielle avait compris que le candidat avait saisit. Bon elle venait de l'insulté deux fois en moins de dix secondes, son record était battu. Mais elle l'avait dit sur un ton assez calme, donc cela ne comptait pas réellement. « Ca veut dire « où se trouve Syssoï ? », en général, tu devrais trouver quelqu’un pour te répondre. Après, tout dépend où tu es perdue, aussi. » Il se moquait d'elle ou ? Non parce que là, elle hésite franchement. « Je vois que tu as confiance en mon sens de l'orientation, ça fait plaisir.. » murmure t-elle. Non mais le pire c'est qu'elle n'en n'avait aucun, elle pouvait même se perdre dans sa propre ville, sa ville natale, alors imaginez ailleurs, il faut absolument pas qu'elle ne perde son guide. « Je ne me perdrai pas de toute façon.. » Hm hm, elle n'est pas très crédible, mais elle s'en fout, elle essaye -en ce moment précis- de croire en elle. « Tu plaisantes ? Je suis à trois mètres ! » L'air faussement outré de son partenaire la fait rire. « On a pas la même notion des distances alors. » répond t-elle doucement. « C’était juste pour ne pas déranger les autres avec nos messes basses. » Elle suit son regard, et tombe sur deux candidats, bizarre, elle ne les avait pas remarqué, en même temps, elle venait de se réveiller aussi. « Ils sont loin. » constate t-elle lentement en vrillant ses prunelles sur les deux individus qui sont dans la piscine. « Sur le mien, y a plus de place. » Elle sourit, amusée. « Très bien, j'épargnerai tes pieds, t'inquiète pas. » annonce t-elle calmement en touchant les pieds de son partenaire avec les siens. Parce qu'il était danseur, et que ces pieds, c'était un art. Ils étaient quand même bien abimés, c'est ce qu'avait remarqué la rouquine dès le premier jour. Bien sûr, qu'on se le dise, faire d'elle ou de Syssoi, un roman humain, c'est pas tellement son trip, c'est pour cela, qu'exigeante, elle tend la main, en attendant gentiment qu'il lui file ce qu'elle désirait. Il s'exécute, parfait. Il lui répond si naturellement, Gabrielle est assez surprise, il faut bien le dire. « Excuse-moi, mais ça me paraissait pas si évident que cela.» se justifie t-elle doucement. « Sauf si t’as mieux à faire. » « Pas tellement. » répond t-elle en haussant les épaules, okay, voyage en Russie, vient de prendre la place de voyage au Brésil.

Une femme n’a pas le sens de l’orientation, c’est mathématique ! Il doit y avoir un truc dans le chromosome xx, qui brouille leur GPS interne et les oblige à tourner en rond pendant des plombes avec, à chaque fois, le sentiment de découvrir le paysage. Un peu comme le poisson rouge qui n’a pas le temps de faire le tour de son bocal avant de tout oublier et de recommencer avec entrain. Je ne suis pas entrain de comparer les femmes aux poissons rouges, mais disons que, dans mon esprit, j’ai pas trouvé de meilleur exemple pour ce cas précis. Cela dit, elles sont douées dans plein d’autres domaines où nous sommes totalement ignorants, mais pas l’orientation dans l’espace. Alors, forcément, je ne vais pas prendre le risque d’emmener Gabrielle en Russie sans lui apprendre les rudiments de la langue afin qu’elle puisse se débrouiller si elle venait à me perdre de vue. Bon, ça veut pas dire que je vais prendre les billets demain, ou même poser des jours pour partir, ça veut juste dire que dans l’hypothèse de l’emmener, un jour, là-bas, autant profiter du temps qui nous est accordé, ici, pour faire ce qu’on ne pourra plus faire à l’extérieur. Ça m’a semblé être une bonne idée sur le coup, mais finalement, au vu de son humeur piquante au réveil, ça me semble être une excellente idée, en fait. Je ne sais pas si elle a totalement conscience de ce qu’elle dit, ou s’il s’agit juste de son innocence ingénue, mais je prends plaisir à en jouer, à m’en amuser. Elle me provoque, insolente, énonçant l’éventualité d’écrire sur son corps, je rétorque que le mien est plus vaste, et, petite joueuse, elle rend les armes en s’emparant du feutre et du bloc-note. Je la laisse faire, mon attention détournée par sa demande concernant une éventuelle invitation en Russie. Ça me semble évident. Pas pour elle. Alors je confirme, je l’invite, elle accepte, et voilà, tout en simplicité, contrairement à d’ordinaire. Cette affaire entendue, je quitte ma distance pour glisser jusqu’à elle, et tant pis si elle trouve ma proximité indécente. Je lui prends le feutre des mains et le débouche avec les dents. Puis, depuis son dos, je passe ma tête par-dessus son épaule pour observer mes mains s’emparer de son bras, et dévoiler son avant-bras à mes yeux. Le feutre entre les doigts, j’applique sa pointe fine contre sa peau, et laisse les formes apparaître... Finalement, tout bien réfléchis, il s’agit d’une méthode d’apprentissage bien plus convaincante que le bloc-note. Ainsi, je suis sûr qu’elle va retenir. L’opération terminée, j’observe le dessin en reculant mon visage en arrière... « Гаврила » s’étire joliment sur la peau blanche de son avant-bras. « C’est ton prénom. » je lui glisse à voix basse, tandis que le feutre reprend son travail de noircissement sur sa peau. « Сисой » s’inscrit au niveau de son poignet. « Et ça, c’est le mien. Mais personne ne m’appelle ainsi. Je n’ai jamais entendu que Soïa. » Je sais même pas pourquoi je lui raconte ça, c’est certainement l’effet cyrillique, ça me ramène à mon enfance, à la tendresse qui est censée aller avec. « Qu’est-ce que tu veux apprendre comme mot ? » je lui demande en inscrivant un « Привет » sur son autre bras, avant de l’informer qu’il s’agit de «salut», autrement dit «privet».

Bon okay, elle n'avait pas le sens de l'orientation, et elle avait le don de se perdre un peu partout, mais elle le vit mais. Mieux même, ça lui fait découvrir de nouveaux endroits, enfin, c'est ce qu'elle pense. Bref, c'est sûr qu'elle n'irait pas en Russie toute seule. Parcontre le Brésil, elle commençait à connaître, heureusement puis que cela faisait quatre fois qu'elle y allait, et c'était de longs séjours, genre deux mois. A vrai dire le job de Gaby n'était pas contraignant puisse qu'elle n'était que pompier volontaire, il ne fallait pas oublier, si bien que lorsqu'elle avait envie de se barrer, elle le faisait, elle ne réfléchissait pas trop longtemps, peser le pour et le contre, c'est pas son truc. Elle préfère foncer, et puis, elle n'a pas tellement de problèmes d'argent, ça aide aussi.
La rousse s'empare du bloc note, attendant les instructions du professeur, ici, Syssoï. Bon, elle n'était pas tellement concentrée, puisse qu'elle n'arrête pas de lui poser de question, il doit avoir envie de la noyer, c'est sûr. Enfin, elle aussi, elle avait eu envie de le noyer lorsqu'il l'avait réveillé, d'ailleurs ses yeux avaient su traduire à la perfection son idée. N'est-ce pas ? Donc reprenons, il compte l'emener un jour en Russie, un sourire satisfait se dessine sur le joli minois de la belle qui se contente d'hocher la tête. Syssoï se rapproche d'elle et lui prend son style. Après qu'il ne dise pas que c'était elle qui aimait être au contact et proche de l'autre, parce que là, pour une fois, ce n'est pas elle, Gaby a rien demandé. Elle devine sans mal qu'il s'apprête à la marquer, elle espère juste que ça s'en ira facilement sur le douche. « J'espère que c'est pas un feutre indélibile.. » annonce t-elle en le regardant écrire sur sa peau diphane. Il lui explique que c'est son prénom, elle tente de retenir les lettres, puis il s'attaque à son propre prénom. D'accord, elle va retenir, la rousse hoche la tête d'un air entendu. « Qu’est-ce que tu veux apprendre comme mot ? » Bonne question. « Bonheur. » demande t-elle, bon, c'est sûr que cela ne va pas lui servir dans la vie courante, mais disons, pour sa culture personnelle alors. Il n'a pas le temps de lui répondre qu'elle ouvre une nouvelle fois la bouche. « Comment on dit je suis française ? » le questionne t-elle, histoire de penser aux trucs pratiques.

« J'espère que c'est pas un feutre indélébile.. » Heu... Si je vous dis que je n’ai pas vérifié, j’ai le droit de paniquer intérieurement ? « T’es déjà tatouée, mon ange... Dix de plus, ça devrait pas te faire peur. » Je lance avec un sourire hésitant, tout en jetant un coup d’oeil discret à la marque du feutre. Je poursuis tout de même mon travail d’écriture sur sa peau, pour ne rien laisser paraître. Un dernier «salut», et je réintègre bras et stylo derrière son dos, histoire de vérifier les contre-indications, tout en lui demandant son avis sur le prochain mot pour faire diversion. Pas de contre-indication, lavable à l’eau et encre ingérable. Sans déconner ? C’est un truc pour enfant de moins de 4 ans ? Je suis presque déçu. Gabrielle lance le mot «bonheur», ce qui me tire immédiatement de la contemplation de mon stylo. Je ne suis pas suffisamment humain pour y voir une signification quelconque. Je ne pense qu’au fait qu’elle m’autorise à poursuivre, et le gamin en moi s’en réjouit. Quelqu’un d’autre y aurait probablement vu une invitation ou un message codé, moi je me contente de m’exécuter. Je me lève du transat, contourne la rouquine pour venir me rasseoir face à elle, cette fois. A califourchon sur le meuble de piscine, je récupère les jambes de Gabrielle, pour les poser sur mes cuisses. Oui, ça aussi ça peut paraître osé voir intime pour un regard extérieur, mais moi je ne pense qu’à la praticité vis-à-vis de mes gestes. Bonheur, donc. Je débouche le feutre une nouvelle fois, et avec concentration m’applique à reproduire les cyrilliques sur le haut de sa cuisse. «СЧАСТЬЕ» s’étale à présent de tout son long, joliment. « Ca se prononce “schast’e”. Un peu comme pour la chasteté. Chaste. Et pour “je suis française”...» Je reprends le feutre, et le laisse glisser sur sa peau. J’en tire presque la langue de concentration, les lettres noircissant la blancheur naturelle de sa hanche. «Я француженка». « Le ‘R’ inversé, c’est le ‘je’ russe. Ça se prononce “ia”. Le verbe être n’existe pas au présent, donc en fait, on ne dit pas “je suis française.” mais “je française”, “ia frantsoujenka”. » J’achève mon mot en une jolie boucle, puis relève la tête vers elle. « Quoi d’autres ? » je demande avec engouement, à croire que j’ai toujours rêvé de faire ça.

« T’es déjà tatouée, mon ange... Dix de plus, ça devrait pas te faire peur. » Hm, c'était pas un argument valable, elle espère juste qu'il a bien vérifié que cela s'enlevait parce que bien qu'elle adorait Syssoï, elle ne voulait pas se balader toute sa vie avec du Russe écrit un peu partout. La jolie rousse était justement assez bien tatoué pour cela, elle ne voulait pas non plus ressembler à une ex taularde ou ..à autrechose. « Justement, j'ai plus de place.. » réplique t-elle en fronçant légèrement le nez, le bougeant de quelques milimètres. Parce que des tatouages, elle en avait à la pelle, sur les côtes, au niveau des mains, des hanches, sur son avant-bras, au niveau des chevilles. Bref un peu partout lorsqu'on y pensait, et la rousse compte s'en refaire un en sortant, chose numéro cinq sur sa liste. Elle réflechit au mot qu'elle voulait apprendre, bonheur avait fusé comme cela, elle allait rajouter malheur lorsque quelquechose de plus pertinent lui traverse l'esprit. 'Je uis française' elle pourrait déjà s'en servir plus souvent que le mot bonheur, enfin, vous savez quoi, cela n'avait aucune importance. Syssoï contourne le trasat pour venir s'asseoir en face d'elle et de s'emparer de ses jambes. A croire qu'aucune partie de son corps allait être épargné, il s'applique à être lisible, c'est la moindre des choses puisse qu'elle lui prête ses jambes en guise de papier humain. Elle se penche donc, observant la main de son partenaire qui bougeait rapidement avec la pointe du feutre sur le haut de sa cuisse, il fait exprès de détailler la prononciation, parce que c'est apparemment pas une language facile. Il remonte jusqu'à sa hanche pour le 'je suis française'. En gros ce verbe n'existe pas. « Avec tout mon respect ... » commence t-elle en souriant avant de prendre le temps de s'étirer. Ses bras s'étirent en haut, légèrement vers l'arrière, et son dos se cambre pour suivre le mouvement, quatre secondes plus tard, elle relâche tout. « C'est quand même une langue étrange. » finit t-elle doucement en le regardant. Il attend qu'elle lui demande d'autres mots. « Pompier ? » Une seconde plus tard. « Attends, attends, comment on dit danseur, d'abord ? » lui demande t-elle, souriante avant de souffler sur une mèche qui la gène.