Avec Anabel, le vendredi 18 mai, 15h30.
Ca avait l’air de ruine. En tout cas, ça n’avait pas l’air en très bon état. Et c’était foutrement intriguant. Alors sans vraiment hésiter, j’avais parcouru les quelques mètres qui me séparaient de ces grands murs de pierre. J’escaladais le mur de pierre qui se tenait face à moi, jouant le téméraire, ne faisant pas vraiment attention au fait que je pouvais me briser la nuque à tout moment. C’était le problème de la production, ça, ils n’avaient qu’à pas nous mettre sous le nez une telle opportunité d’escalade. Depuis ma plus tendre jeunesse, j’escaladais tous les arbres qui rencontraient ma route. Ca m’avait valu pas mal de blessure, mais j’avais acquis une agilité de singe – sans me vanter. J’accédai sans trop de difficultés – à part deux ou trois moments assez critiques, mais j’avais une chance de tous les diables – sur le chemin de ronde que j’entrepris de parcourir. Mais mon regard fut tout de suite arrêter par la magnifique vue. C’était vraiment un très joli parc. J’avisais alors une silhouette près de moi, une fille à qui je n’avais jamais parlé. Mais pas farouche pour un sou, je m’approchais d’elle, un sourire avenant sur les lèvres. « Ca m’dérangerait pas d’avoir un jardin pareil, chez moi. Ce serait même plutôt pas mal, nan ? » Je restais quelques secondes à contempler la vue, avant de me tourner vers elle. « J’me présente : Daphnis. Et toi ? J’espère que d’ici quelques jours je connaîtrais le prénom de tout le monde, mais bordel, y’a vraiment trop de monde. » Je me demandais même comment on parvenait à tous vivre dans la même maison sans que personne ne se marche sur les pieds. Sûrement parce que la demeure était grande, ça aidait. Ce n’était pas dans le petit appartement familial qu’on aurait pu caser autant de personnes en même temps. Avoir la fortune avait des avantages non négligeables quand même … Mais parait que ça rend atrocement con, un jour ou l’autre.

J’avais l’impression de me balader à la limite d’un monde, avec vue sur tout ce qui m’entourait, à l’horizon. Ce monde s’avérait plutôt limité, mais pour les trois mois à venir – préférablement – il serait le mien. Le nôtre, à nous, participant de cette aventure. Trente-six a se marcher sur les pieds, malgré toute l’espace à notre disposition. Mais peu importe l’espace qui nous aurait été octroyé, c’était tout bonnement impossible de s’éviter. Les gens finissaient toujours par se retrouver, s’amener en duo, en trio, en groupe. L’humain n’était pas fait pour vivre en solitaire, mais parfois, ces moments d’isolement étaient ce qui nous permettait de garder la tête froide. Et après une première semaine chargée d’émotions diverses et incohérente, j’avais jugé bon de prendre un peu de temps pour moi. Accoudée au rebord de la rambarde, je scrutais le grand parc qui s’étendait sous mes yeux. Je profitais de ce semblant de calme qui régnait autour de moi pour respirer et faire le vide. Inspiration, expiration. Cette technique de relaxation fonctionnait à merveille sur moi. Je me sentais déjà plus détendue, plus paisible. Si bien que la présence nouvelle d’un candidat à mes côtés ne me dérangea point. « Ca m’dérangerait pas d’avoir un jardin pareil, chez moi. Ca serait même plutôt pas mal, nan ? » fit-il en venant m’aborder, et j’esquissais un léger sourire du bout de mes lèvres. Ma tête se tourna vers lui, et mon regard le scrutant, je n’arrivais tout simplement pas à mettre un nom sur son visage. Il avait dû entendre mes prières, car quelques secondes plus tard, il s’exécuta. « J’me présente : Daphnis. Et toi ? J’espère que d’ici quelques jours je connaîtrais le prénom de tout le monde, mais bordel, y’a vraiment trop de monde. » « Anabel. » me présentais-je tout simplement. Je n’aimais pas y mettre un trop grand volume de blabla inutile quand la seule information qui les intéressait vraiment se contenait dans un ou deux mots, tout au plus. « Je reconnais bien quelques visages, mais pour les noms, je passe mon tour… ça viendra avec le temps, j’imagine. »

Je fis un léger sourire alors qu’elle me répondit. Elle n’avait pas l’air d’être une très grande bavarde. Ou alors je la dérangeais, tout simplement. Mais tant qu’elle ne me dégageait pas à coup de savate, je n’avais rien à craindre. Si bien que je pris la décision de venir m’appuyer sur la rambarde à côté d’elle, le dos contre la rambarde et le visage tournait vers elle, le magnifique paysage derrière moi. J’hochais de la tête, d’accord avec ses paroles. Oui, ça viendrait sûrement, tout du moins je l’espérais. J’avais bien un penchant pour les petits noms, mais je n’étais pas sûr que tout le monde les accepte sans mot dire. Et puis, il faut bien connaître une personne pour trouver le surnom exact correspondant vraiment à la personne. Et pour l’instant, je ne m’étais pas encore assez rapproché pour ça de personne. Mais ça aussi, ça viendrait, je ne m’en faisais pas trop. « De toute façon, je doute que quelqu’un sache déjà tous les prénoms … Trente-six, quoi. En une semaine, ce serait un miracle de tous les avoir retenu. Ou alors on a une tête très bien faite. » Je parlais sûrement trop, mais tant qu’elle ne m’avait pas condamné au silence, j’en profitais pour débiter des inepties. « Ca détend, ce paysage. C’est moins oppressant qu’à l’intérieur. A l’intérieur, c’est trop beau. Trop … clinquant. C’est joli, mais ça brûle les yeux à force, tu ne trouves pas ? » Je me demandais si elle allait me répondre, ou si elle allait se perdre dans la contemplation du jardin. Il y avait de quoi, c’était tellement beau et serein.

Ce n’était pas tant que je n’étais pas bavarde, non. J’étais plutôt du genre à être d’une bonne écoute plutôt que de bons conseils, et j’évitais d’ordinaire de trop parler, préférant me taire et garder ma salive pour ce qui en valait vraiment la peine. Peut-être que certains me prendrait pour cette fille froide que je n’étais pas, peut-être se trompait-il. Néanmoins, ce visiteur ne me dérangeait pas du tout. En fait, j’appréciais même sa compagnie : quiconque qui ne soit pas Andreas m’était tolérable, en comparaison. « De toute façon, je doute que quelqu’un sache déjà tous les prénoms … Trente-six, quoi. En une semaine, ce serait un miracle de tous les avoir retenu. Ou alors on a une tête très bien faite. » J’esquisse un sourire. Il est vrai que celui ou celle qui aurait réussi à mémoriser les trente-cinq prénoms de nos charmants colocataires étaient franchement douer d’une mémoire phénoménale. « Je n’ai pas la mémoire des noms, c’est fou. Par contre, je retiens tous les visages des gens que je rencontre… il me semble que c’est plus important. Avoir le souvenir des gens. » Comme un appareil photo, j’avais une mémoire photographique relativement étendue. Une simple image pouvait me rappeler une tonne de souvenir… que ce soit un paysage ou des gens. Mais souvent, j’étais incapable de me rappeler du nom de ces endroits, ou des personnes que j’avais pu rencontrer. Note à moi-même : apprendre à noter leurs noms derrière la photo. Ainsi, même avec le temps qui passait, j’aurais toujours un moyen de me souvenir. « Ca détend, ce paysage. C’est moins oppressant qu’à l’intérieur. A l’intérieur, c’est trop beau. Trop … clinquant. C’est joli, mais ça brûle les yeux à force, tu ne trouves pas ? » Je trouvais amusant qu’il parle du paysage alors qu’il lui tournait le dos… Hm. Mais ce n’était important, au final. « Cette grandeur donne une certaine impression de liberté… même si tout ça n’est qu’illusion. » De l’autre côté du rempart s’étendait la forêt, une forêt qui semblant s’étirer à l’infini, mais tout ça n’était le résultat qu’un d’un jeu de miroir et de lumière. J’avais failli m’y cogner, je pouvais bien le savoir, maintenant.