W/ LAOISE.

Je rêve. Ils ont des chiques en forme de fraise, là, au-dessus. Des chiques en forme de fraise. Je rêve. Peut-être une traduction s'impose-t-elle. C'est vrai que français et belges ne parlent pas exactement le même langage. Vous savez, les chiques. Mais si, les chiques, les bonbons, du genre dragibus, fraise tagada, tout ça. Enfin, ce genre de trucs, là. Et les fraises, dieu, les fraises. C'était les meilleures, sans aucun doute. Les acidulées comme les plus douces. Sérieusement, j'en aurais mangé toute la journée. Pauvre enfant que j'étais. Des fois, j'avais l'impression d'avoir six ans d'âge mental. C'est fou. On m'avait souvent qualifié de cette façon. Un coup incroyablement mature, un coup pas du tout. Bah. J'étais mature quand la situation en imposait, je suppose. Quoi que je m'en fous pas mal, dans le fond. C'était pas ça qui me préoccupait pour l'instant. Perché sur la première planche de l'étagère, je tentais d'atteindre la réserve de... bonbons. J'avais beau être grand, je ne cessais de maudire l'abruti qui avait décidé de taper ça là. N'importe quoi, franchement. Bref, avec quelques centimètres d'élan, j'arrive enfin à saisir un millimètre carré de sachet et tire dessus. Dommage collatéral, la moitié des sachets voisins sont emportés avec, et me tombe sur la gueule, me forçant à sauter de l'étagère pour éviter d'être tué à coup de paquets de chiques. Serrant les fraises entre mes doigts, je constate les dégâts un quart de seconde avant d'entendre dans mon dos la porte du cellier s'ouvrir. Toujours dans ma position d'atterrissage, je pivote pour constater que Laoise vient d'entrer dans la pièce. « Euh, c'est pas moi, j'ai un alibi, j'étais au cinéma » je lâche aussitôt, impossible de me retenir. Je dois avoir l'air particulièrement ridicule, et vaguement perdu aussi. Le genre de situation dans laquelle, inversement, j'aurais éclaté de rire à n'en plus pouvoir m'arrêter. Me redressant finalement, une moue songeuse sur le visage, j'adresse un regard au tas de sachets qui jonchent le sol, puis à Laoise. « Un bonbon ? » je souris alors, retenant un rire, finalement amusé par la situation, lui désignant les paquets de chiques éparpillés.

Qu'est-ce qu'on dit déjà, concernant le grignotage ? Ah oui, que c'est mal. Soit disant. Laoise ne le voyait pas du même œil. Du moins, elle se faisait un plaisir de rappeler à ses proches que c'est mauvais pour la santé mais ne s'empêchait pas pour autant de le faire elle-même. Ouais, elle était quelque peu deux poids, deux mesures la Laoise, elle n'appliquait jamais ses propres conseils. Et donc, vous vous doutez bien que si elle pensait grignotage, c'est qu'elle comptait se rendre au cellier dans l'espoir d'y dégoter un quelconque paquet de gâteaux. Oui, elle comptait prendre environ vingt kilos dans ce jeu, c'est grave, docteur ? Oh, allez, ce n'est rien, elle avait un métabolisme pas trop chiant qui éliminait assez rapidement toutes les calories superflues. Une chance, autant le dire. C'est donc toute pimpante qu'elle se rendit dans la pièce exiguë et là, spectacle étonnant. Elle fronça les sourcils, preuve de sa surprise. Qu'est-ce qu'Ennio était en train de nous pondre, là ? Il déclara que ce n'était pas sa faute, affirmant être au cinéma à ce moment-là. Mais bien sûr. « D'accord.  » acquiesça-t-elle, amusée. S'il le disait après tout hein, elle ne voudrait pas le contredire. Et voilà qu'il essayait de la prendre par les sentiments maintenant. Ouais, c'était juste pour la faire taire, ça, elle en était persuadée. Elle n'allait pas céder à cette tentative de distraction, oh, non, jamais. Non, non, non, non, non. « Oh, oui, je veux bien. » Merde, elle n'avait pas voulu céder, pourtant. L'appel des bonbons était trop fort. Grr. C'était son estomac aussi qui parlait pour elle. Et sa gourmandise. Zut alors. Ils ne pouvaient pas se taire, ces deux-là ? Apparemment, non. Double zut.

Bon, j'aurais pu tomber sur pire. C'est vrai ! Imagine si je m'étais retrouvé face à... non, je ne sais pas, en fait. Je crois que qu'importe la personne ayant débarqué à ce si mauvais moment, j'aurais réagi exactement de la même façon. Elle m'observe. Je l'observe. Elle sourit. Pourquoi j'ai l'impression qu'elle ne me croit pas ? Je réprime un sourire. Oups. Tu n'as rien vu. Tu n'as rien vu, tu n'as rien vu, tu n'as... De toute façon, elle semble plus intéressée par ma récolte - finalement, c'était peut-être pas si mal que tant de sachets soient tombés, maintenant que j'y pensais, un seul, c'était pas énorme - que par la situation en elle-même. Une gourmande hein ? Je suis d'humeur généreuse, alors je lui propose de partager. « Alors je peux te proposer, euh, ça, ici, » je désigne les coca « ces machins-là » des espèces de framboises dégueulasses que j'avais toujours détesté et, juste à côté, des lutti frutti « et tout ça, là-bas, en fait » je rigole en englobant d'un geste le tas de victuailles. Ouais, parce que même en étant particulièrement motivé, pas sûr que je sois capable d'avaler tout, et j'avais vraiment, vraiment pas le courage de réescalader l'étagère pour retaper tout à sa place. Ou alors, elle se mettait sur mes épaules. Ou alors, je rangeais tout ça dans un endroit plus facile d'accès, et je reviendrai demain. Ouais, c'était pas une mauvaise idée. « Mais je me garde les fraises. J'le mérite, non ? J'ai quand même risqué ma vie pour ce butin » je continue, farouche, souriant. Je brandis mon précieux paquet de fraises acidulées, que je peux enfin ouvrir. Me laissant tomber en tailleur à côté du tas de sachet, j'enfourne une fraise, tapote le sol à quelques dizaines de centimètre de moi, l'incitant à s'asseoir. « Je veux dire qu'en arrivant, là, tout de suite, j'ai pris le risque de me faire coincer par le responsable, puisque bien évidemment, j'étais au cinéma » et un air angélique terriblement sincère. On y croyait, non? Presque? Presque.

Sa faiblesse face aux sucreries la perdra. Clairement. D'autant plus dans ce jeu où l'activité physique était réduite – si on ne compte pas le sport de chambre, mais Laoise n'était pas concernée par la chose – elle risquait de grossir considérablement avant sa sortie. Dans la vie « normale », c'est bien plus simple: suffit de ne pas en acheter au supermarché et c'est dans la poche. Sauf que là, des bonbons et autres gâteaux, ils en avaient constamment sous les yeux. À croire que la production voulait que les candidats deviennent des éléphants en devenir durant l'aventure. Qu'importe. Son attention était attirée par toutes ces bonnes choses – enfin, pas pour la santé – qui se trouvaient au sol, qui étaient d'ailleurs présentées – en quelque sorte – par Ennio. Hm, qu'allait-elle donc choisir ? Dur de se décider quand ils lui faisaient tous de l'œil. Allez, c'était parti pour les schtroumpfs. Ouais, elle adorait leur manger la tête et alors ? C'est pour tous les mercredis après-midi où elle se tapait les épisodes en boucle grâce à son adorable petite sœur. Elle s'empara du paquet, écoutant d'une oreille discrète ce qu'Ennio lui racontait. Un peu contradictoire, le petit. Il fallait s'en tenir à son histoire, quand on raconte un bobard, quand même. Il venait de se trahir, c'est bête. Toutefois, elle n'en dit rien, se contentant de s'asseoir à côté de lui, laissant apparaître un sourire amusé. Oh, vous savez, il pouvait lui dire la vérité, elle-même avait quelques secrets concernant la nourriture. Ouais, elle s'était faite sa petite réserve des meilleures gourmandises, et alors ? Elle avait le droit, non ? Cela dit, il reprit affirmant être au cinéma au moment des faits, assurant avoir risquer sa vie en tombant sur le coupable. Mais bien sûr. Elle ouvrit son paquet de bonbons et en coinça un entre ses dents, lui arrachant sans la moindre délicatesse sa jolie tête bleue. « Je n'en doute pas une seconde, t'as été tellement brave. » qu'elle approuva, faussement sérieuse en le désignant de son bonbon mutilé. Genre. « Ça t'arrive souvent de t'empiffrer presque en cachette ? » C'était une question comme une autre, après tout. « Non, parce que si c'est le cas, je pense que tu devrais faire ta réserve, tu vois ? Que tu caches les meilleurs bonbons et que tu laisses le reste aux autres goinfres. » Elle disait ça, elle disait rien hein. « Tu me diras où tu planques tes trucs, hein ? » Laoise, neuf ans d'âge mental, enchantée. Allez, elle voulait bien faire un compromis : s'il lui disait où il cacherait sa réserve, elle lui dirait où était la sienne. Peut-être. On verra, disons.

Merci de reconnaître mon hardiesse et mon courage. Merci. M'en fous si elle me croit pas. J'avais aussi des dossiers sur elle. Genre qu'elle se glissait en douce dans le cellier pour grignoter à l'abri des regards. C'était pour ça, non ? Oh, tant pis si c'était pas pour ça. C'était sa parole contre la mienne, et j'avais des vidéos de surveillances qui le prouvaient, haha. Et comme on était pas dans un film d'espion et que supprimer les fichiers top secret de Cupidon nécessitait une capacité de hacking que je l'estimais loin de posséder, je ne me faisais pas de soucis. Dieu que j'étais diabolique. « C'est que d'habitude, j'ai personne pour me surprendre, donc personne de qui me cacher » je réponds en m'appuyant en arrière sur mes mains posées à plat sur le carrelage, l'air blasé et soupirant faussement. Sérieusement, à part mon chien à qui je racontais tout et n'importe quoi, j'étais seul au monde dans mon appartement, merci à l'alternance de vide et de chaos qui constituait ma vie sentimentale. Ouais, parce qu'entre mes périodes de célibat - que je préférais nettement à mes périodes de vie à deux, bizarrement - les aventures sans réelle consistance et celles qui ne duraient pas soit parce que j'en avais marre ou parce que ça ne collait pas, c'était pas gagné. Cela dit, je ne m'en plaignais pas. Comme je l'avais déjà dit, l'amour, le vrai, ça ne m'intéressait pas. Pas encore, en tout cas. Je voulais trouver une nana de rêve bien sûr, mais pas tout de suite. Sinon, je me lasserai d'elle avant la fin de mes jours, je me connaissais. Bref, je l'observe avec méfiance, tandis qu'elle expose ses plans. Une réserve. Pas mauvaise idée. Mon visage s'éclaire, se rembrume aussitôt qu'elle émet la proposition de partager. Était-elle digne de confiance ? Telle était la question. Je fais mine de réfléchir, fourrant une nouvelle fraise en bouche, que je mâchonne avec distraction, souriant d'un sourire automatique qui s'était tellement peint sur mon visage que celui-ci en était marqué à tout jamais. « D'accord. Mais il faudrait qu'on instaure un mot de passe pour y avoir accès. » Je lève les yeux vers le plafond, en pleine réflexion. « Un genre de cri de guerre tu vois ? pour qu'on soit les seuls à pouvoir profiter des meilleurs bonbons ! » que j'ajoute en esquissant un grand sourire. C'était une offre sans précédent que je lui faisais là. La garde alternée des bonbons. C'était comme si je lui proposais de lui prêter mon cleps ou mes clopes ou pire, ma guitare. Aussitôt, je me mets à réfléchir. « Une idée? » Je me redresse d'un coup, coudes sur les genoux, penchés par-dessus le tas de sachets. « C'est quoi le mot le plus bizarre que tu connaisses ? » je lui demande. Et pas un mot à la Valentina et ses désoxyribonucléique, please. Un truc prononçable.

C'est dingue ce qu'on peut faire pour un maudit paquet de bonbons, quand même. C'est pas normal. C'est limite pire que de la cocaïne. Pas qu'elle ait un jour touché à une substance illicite, rassurez-vous. Seulement voilà, vu la façon dont elle ne pouvait s'empêcher de grignoter dès qu'une friandise croisait son chemin, ou simplement son esprit, elle commençait à se demander. Si ça se trouve, il y avait une très fine dose de drogue, là-dedans. C'est pour ça que les gens ne pouvaient pas s'en passer, en fait. Ou alors, c'est juste que Laoise était tout particulièrement gourmande... Ouais, c'était probable aussi. Enfin bref. Elle l'avait interrogé sur cette éventuelle manie qu'il avait de se planquer afin de s'empiffrer jusqu'à être sur le point d'en vomir. Ça sonne un peu boulimique, dit comme ça, mais ce n'est pas le cas. Le truc, c'est que quand on mange des bonbons, on en mange forcément jusqu'à ne plus pouvoir et être dégouté par le sucre. Normal. « Ouais, ça tient la route, je suppose. » C'est vrai que s'il n'avait personne de qui se cacher, après tout... Sauf que ça changeait maintenant. Eh oui, puisqu'il y avait Laoise. Ainsi que tous les autres candidats qui se faisaient souvent une joie de surprendre les gens. Parait-il. Donc bon... Son petit secret ne tiendrait sûrement pas longtemps. Dommage. Ou alors, en effet, il pouvait toujours être question d'une planque. Ouais, une planque, une réserve, un faux-fond dans une armoire, bref, ce genre de conneries qu'on voit dans tous les films qui veulent insuffler un peu de mystère à leur scénario vacillant. C'était une bonne idée, pas vrai ? Bien sûr que si. Si bien qu'Ennio aurait bien tort de s'en priver et de refuser. Surtout refuser de partager, en fait. Il accepta. Ah, génial. Elle arracha un bras à son bonbon pendant qu'il réfléchissait. Un mot de passe, donc. Hm. Attendez, elle y réfléchissait. Pas facile, facile, tout ça. Il lui demanda même le mot le plus bizarre qu'elle connaissait. Ah. Tout en finissant son petit bonhomme bleu et en plongeant sa main dans le paquet de bonbons, elle essaya de trouver un mot qui pourrait correspondre à sa requête. « Hm... » Un mot, un mot, un mot étrange même, alors euh... « Australopithèque ! » Bon, c'était pas nécessairement un mot super étrange – quoique – mais c'était le premier qui lui venait à l'esprit. « Tu crois que ça le ferait, comme mot de passe ? » qu'elle lui demanda alors en vrillant son regard en sa direction, curieuse. Au moins, personne d'autre n'allait le trouver celui-là, c'était clair.

Ça tient la route. Évidemment que ça tient la route, ah! Raisonnement on ne peut plus logique. Même si d'un côté, je n'acceptais pas les nanas hermétiques aux bonbons chez moi. Oh non, pas moyen. J'ai pas tellement d'exigences à vrai dire, je marchais plus au feeling et je me foutais assez des mauvais côtés que pour me focaliser sur les bons. Sans être naïfs, tout de même, je n'avais jamais hésité à rompre quand j'étais désagréablement surpris ou lassé. Bref, les élucubrations continuent. J'avais l'art de lancer des conversations un peu étranges. On était quand même en train de parler de cachette secrète à bonbons, de cri de guerre, et de... d'australopithèque ? Un quart de demi seconde de réflexion. Australopithèque hein. Je tourne le mot dans tous les sens en pensée. Australopithèque. « Faudrait pas que le présentateur se reconnaisse. Tu sais, le brun balafré qui fait les machins de popularité. Ça devait être ça son secret : j'ai raté quelques grandes étapes de l'évolution et je me suis pris une branche en voulant rattraper les autres. » Je me retiens de pouffer mais un sourire barre malgré moi mon visage. Aie, adieu crédibilité. Non mais franchement, j'avais rien contre ce gars moi, hein, c'était juste qu'il était le premier auquel j'avais pensé - pas de bol - en ayant besoin d'une victime pour mes vannes impossibles à retenir, pas toujours drôles, certes, mais voilà. « Non j'rigole. Australopithèque c'est bien. En plus, on aura l'air tellement idiots que personne ne voudra nous approcher. » J'imaginais parfaitement la scène. Si en plus en rajoutait un... comment ils appellent ça? ka mate ka mate ! les all blacks ! un haka? ouais, c'est ça. Un haka. J'nous voyais tous les deux en train de faire un haka en hurlant "australopithèque" pour que la boite de Pandore s'ouvre, nous laissant libre accès aux bonbons sacrés. Aucun risque qu'on nous adresse encore la parole. Et plus aucune chance que quelqu'un prenne le risque de s'approcher de trop près de notre cachette, par conséquent. Sur ce, j'attrape une nouvelle fraise - déjà la troisième ou quatrième, je les gobe vite ces trucs-là - que je grignote pensivement. Finalement, dans un élan d'impulsivité, je brandis mon morceau de chique d'un air solennel, dans un geste de promesse. Accord sellé, baby. Nous voilà les heureux papa et maman d'une réserve de bonbons.

Quoi ? Australopithèque, c'était cool comme mot de passe, non ? Il avait par ailleurs de nombreux avantages. Le premier, c'est que personne ne le trouverait et ainsi, leur planque serait bien gardée et cela à tout jamais. Le deuxième, c'est que personne ne chercherait à comprendre et que même si c'était le cas, ils pourraient inventer toute une histoire concernant la chose, ce qui ne devrait pas être très compliqué, tout de même. Ils pourraient feindre une discussion scientifique. Bien sûr qu'ils pourraient, voyons, ne soyez pas mauvaise langue. Et le troisième avantage, c'est que les autres pourraient toujours essayer de le retenir, il y avait peu de chances qu'ils y arrivent. Pas qu'ils étaient débiles ou quoi, mais pourquoi retenir ce mot-là plutôt qu'un autre, hm ? Donc, en résumé, le mot de passe semblait sain et sauf, à l'instar de leur réserve de sucreries. Sinon, à la rigueur, si jamais australopithèque n'était pas un mot adéquat, ils pourraient partir sur un mot genre « gargouillis » ou bien « mousseline », il n'y avait aucun soucis. Bref. Ennio sembla associer le fameux mot de passe à l'un des présentateurs de l'émission. Ouais, c'était méchant, mais cela la fit rire quand même. Elle pouvait rire pour rien, ouais, c'est vrai. Quoi qu'il en soit, l'australopithèque était adopté. Génial. Elle n'allait pas l'oublier de si tôt. Et ouais, ils auront sûrement l'air un peu cons, mais bon, peu importe. Laoise n'en était pas à sa première honte, qu'on se le dise. Et donc, l'accord était scellé. Par-fait. Ne restait plus qu'à trouver une planque, non ? Parce qu'ils pouvaient bien avoir un mot de passe, s'ils n'avaient rien à cacher, ça servirait prodigieusement à rien du tout. « On les cache où les bonbons, dis ? Faut trouver un endroit que personne au monde ne pensera à fouiller, genre, au fond du lac... » Mais quelle excellente idée, Laoise ! C'est vrai que ça va être pratique pour foutre la planque là-bas et pour y retourner dès que l'envie se fera sentir. « Ouais bon, mauvaise idée, j'admets. Mais si on met dans un endroit trop évident, avec les fouineurs qu'on a dans ce jeu, tout le monde va trouver notre réserve. Et je crois savoir qu'on n'est pas les seuls gourmands dans le coin. » Ouais, c'était fort probable. Et puis, peut-être bien que certains compensaient le manque affectif par la bouffe... Vous croyez qu'Ezéquiel faisait ça ? Oh, flippant. Mieux valait ne pas imaginer le gaillard en train de s'empiffrer de fraises tagada dans le cellier, assis au sol, en pleurant toutes les larmes de son corps... D'accord, là, son image venait d'en prendre un coup. Toutefois, elle secoua la tête pour effacer ces pensées étranges. C'était le sucre qui lui montait au cerveau, à coup sûr. Pas grave, elle allait prendre un autre bonbon quand même.

Bon, le problème du mot de passe était réglé. Parfait. Parfaitement parfait. Un poids en moins sur nos frêles épaules. Mais... ah. Elle soulevait un problème assez délicat et pertinent, là. Mince. C'est vrai ça. A quoi bon un mot de passe si on a pas de cachette secrète ? De repère caché ? De petit lieu à protéger ? Je suis con ou quoi, de ne même pas y avoir penser ? J'étais tellement occupé à trouver la combinaison parfaite, le code infaillible, que j'en zappais l'essentiel. pff, ridicule. Elle avait été vachement plus maligne que moi, pour le coup, chapeau Laoise. Parce qu'on aurait eu l'air bien fin, à se rendre compte seulement en fin d'élaboration de plan qu'on avait manqué une étape essentielle. Foutre un code à un endroit que tout le monde pouvait trouver, c'était ridicule. Elle propose donc le... fond du lac ? « Gardés par des sirènes tueuses et des poissons venimeux » je réponds aussitôt, avant d'éclater de rire, non pas pour me moquer d'elle mais juste parce que je trouvais ça marrant. Si on venait à se disputer dès le début de la garde partagée, ça allait mal se passer, et mal se finir. Finalement, elle recommence ses élucubrations. J'acquiesce d'un air grave. Ça c'était certain, un endroit trop commun, c'était mort direct. Vu comment les gens passaient leur temps à bouffer ici, valait mieux être prudent, parce qu'un beau petit tas de bonbons qui leur faisait de l'œil, à leur place, je n'hésiterais pas une seconde. Je m'immobilise une seconde, en pleine réflexion, tentant vainement de faire ressurgir la minuscule partie stratège de mon esprit. « Ou alors, on le met à un endroit évident, où personne ne pensera à aller chercher, en se disant que justement, c'est trop évident ! » je commence, pensif. Ouais, ça marchait souvent ce genre de technique. Mettre quelqu'un chose quelque part où il serait tellement logique qu'elle s'y trouve, qu'on en devient certain qu'il est impossible qu'elle y soit. C'était la base de tout cacheur de quelque chose, de savoir ça. « Sauf s'ils résonnent comme moi et vont donc voir dans l'endroit en question. » Je me redresse légèrement, absolument lancé dans mes tactiques et stratégies. Penser à la place de l'autre, c'était essentiel, oui, essentiel. Mais aussitôt, je me reprends, secoue la tête. « Non attends, je crois que je vais trop loin » je dis en riant. Les gens de cette émission étaient pas assez intelligents que pour refaire tout ce petit cheminement. Ou alors, ils n'en avaient juste rien à foutre, et iraient directement dans l'endroit où étaient supposés être stockés les bonbons sans penser une seule seconde à l'hypothèse que quelqu'un ait pu les cacher ailleurs. « La chapelle ? Non, attends, trop de toiles d'araignées. La salle de sport? Hmm, trop de vapeur de transpiration. Y'a pas un seul endroit dans ce château qui soit un peu propre, en fait. Sous ton lit, peut-être? Attends, t'es pas dans ma chambre, toi? » je recommence à marmonner, passant en revue les différentes cachettes possibles que nous offrait le nid. Il avait beau être immense, je ne parvenais pas à en trouver une qui me satisfasse pleinement. Pff. C'est trop demandé, pour une baraque qui abrite spa, salle de surveillance, et tutti quanti, de prévoir un coffre-fort ou quelque chose comme ça ? Je reviens sur Terre, brusquement, observe Laoise une seconde. « Scheiße, je parle trop, désolé » je m'exclame, me rendant compte que j'étais vraiment en train de parler pour dix. Bon, c'était habituel, mais voilà, elle ne me connaissait pas encore assez pour le savoir, elle devait me prendre pour un schizo ou un truc comme ça.

Le fond du lac, c'était tout de même un excellent plan. Si on ne compte pas le fait qu'il serait difficile d'y accéder et que ça risquait d'être particulièrement pénible de se faire quinze jours d'apnée afin de récupérer et de refoutre leur butin au fond de l'eau, c'était quand même une très bonne idée. Qui irait se dire, sérieusement: « oh, tiens, les fourbes, ils ont planqué les bonbons au fond du lac, les salopards. ». Non, c'était totalement impossible que qui que ce soit devine. À moins de les prendre en flagrant délit, bien sûr. En attendant, c'était encore l'endroit le plus difficile à fouiller. Mais ouais, c'était un peu improbable, sans doute. Ennio proposa alors de faire la planque dans un endroit tellement évident que ça passerait crème. Ouais. Pas sûr. Elle plissa les yeux, en pleine réflexion. Et comme s'il était capable de lire dans ses pensées, il expliqua parfaitement bien les choses. Connaissant les autres candidats, ils se contenteraient de venir récupérer des bonbons à l'endroit dont ils ont l'habitude et puisqu'ils s'y trouveraient, les candidats n'auraient pas besoin de chercher à comprendre davantage. Donc, ouais, mauvais plan. Pas quelque chose d'évident. Elle acquiesça, donc. Puis il proposa tout un tas de lieux différents, chose qui lui fit plisser le nez. La chapelle ? Ouais, mais non. Elle se voyait mal planquer des sucreries là-bas et s'y rendre en cachette pour s'empiffrer. De toute façon, c'était trop poussiéreux. D'ailleurs, elle devrait penser à aller y faire un petit coup de ménage. La salle de sport ? Non. Surtout que si quelqu'un les trouvait, il allait tout manger. Bah ouais, après l'effort, le réconfort. Trop de risques. Trop de transpiration. Mauvaise idée. Et là, il proposa même sous le lit de la belle. Ah ? Sauf qu'elle fut on ne peut plus distraite par une question. Était-elle dans la même chambre que le jeune homme ? Alors, là, bonne question. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle était dans la même chambre que Malo, mais c'était de la triche, parce qu'ils dormaient ensemble donc... Pour le reste, elle ne faisait pas tellement gaffe. Faut dire qu'elle ne passait pas sa vie dans sa chambre. Elle y dormait et puis, c'est tout. Elle mâchouilla distraitement un bonbon, tâchant de se remémorer la composition de sa chambre. Mais non, peine perdue. Le mieux était sans doute de lui demander. « T'es dans quelle chambre ? » Question existentielle, bonsoir. Puis, elle secoua la tête négativement, sans même attendre la réponse d'Ennio sur sa précédente question. « Sous mon lit, c'est trop évident. C'est là que tous les gosses cachent leurs sucreries, tout le monde devinera. » Bah ouais, c'était on ne peut plus logique. Elle réfléchit à un autre lieu, quelque chose d'insolite, de trop compliqué pour que les esprits sains des candidats n'y pensent. Un truc bien vicieux, bien mesquin. Entre temps, il déclara aussi trop parler, chose qui la fit sourire. Mais non, il n'était trop bavard. C'était bien de l'être. C'était toujours mieux qu'un silence embarrassant, qu'on se le dise. Elle mouva sa tête de gauche à droite afin de lui assurer le contraire avant de repartir mentalement à la conquête d'un endroit pour leur planque. « Ou alors, on peut faire ça dans la forêt. Dans un tronc d'arbre, peut-être. Personne n'ira fouiller les arbres, ça serait totalement idiot. » Bah ouais, vous imaginez le type, vous, qui ne sait pas quoi faire et qui se dit « oh, tiens ! Je vais aller fouiller les arbres, moi. » avec son petit air penaud ? Non, mais s'il vous plait, ça n'aurait pas d'allure, personne ne ferait un truc pareil. « Ou alors, on met ça sous le pont. Genre, on l'attache juste en dessous. Sauf que si quelqu'un y passe et lève la tête, il captera direct. » Difficile, tout cela. Arborant toujours une mine d'intense réflexion, elle continua. « On peut aussi... Oh, non, je sais ! On démonte un des écrans de la salle de vidéo-surveillance, on enlève tout ce qu'il y a à l'intérieur et à la place, on met nos bonbons. Ni vu, ni connu, on n'aura qu'à dire que l'écran ne fonctionne plus ! » Mais bien sûr, excellent plan. Le truc étant qu'il faudrait juste avoir un tournevis afin de démonter le tout mais, eh, Cupidon pourrait bien leur fournir ça, non ? « Ou bien, dans la cave. Devrait y avoir moyen de planquer un truc là-bas. Ou mieux, au milieu du labyrinthe. Sauf que ça sera chiant pour y aller à chaque fois... » Elle avait fait le tour des possibilités, non ? Peut-être pas. À voir. Elle tourna le regard vers Ennio, un sourcil arqué. Alors, verdict ?