featuring laoise

Un con m'avait dit un jour que dans les labyrinthes, il fallait toujours prendre le chemin de droite. Je me souviens parfaitement du moment. J'avais une huitaine d'années et j'étais chez ma tante, à Ostende, sur l côte Belge, et c'était l'été. À cette période de l'année, pas loin de là, ils érigeaient toujours des énormes labyrinthes dans les champs de maïs. Chacun d'eux renfermait figurines, personnes déguisées et petites animations sur une bande-dessinée particulière, ou un dessin animé, et autres. Par exemple, Tintin, comme c'était le cas ce jour-là, les Schtroumpfs, ou le Petit Prince, vous voyez le genre. Alors naturellement, la tantine nous avait envoyés là, avec mon cousin de dix ans mon aîné. J'adorais ce genre d'activités inutiles et je ne m'étais jusque là jamais lassé de chercher la sortie du labyrinthe, poussant des cris de joie lorsque j'arrivais au centre et que je pouvais enfin grimper les marches de la tour de garde en bois pour avoir une vue d'ensemble du champ aménagé. Sauf que mon cousin, à ce moment-là adolescent, ça l'avait plus saoulé qu'autre chose de m'accompagner, si bien qu'il m'avait raconté n'importe quoi pour passer le temps. Notamment cette idée ridicule qu'on trouverait la sortie en prenant toujours à droite. Bah je vous assure que j'avais jamais passé autant de temps dans un labyrinthe. Même dans les palais es glaces de la fête foraine, ça marchait pas, son truc. Bref, début d'après-midi, j'étais sorti du château pour fouler l'herbe du parc, et je m'étais retrouvé à l'entrée de ce foutu labyrinthe. Entre temps, néanmoins, j'étais passé par le pont, j'avais été faire coucou aux voyageurs sur les remparts, j'avais fait la course avec les coccinelles et j'avais tracé à l'aide d'un bâton et en très grand les quatre logos, un par membre, du quatrième album de Led Zeppelin dans le sable de la plage. J'avais traîné, en gros. Et là, j'étais face aux haies trop grandes pour pouvoir apercevoir quelque chose par-dessus, à moins d'être deux et que le premier se perche sur les épaules du second. En l'occurrence, j'étais tout seul. Donc traverser ce labyrinthe - ce que je comptais bien arriver à faire au moins une fois - ne serait fait que grâce à ma seule habilité. De toute façon, j'avais ma petite bouteille d'eau en main, et un paquet refermé de M&M's dans la poche arrière de mon jean. Ainsi, je ne mourrai pas affamé ou déshydraté. Pas tout de suite, du moins. Sans plus de cérémonie, je m'étais engagé dans le premier chemin, prenant soin de ne pas suivre ce ridicule conseil qu'était de toujours prendre à droite.

Laoise se demandait pourquoi personne n'avait eu la bonne idée de faire un plan de ce foutu labyrinthe. Sérieusement, c'était débile. Puisque tout le monde s'y perdait, autant que quelqu'un se dévoue pour explorer le labyrinthe, chaque petit chemin qui le constituait pour le coucher sur papier. Bah ouais. Et voyant de là le business autour de toute cette histoire, l'irlandaise se munit d'un petit bloc de papier, d'un crayon et décida qu'elle allait parcourir les allées de verdure afin d'en esquisser le plan approximatif. Après quoi, elle en ferait des copies et les vendrait aux intéressés. Si, si, c'est comme ça que ça marche. Vous allez voir, elle allait se faire une petite fortune avec cette idée de génie. Elle se rendit jusqu'au labyrinthe, les yeux rivés sur son papier, à dessiner les premiers chemins qui se présentaient à elle. Elle décida de commencer par le chemin de gauche, avançant au ralenti pour compléter son dessin difforme. Et elle continua à avancer, gribouillant sur sa feuille, qui, bientôt, n'était plus assez grande pour contenir tous les chemins. Merde alors. Elle soupira puis leva les yeux. Elle se retourna et commença à suivre le passage indiqué sur son papier, espérant pouvoir aisément retrouver la sortie grâce à cela. Sauf qu'elle n'eut pas le temps de se refaire tout le labyrinthe qu'elle tombait sur Ennio. « T'es perdu ? J'te vends le plan du labyrinthe, si tu veux. À un bon prix. » qu'elle l'interpella alors en désignant son plan du regard. Ouais, elle n'avait pas terminé son exploration, mais cela n'importait pas, pas vrai ? Oh, elle s'en foutait, elle pourrait toujours mentir sur le magnifique plan qu'elle avait fait. Mieux que mappy, sans rire. Bon, ou presque. Cela dit, elle était assez crédible, non ? Et puis, prix d'ami. Un petit buzz erroné et il avait droit au plan. Ouais. Cinq milles balles le plan, c'était un bon prix, pas vrai ?

J'avais à peine l'impression de m'être surestimé. Non parce que là, je choisissais des chemins complètement au hasard, ou en faisant am stram gram. Un peu comme chaque fois que je foutais les pieds dans ce labyrinthe. J'vois pas comment j'aurais pu faire autrement, de toute façon. C'est vrai ça, au fond, arriver à percer les mystères de ce genre de piège, c'était surtout grâce à la chance qu'on y parvenait. Vous allez pas me dire qu'il y avait un genre de code ou que certaines personnes étaient naturellement douées pour l'exercice. Ça demande même pas de l'esprit de l'analyse, juste une bonne étoile. Parce que le coup du "la testostérone améliore le sens de l'orientation" c'était juste une vaste blague. T'as pas besoin de ton sens de l'orientation, ici, un peu de jugeote suffit. L'intelligence de constater que tu repars exactement dans la direction dont tu arrives. C'était ça que je pensais lorsque, tournant brusquement sur le gauche, je manque de percuter quelqu'un. Je m'arrête juste à temps, néanmoins, et baisse les yeux - waw, elle est bien bas - sur la crinière ébouriffée de Laoise. Oh tiens, une copine de galère. Ah, bah peut-être pas en fait, vu ce qu'elle me dit en guise de salutation. Gné? Perdu ? Je secoue la tête. « Je suis pas perdu. Non, je sais parfaitement où je suis. » Un temps. « Au beau milieu d'un labyrinthe. » Oui, vous savez, quelque part entre le nord, le sud, l'est et l'ouest. Ça revient au même. Gné ? Un plan ? Cette parole me frappe seulement à cet instant. Un plan ? Comment ça, un plan ? « T'entends quoi par bon prix ? » je m'informe, plissant les yeux, intéressé. Avant de me reprendre subitement et de secouer la tête derechef, avec plus de vigueur cette fois. « Non ! non ! n'essaie pas de m'embobiner ! j'veux vaincre ce foutu labyrinthe tout seul, question d'ego masculin idiot et machiste. » Malgré moi, je souris. Ouais, fallait avouer que des fois, les mecs avaient des désirs bizarres, uniquement animés par le besoin de se sentir valorisés et puissants. Bah. Les nanas aussi, faut pas croire. C'est juste qu'on avait l'habitude d'entendre les femmes critiquer les hommes avec ce genre d'arguments sous prétexte qu'on prétend qu'elles sont le sexe faible. N'importe quoi. « Qu'est-ce que t'as du faire pour avoir un plan ? La roue déguisée en geisha ? Réciter les nombres premiers jusqu'à dix mille ? Trois fois le tour du lac en chantant l'hymne national irlandais ? » Je suis curieux. C'est vrai ça : où elle l'a dégoté, son plan ? D'où elle le sort ? D'un kinder surprise ? Ou c'était la production qui l'avait un jour oublié dans la cabane en bois ? Marché noir, peut-être ? Elle avait réussi à l'obtenir avant le début du jeu auprès de vautours qui spoilaient des infos de dernière minute ?

Ennio savait-il réellement où il se trouvait ? Elle en doutait. Du moins, si on parlait d'une localisation plus détaillée que celle d'un simple labyrinthe puisqu'il n'était pas compliqué de savoir où il se trouvait s'il s'arrêtait à cette simple indication. Donc ouais, en réalité, il était perdu et ignorait totalement où se trouvait la sortie. Autrement dit, Laoise tombait à pic avec son plan fait maison. Seulement voilà, elle n'avait pas le temps d'en placer une qu'il passait de quelques renseignements sur le prix à un refus total de la chose avant de se laisser aller à une pointe de curiosité. Tout ça en l'espace de soixante secondes, si ce n'est moins. Ça serait presque impressionnant, à vrai dire. Cela dit, maintenant, elle pouvait parler ou bien... ? Pendant qu'il restait silencieux, elle pensa bon de ne pas rater l'occasion pour bavarder à son tour. « Je l'ai dessiné. » Cela enlevait-il de sa valeur au plan ? De la crédibilité à Laoise ? De la crédibilité au plan ? Non, voyons. Si ça se trouve, l'irlandaise était simplement une professionnelle des plans. Peut-être bien qu'elle était livrée avec un gps intégré. Peut-être bien, oui. Ou pas du tout. Elle laisserait Ennio juger de son œuvre. Voilà pourquoi elle leva sa feuille afin de la mettre dans son champ de vision. « Là, on est juste ici. » Elle pointa du doigt un endroit de son plan avant d'y dessiner un petit rond grâce à son crayon, comme si Ennio n'avait pas compris grâce à la première désignation. « Et là, tu vois, c'est la sortie. » Un autre point, totalement à l'opposé du premier. Bien sûr. Cela semblait on ne peut plus évident tant son schéma était simple au possible. De toute façon, il n'avait rien de mieux sous la main donc bon, soit il prenait, soit il continuait à se perdre. À lui de voir. Oh et oui, négocions pour le prix. « Alors, t'es prêt à mettre combien pour le chemin jusqu'à la sortie ? C'est une occasion à ne pas rater, si tu veux mon avis. » Laoise, marchande de tapis, enchantée. Dans une autre vie, elle avait dû être vendeuse ou une connerie du genre. Ah non, en fait. Parce qu'elle était vraiment mauvaise pour convaincre les autres. La preuve était là d'ailleurs. Ce n'est pas avec deux phrases clichées qu'elle allait faire un quelconque bénéfice grâce à ses gribouillis.

Un plan. Je rêve, elle avait un plan. Elle avait l'air d'être absolument certaine de sa véracité en plus. C'était pourtant elle qui l'avait dessiné. Si, c'était ce qu'elle venait de me dire. Attendez. Elle était sérieuse ? Elle avait dessiné le labyrinthe ? Reproduit le labyrinthe serait plus exact, d'ailleurs. Mais comment elle avait fait ? Sans vue d'ensemble, depuis un hélicoptère ou je ne quoi, j'estimais ça impossible. Comment savoir l'échelle ? les proportions ? comment savoir que le chemin qu'elle était en train de tracer sur la feuille n'était pas en réalité un chemin qu'elle avait déjà emprunté sans qu'elle ne s'en rende compte ? un simple petit détails faussait tout le processus. Ou alors, c'était une surdouée du repérage dans l'espace. Possible. Laoise était la créatrice du GPS, voilà tout. Sourcils haussés, je me penche sur son croquis, la laissant m'indiquer notre position actuelle et la sortie. Je m'en foutais un peu, pour être honnête. C'était plutôt la gueule de la chose qui m'intéressait. Je me demandais à quoi pouvait bien ressembler son fameux plan. Donc je baisse les yeux dans sa direction. Ah ouais. Quand même. « Impressionnant » je dis, dans un souffle, étonné. Dis donc, elle était géologue et n'en avait jamais parlé à personne, ou... ? Non franchement, ça m'avait pas l'air trop mal foutu, malgré les gros doutes qui persistaient dans mon esprit. D'accord. C'était pas mal. Sous réserve. Malgré moi, je note que j'étais parti complètement dans le mauvais sens, puisque la sortie se trouvait beaucoup trop à gauche. Merde alors. À croire que cette connerie de conseil, je l'avais appliqué sans même m'en rendre compte. J'étais étonné aussi de voir que j'avais beaucoup plus marché que je ne le pensais. Bah merde alors, il était quelle heure ? « Tu étais une marchande turque au souk, dans une autre vie ? » je souris en l'entendant insister pour que je lui achète son plan. Non mais elle s'imaginait que j'allais mettre le prix pour une carte même pas complète ? Pff. C'était trop facile ça. Néanmoins, je secoue légèrement la tête. « Ça dépend. Tu acceptes quel genre de paiement ? Service, bisou, bonbon, argent, indice ? Autre chose ? » Hm, c'était tout ce qui me venait en tête, là, tout de suite. Il y avait sans doute mille autres choses contre lesquelles troquer son fameux et précieux plan mais impossible de foutre le doigt dessus. Et puis elle avait quand même pris l'initiative de tracer un plan du labyrinthe, je ne doutais pas que son esprit regorgeait de bonnes idées.

Mais si, voyons, son plan se révélait totalement véridique. Comment ça, elle était sûrement passée plusieurs fois au même endroit et ses gribouillis s'en retrouvaient donc confus ? Comment ça, elle n'avait pas exploré la moitié du labyrinthe ? Mais... mais que nenni ! Puisqu'elle disait qu'elle était douée pour tracer des plans et qu'elle avait réalisé celui-ci avec succès et avec un talent indéniable. D'accord, peut-être pas. Mais elle s'en foutait parce qu'elle pouvait toujours le faire croire. Eh oui. Laoise, escroc à ses heures perdues. La chipie. Oh, ce n'était pas si grave, non ? Disons qu'elle se donnait le droit de mentir. Pour la... oh, elle avait arrêté de compter, ça faisait déjà beaucoup de mensonges dans une seule et même vie. Ouais, Laoise était une menteuse, c'est bon, ce n'était pas un scoop donc peu importe. De toute façon, Ennio ne semblait pas tellement énergique face à cet achat. Mouais. Tant pis pour lui, après tout hein, s'il n'en voulait pas. Elle trouverait bien un autre pigeon pour vendre ce truc. Elle devait être dans un jour où elle avait envie d'entuber quelqu'un, il faut croire. Ce n'était pas contre Ennio cela dit, hein. Elle n'oserait pas, il était quand même le copropriétaire de la planque à bonbons, ce n'était pas rien, c'était même un sacré engagement à long terme qui n'avait pas été pris à la légère. Donc non, elle était tombée sur lui, c'était tout. Rien de plus. Une éclaircie se fit d'ailleurs sentir, puisqu'il émit un « ça dépend » qui lui donnerait presque espoir. On se distrait comme on peut. Elle étudia ses possibilités. Un service ? Disons que ça pourrait se révéler utile, un de ces jours. À voir. Un bisou ? Avait-elle envie d'un bisou, c'était là toute la question. Quant au bonbon, il pouvait rêver, elle n'allait pas se faire entuber dans sa propre arnaque, attendez. De l'argent ? Voilà qui devenait intéressant. Et un indice: d'autant plus intéressant. Elle avait donc l'embarras du choix. Hm. « Je prends tout type de paiement tant que la valeur du plan est respectée. » Pas sûr que ça soit la chose à dire puisque son plan ne valait rien du tout. Ouais. Il faut croire qu'elle avait tout de même assez de gentillesse pour ne pas totalement escroquer son camarade. Une bonne chose, non ? « Ou alors, on s'occupe de terminer ce plan et après, on le vend aux autres candidats et on devient riche. » Bien sûr, Laoise, bien sûr.

Elle ne perd pas le nord, la Laoise. Franchement, je la soupçonnais d'être fille d'un riche investisseur, ou gamine des HLMs. Oui, voilà, c'est ça. En fait, elle avait passé son enfance à traîner dans les rues, avec les gosses oubliés de notre génération, lui apprenant à vivre à la dure, selon les règles des cités. Elle avait du se faire une place dans ce monde de recel, de racket, de vol. Depuis qu'elle était gosse, elle piquait genre des portables, des game-boys, et elle les revendait pour se faire l'argent de poche que ses parents ne voulaient pas ou n'étaient en mesure de lui donner. De cette enfance, elle avait gardé ces réflexes de business et tout. Si si. J'vous dit, je suis le meilleur. Ou pas. Non, en fait, je ne sais pas du tout pourquoi elle tient à ce point à commercialiser son plan du labyrinthe. Juste pour rire, peut-être. Ou peut-être qu'elle était sérieuse. Aucune idée, je vous dit. En attendant, elle prend son temps pour répondre. Quoi ? Elle considère mes offres, peut-être ? Aucune n'était réellement une proposition, à vrai dire. J'étais incapable de lui filer de la thune, j'avais donné suffisamment d'indice à tout le monde, je n'avais aucune raison de lui faire un bisou, elle avait déjà des bonbons - ceux qu'on se partageait, n'oublions pas - et service, et bien tout dépendait du genre de service. Humiliant ou non, possible ou non, possible ou non. Bref, je la fixe une seconde, tandis qu'elle répond. Elle est marrante. Comment je peux savoir quelle valeur a son plan sans l'avoir testé au préalable? Comment je peux savoir ce qui, pour elle, parmi tout ce que j'avais déjà énoncé, entre autres, a le plus de valeur ? Elle ne m'aidait franchement pas là. Je n'ai pas le temps de répliquer que déjà, elle me fait une autre proposition. Intéressé, je prends une demi-seconde pour réfléchir. S'associer une fois de plus pour aider le peuple fake loveresque à ne plus se perdre constamment dans cette idiotie de labyrinthe? Je finis par sourire. « Ça me va ! mais j'ai quand même une toute petite minuscule rikiki condition » et pour illustrer mes propos, je lève devant mon visage un pouce et un index désignant un espace minuscule. Bah oui. Fallait pas s'attendre à ce que je ne m'impose pas un minimum dans ce deal. Ce serait trop beau pour elle. « Tu gardes ma part des revenus. » Voilà, c'était ma super condition. Ça devrait lui faire plaisir, à la Lawase. Le taf à deux, la thune pour elle toute seule. J'étais vraiment l'associé parfait, qu'on se le dise.

Pour être honnête, ces histoires de plan étaient tout de même bien plus pour rigoler qu'elles n'étaient sérieuses. Et encore heureux. Disons que cela l'occupait de faire des ratures sur un papier en prétextant qu'il s'agissait là d'un schéma de la prison de verdure la plus prisée du coin. Elle venait aussi de découvrir que dessiner – enfin... – était quelque peu relaxant, chose qu'elle ne savait pas jusque-là pour n'avoir quasiment jamais dessiné de sa vie. Disons qu'à part à l'école primaire où elle galérait pour représenter un arbre digne de ce nom, elle n'avait jamais pris le temps de sortir ses crayons pour esquisser un quelconque dessin. Une première donc, en quelque sorte. Qu'importe. Après avoir voulu arnaquer Ennio, disons-le franchement, voilà qu'elle voulait faire de lui son partenaire de crime. Ou comment passer d'un extrême à l'autre en l'espace de quinze secondes. Il faut dire qu'elle ne s'y connaissait pas plus que cela dans le domaine. Il y avait des règles prédéfinies lorsque ça concernait les escroqueries en tout genre ? Il fallait bien bizuter le nouveau avant de l'intégrer dans les rangs, non ? Elle allait dire que oui. De toute façon, elle s'en fichait, c'était elle qui disait comment les choses fonctionnaient et puis, c'est tout. Laoise, commandante à la tête des opérations, exactement. Eh mais, au fait ! C'est vrai qu'Ennio n'avait toujours pas donné son accord. Bah ouais, il avait quand même le choix. Quoique... elle supposait qu'elle serait obligée de le tuer s'il refusait, histoire qu'il n'aille pas raconter ses plans diaboliques aux autres. Hm. Le plus simple serait donc qu'il accepte en faisant une confiance aveugle à Laoise. Alors, que décidait-il ? D'en être, apparemment. Avec une condition, cela dit. Oh, ça, ça sentait le coup foireux à des kilomètres. Et là, il lança l'idée. Qu'elle garde sa part des bénéfices. Il se foutait d'elle ? Ses sourcils se froncèrent, son minois devint suspicieux. « Ça cache quelque chose, ça. Avoue, c'est une technique pour m'entuber au final. Tu vas te tirer avec toute la tune une fois qu'on sera riche, pas vrai ? » C'était obligé que ça cache quelque chose. C'était bien trop bizarre pour être vrai. Ou alors, Ennio était un piètre homme d'affaires, puisque ce n'était clairement pas en laissant sa part qu'il allait devenir riche. Cette histoire était louche, elle le sentait. Ouais, ouais, on ne l'avait pas comme ça, la Laoise, attention.

À croire qu'on était incapable de se trouver dans la même pièce sans se retrouver à faire des petits trafics avec tout ce qui nous tombait sous la main, dans l'espace et les réserves limitées que nous offrait le nid d'amour. Plan du labyrinthe, bonbons... bientôt, ça serait les serviettes de bain et le papier toilette, vous pouvez en être sûrs ! Oh, Godverdomme, ça serait juste trop drôle. On kidnappe tous les rouleaux de papier cul - et les rouleaux d'essuie-tout aussi, bien évidemment - à des kilomètres à la ronde et on fait payer quiconque veut s'en servir un indice ou cinq mille balles. Bon plan, bon plan. J'étais diabolique, à croire que j'avais ça dans le sang. J'suis pas le seul à le penser, apparemment. Lorsque j'énonce ma condition, dont j'étais certain qu'elle serait de l'accepter, je la vois froncer les sourcils, me regarder d'un air méfiant. Oula. J'avais dit un truc qui fallait pas ? Pourquoi si peu de considération ? « Waouh, la confiance règne » je fais mine de m'offenser, masquant à peine mon cynisme. Merci, j'ai une dégaine d'escroc, une réputation de bandit, un passé de gangster. Elle me prenait pour Il Padrino ou... ? J'vois qu'elle avait une super opinion de moi, ça fait plaisir. Enfin, on se connaissait pas encore trop, trop bien, d'accord, c'est vrai, je l'admets. Mais quand même, j'étais le co-gérant de la planque à bonbons, elle ne pouvait pas me penser si indigne de confiance que ça. J'avais franchement pas la tête d'un truand. Puis c'était si impensable et incroyable que ça que quelqu'un puisse refuser de l'argent ? Je voulais pas être riche, moi. Ça me servirait à rien, si ce n'est à me corrompre, et j'aimais ma vie comme elle était. Je n'avais pas grand chose mais c'était amplement suffisant. « J'ai juste pas besoin de blé, mais bon, si tu n'en veux pas, je peux le garder et aller le jeter dans la Mer du Nord ou le distribuer au hasard dans le rue, tu sais, pour moi, ça revient au même » je lui réponds finalement. Ah ouais, en effet, je me voyais parfaitement jeter des liasses de dix mille dans les rues, les confier à un clochard en lui disant que j'étais son fils caché et que malgré qu'il ait raté sa vie, je l'aimais bien quand même, ou tout faire couler au beau milieu de l'eau en prétextant que les poissons aussi, avaient droit à avoir une belle vie.

Ce n'était qu'un léger manque de confiance. Normal. Eh oh, il était tout de même question d'argent. Non, pire, d'une fortune. Des milliers de billets et le double de pièces. Ce n'était quand même pas rien, elle ne pouvait pas prendre cela à la légère. Tout comme l'offre d'Ennio était on ne peut plus douteuse, admettez-le. Qui serait capable de bosser et de laisser son salaire à quelqu'un d'autre, hm ? On ne pouvait pas lui reprocher de craindre que cette histoire cachait un truc louche. Vraiment. Et puis, c'était le milieu des affaires, non ? Il y avait toujours des interlopes quand il était question d'argent. Du moins, dans les films, il y en avait toujours un pour trahir l'autre. Elle préférait éviter tout conflit avec son camarade, voilà tout. Disons que c'était juste pour le tester, pour tester sa parole, pour être certaine que ce début d'amitié ne serait pas ruiné par un comportement abusif face à une maudite somme d'argent. Puisque ouais, ce n'était que de l'argent, au fond. Et puisqu'il disait ne pas en avoir besoin, après tout... Elle était plutôt d'accord sur le sujet, Laoise n'était pas riche mais elle n'était pas pauvre non plus et elle n'aspirait pas à obtenir une fortune colossale, elle ne saurait quoi faire de tout cet argent. Peut-être s'en servirait-elle pour couvrir ses proches de cadeaux, mais sinon.. Donc, ouais, autant donner tout cet argent à de parfaits inconnus qui en avaient bien plus l'usage. « On donnera tout à des types dans la rue, alors. Ça doit être sympa d'obtenir de l'argent par des inconnus, non ? Ça doit faire croire à la chance ou quelque chose dans le genre. » Elle ne savait pas, elle n'avait jamais eu droit à de l'argent par un inconnu. À vrai dire, elle l'aurait sûrement mal pris si ça avait été le cas. Mais qu'importe. « Bon, en attendant, on ne fera pas la fortune des autres si on ne termine pas ce plan, alors on prend quel chemin, là ? » Eh bien, oui, il fallait bien s'activer. Surtout qu'elle ne comptait pas passer sa nuit ici pour compléter le schéma alors hop, hop, hop, plus vite que ça.