Je crois que si j'avais pas trouvé des études dans lesquelles je me plaisais totalement, des études que j'adorais, j'aurais sans doute terminé clochard. Ou squatteur. Ou indigné. Un truc du genre. Sans les motivations politiques, seulement, parce que ça m'emmerdait plus qu'autre chose. Non, en fait, c'était même pas vrai. J'avais des opinions politiques, des opinions sur la vie, la société, les gens, mais je préférais les balancer avec un naturel qui n'évoquait pas le débat ennuyeux et sans fin, qui ne me collait pas l'étiquette d'impliqué socialement. Je préférais vivre ma vie comme elle venait. Et s'il avait fallut que je me retrouve à la rue parce que c'était ce qui était le plus en adéquation avec ma façon de penser, alors j'aurais sans hésité vendu appart et meubles pour aller m'installer sous un pont. Et en l'occurrence, c'était sans doute ce qui me convenait le plus. Bon, j'dis pas que je veux être SDF parce que ceux que je croisais l'étaient rarement par leur volonté propre. Mais quand même, la thune, je m'en cognais sec, j'étais aussi bien sans. Moi j'aurais pas dit non à une vie à la Into the Wild, un peu. Pas avoir à se soucier du blé, des gens, du vol, du taf, des impôts, des merdes de la vie. Mais je me considère pas comme pessimiste, vous savez, pas du tout, bien au contraire. Ça, Laoise, elle semble le piger. Un peu. Ou pas, j'en sais rien, mais elle ne conteste pas mes paroles, donc je suppose qu'elle ne doit pas totalement me prendre pour un fou, ce qui était déjà pas mal, comparé à d'autres qui se seraient contenté de me dévisager avec scepticisme ou dédain. La maille, ça vous tuait un homme. « Oui c'est vrai. Ça peut donner un peu d'espoir aux gens. » Waouh, le monde n'est pas si merdique que ça. Waouh, les gens ne sont pas tous des connards nombrilistes. Waouh, attendre quelque chose de la vie n'est peut-être pas si ridicule que ça... Ou alors, vu l'époque cynique dans laquelle nous vivions, où tout le monde se méfiait de tout, y compris et surtout des autres, tous auraient été capables d'imaginer que nous venions de piller une banque et que nous nous débarrassions des preuves, les faisant accuser à notre place. Je redresse alors la tête, virant ces idées bien trop sombre pour ma vie sans conséquences de mon esprit, hocha la tête. « C'est vrai ça, partenaire ! Alors, on en est où là? Ou plutôt, tu en es où? » Je jette un rapide coup d'oeil au plan, aux trois chemins qui se présent devant nous, la carte, les trois chemins, la carte... « Je propose qu'on prenne celui dont tu ne viens pas et dont je ne viens pas non plus. Donc... à droite, toute ! » Et pivotant, je m'élance d'un bon pas enjoué vers le sillage le plus à droite. Non. Attendez. Cette ombre, là-bas, me disait quelque chose. « J'veux dire, au centre toute ! » Je fais volte-face, mine de rien, choisi le chemin adjacent, celui qui était sur son côté. Je regarde par-dessus mon épaule. Bon, elle fait quoi ? « Quand tu veux, Laoise. Tu le dis si tu veux que je te prenne sur mon dos, hein » j'ironise gentiment, un sourire aux lèvres. C'est qu'on avait pas toute la journée, là. On avait encore beaucoup, beaucoup à faire, pour que le plan soit achevé dans les temps.

L'argent, autant Laoise en avait besoin pour payer ses factures, autant elle n'en avait pas la nécessité pour autre chose. L'irlandaise était une jeune femme simple qui ne dépensait pas trois cent euros par mois en fringues. Ça semblait évident, n'est-ce pas ? Alors, à part quelques sorties, disons cinéma, restaurant et autres sorties entre potes, elle se passait de l'argent superflu. Elle ne faisait pas de la tune toute une philosophie de vie ou quoi que ce soit. Tant qu'elle en avait assez pour vivre, elle jugeait en avoir suffisamment. Tout le reste, ce n'était que peu utile. Pourquoi donc se condamner à errer avec une fortune qui ne lui servirait jamais ? Non, autant en donner aux autres. Certes, elle en garderait sans doute une petite partie, ça serait mentir de dire le contraire, cependant, au-delà de cela, c'était excessif. « On va déverser de l'espoir sur le monde. » Telle une révélation, les yeux pleins les étoiles, elle constata la chose. Incroyable, n'est-ce pas ? C'est fou ce qu'on peut faire avec un plan totalement bidon, quand même. D'ailleurs, en parlant de ça, il serait temps de terminer son œuvre d'art, pas vrai ? Donc, où elle en était ? Eh bien, hm... Disons qu'elle ne savait pas combien de chemins il lui manquait. Normal, non ? En attendant, elle savait où ils étaient. Si, si, elle savait. Et ils avaient trois choix, mais comme il disait, autant prendre des passages inconnus et non ceux qu'ils avaient emprunté à l'instant. Ce qui voulait dire... « Au centre toute. » elle répéta en guise de confirmation. Elle reprit son crayon bien en main et replaça son papier devant ses yeux. Ah ouais mais non, mauvais plan, sinon, elle n'allait pas voir la route. Et voilà qu'Ennio voulait lui faire presser le pas. Elle plissa les yeux, pour contester ce qu'il lui disait là. Attendez, qu'il ne la nargue pas comme ça hein, elle n'était pas si lente. Cela dit, puisqu'il critiquait, elle allait se faire une joie d'utiliser le dos de son camarade à bon escient. Si bien qu'elle trottina la courte distance qui les séparait avant de sauter sur son dos et de bien s'y installer. Ah, c'était mieux. « Allons-y. » Oui, elle était sérieuse, pourquoi ? « Et me lâche pas, sois un homme fort. » Parce qu'elle allait devoir dessiner son plan en même temps, ce qu'elle ne pourrait pas faire si elle gardait ses bras serrés autour de son cou pour se retenir. Donc, qu'il la tienne bien comme il faut. « Et plus vite que ça, j'te prie. » Laoise, autoritaire ? Si peu, voyons.

Voilà. On avait notre projet. Pas trop mal, je dois l'avouer. En plus de rendre service aux habitants du nid, en plus de leur donner la possibilité de franchir ce foutu labyrinthe, et donc d'avoir une raison de stimuler leur ego, on allait joliment aider les gens avec la thune qu'on allait amasser. C'est pas beau, ça ? Bon, à la base, j'étais pas le genre à courir d'association en association militante, mais lorsque je pouvais aider quelqu'un, je ne disais pas non plus non. J'aimais bien, moi. Ça m'donnait l'impression d'être utile, un peu. « Et dieu sait que certaines personnes en ont grand besoin » je soupire légèrement. Les déprimés, les atteint de l'éternel spleen, les malades, les taulards, les séropositifs et sidéens, les gens en deuil, et tellement d'autres, pour ne citer que les cas particuliers. J'étais d'avis que pas seulement les grands blessés, physiquement ou moralement, ou les personnes dans des situations improbables, avaient besoin d'espoir. Je réfutais l'espoir car je réfutais toute situation qui le nécessitait mais ça, c'était pour moi. J'étais moi et les gens étaient eux. J'avais une vision de vie basée le au jour le jour, si bien que je n'attendais rien de la vie, mais ça ne m'empêchait pas d'observer le mode de vie du reste du monde. Je savais que l'espoir était essentiel aux hommes. Plus que d'autres objectifs plus absolus et plus communs, comme le bonheur ou l'amour, ou que sais-je, ils avaient besoin de l'espoir, car il amenait à tout le reste. Et quand on avait pas ou plus d'espoir... Coupant court à toute réflexion métaphysique, Laoise me grimpe sur le dos. Ou plutôt, me saute dessus, devrais-je dire. Heureusement pour elle que j'ai un bon équilibre et en deux secondes, je suis bien droit, la soutenant avec force sous les cuisses. Ok, paquet récupéré, on peut y aller ! « T'inquiète, je te laisserai pas tomber » je la sermonne faussement. Pour qui elle me prenait ? Elle croyait que j'allais la lâcher d'un coup pour qu'elle se casse la figure par terre? Et, accessoirement, qu'elle fasse une méga trace sur notre précieux plan, le rendant interminable et indéchiffrable, et donc, inutile ? Je dégage sa remarque d'un "pfffft" des lèvres. Plus vite, genre. Pourquoi se presser ? On a toute la journée et, plus généralement, vie devant nous. Et ce, même si on était destinés à crever sous les roues d'une voiture en sortant. Le seul détails était que la vie était plus courte. Bref, je recommence à avancer, choisissant les chemins en fonction du plan, de ses directives, des possibilités qui s'offraient à nous. Seul évènement notable en moins de cinq minutes fut que je fus pris d'éternuements parce que je m'amusais à tester la résistance de mes yeux face au soleil. Un peu idiot, comme démarche, vu les risques. D'autant plus que je me suis trop décalé vers la droite et qu'en voulant lever la main pour éternuer, si je n'avais pas lâché Laoise d'un pouce, je me suis coupé le doigt sur une feuille de la haie à ma droite. Ridicule. Bref, j'avais toujours le doigt en bouche lorsque, boum, face à nous, un carrefour particulièrement important. « Bon, le bourlingueuse, à toi de me dire où on va » je dis en désignant de mon doigt rouge les diverses possibilités. Jetant un coup d'oeil aux plus de trois voies qui s'offraient à nous. Et oh, je pouvais pas faire monture et boussole en même temps.