Quelle que soit l'heure qu'il pouvait être, Raphaël avait un appétit d'oiseau. Si cette expression pouvait n'être qu'une manière de dire des autres qu'ils mangeaient relativement peu, comprenez-bien qu'il en était quelques peu autrement du coté de Raphaël. En effet, ce dernier avait tendance à très peu se nourrir. Mais genre, vraiment très très très peu. Si peu que ses sœurs s'en inquiétaient régulièrement. La première le pensait capable de bêtement s'affamer pour attirer l'attention - oui, c'était l'amour entre eux, parfaitement -, tandis que la seconde ne cessait de l'inviter à déjeuner dans son restaurant pour le gaver de toutes sortes de délices qu'il ne finissait jamais, et que la troisième lui rappelait simplement perpétuellement qu'il n'aurait aucune chance de plaire à qui que ce soit en restant aussi maigre. Parce que bon, il est vrai qu'il n'avait pas la masse musculaire des jeunes hommes que l'on pouvait trouver dans une telle émission. Lui, et même s'il n'était pas non plus un squelette ambulant, il avait quelques peu tendance à faire tâche et maigrichon en comparaison. Quoi qu'il en soit, il ne souhaitait plaire à personne, pas même à lui même, alors cette situation lui allait très bien. L'on disait régulièrement que le petit déjeuner était le repas le plus important de la journée. Ah oui ? Cela lui faisait une belle jambe, dans la mesure où il y mangeait tout aussi peu que lors des autres repas. Généralement, une pomme lui suffisait. Et non, pour ceux qui pourraient éventuellement se le demander, il ne ressentait quasiment jamais la moindre sensation de faim. Ainsi donc, lorsqu'il débarqua dans la cantine et que son regard se posa naturellement sur l'une de ses camarades, visiblement en train de dévorer un bol de céréales, il ne l'envia pas le moins du monde. Tant mieux si elle avait bon appétit à une heure comme celle-ci. Lui, il faisait dans la légèreté, disons. Quoi qu'il en soit, et tandis qu'il ne pensait pas la déranger, celle-ci s'adressa à lui. « Bonjour. » Que lui voulait-elle ? Il n'en savait trop rien. Mais le fait qu'elle ait présentement un appareil photo en mains l'inquiétait légèrement. Et visiblement, c'était légitime. En effet, sa camarade le pria de ne pas bouger, pointant l'objectif vers lui. Calmement, il resta alors immobile, avant que sa camarade ne déclare finalement que la photo était ratée. « Hm, si tu veux mon avis, le sujet y est pour beaucoup » répliqua-t-il alors, dans un élan d’auto-dérision. Il lui adressa alors l'esquisse d'un sourire avant de s'approcher davantage. « Ça t'ennuie si je me pose à tes cotés ? » reprit-il, aussi agréablement que possible. Il ne voulait pas s'imposer.

Cette jolie brune aux yeux verts lui paraissait sympathique. Allez savoir si elle l'était vraiment. Après tout, ce serait loin d'être la première fois qu'on chercherait à se montrer avenant à son égard pour mieux lui faire du mal par derrière. Mais à cet instant précis, il avait grandement l'intention d'être laissé tranquille par ses folles tendances paranoïaques. Il avait simplement envie de passer un moment en compagnie de sa camarade - oui, il faisait de gros efforts - raison pour laquelle il chercha bien vite à savoir si celle-ci ne verrait aucun inconvénient à ce qu'il prenne place à ses cotés. Visiblement, cela ne la gênait pas. Un sourire un peu plus prononcé gagna alors les lèvres du jeune homme, qui put alors prendre place près de sa camarade. Il la remercia de par ce sourire mais également de par un petit signe de tête. Toute proximité le gênait, mais le fait qu'il ait demandé à s'assoir à ses cotés prouvait qu'il avait grandement envie de dépasser son état de gêne, pour une fois. Sa camarade sembla alors reporter son attention sur la photo qu'elle venait de prendre et qu'elle avait définie comme étant ratée. Elle lui montra alors le cliché, et Raphaël put effectivement se rendre compte que celui-ci était pour le moins flou. Mais ça n'en était pas dramatique pour autant. Sa camarade semblait alors penser qu'elle n'avait pas l'âme d'une photographe de talent, ce qu'il trouvait dommage, dans la mesure où personne n'aurait assurément été capable de réaliser un meilleur cliché que le sien. Vraiment, il en était certain. « On ne distingue pas mes immondes oreilles, c'est déjà ça » répliqua-t-il alors, dans un vague haussement d'épaules. Ah, parlons-en de ses oreilles. Cela lui avait valu bon nombre de moqueries depuis qu'il était petit, et lui avait ainsi valu de détester cette partie de son corps. Non mais voyez la forme qu'avaient les dites oreilles, tout de même. De vraies horreurs. Sa camarade insinua par la suite qu'il serait plus beau s'il prenait la peine de sourire. Immédiatement, Raphaël se sentit embarrassé. Il souriait peu, pour la simple et bonne raison qu'il avait peu d'occasions de sourire. « Ce n'est pas facile de sourire quand on passe déjà beaucoup de temps à se retenir de pleurer » laissa-t-il entendre, regrettant presque aussitôt ses paroles. Pourquoi lui disait-il tout ça ? Que pouvait-elle bien en avoir à faire, au fond ? Pas grand chose, assurément. Subitement, il se souvint que puisque son équipe avait remporté la compétition de dimanche soir - pas du tout grâce à lui, c'était certain - il pouvait exiger ce qu'il voulait de sa camarade. A manger ? Et bien ... « Je n'ai pas beaucoup d'appétit. Et puis, je ne me vois pas t'ordonner de faire quoi que ce soit. Si encore j'avais contribué à faire gagner mon équipe ... mais ça n'est pas le cas, alors ... » Oui bon, c'était surtout qu'il n'était pas du genre à ordonner quoi que ce soit à qui que ce soit, hm.

Non, Raphaël n'avait pas l'intention de profiter du fait que son équipe ait gagné la petite compétition de dimanche dernier pour demander à sa camarade de le servir. Bon, ça n'était probablement pas ce que celle-ci avait insinué lorsqu'elle lui avait simplement proposé à manger, mais le fait est qu'il savait pertinemment ce que cachait tout cela. Et donc, il ne voulait pas agir différemment vis à vis des autres simplement parce que les membres de l'équipe Connor étaient "autorisés" de se servir de l'équipe perdante pour toutes sortes de tâches. Lui, il ne voulait pas agir de la sorte. Déjà parce qu'il n'avait pas le moins du monde contribué à faire gagner son équipe - autant être lucides, il n'avait servi à rien et n'avait même pas osé formuler la moindre réponse - mais également parce qu'il n'était tout simplement pas du genre à agir de la sorte. Ainsi donc, il préféra décliner la proposition de sa camarade, qui lui assura alors que cela n'avait de toute manière rien à voir avec le fait qu'il se retrouve dans l'équipe gagnante. Il voulait bien la croire, et penser que ça n'avait alors été qu'un acte de pure gentillesse, qu'Ismay était simplement quelqu'un de serviable. Mais de toute manière, cela ne changeait rien au fait qu'il n'avait pas tellement faim. Sa camarade se rassit alors - elle venait de se lever pour rien, ce qui avait tendance à le faire quelques peu culpabiliser, du coup - avant de revenir visiblement sur les précédents propos du suisse. Lorsqu'Ismay lui avait fait savoir qu'il serait "encore plus beau" s'il prenait la peine de sourire, Raphaël avait répliqué qu'il passait trop de temps à se retenir de pleurer pour en plus tenter de sourire. Il faisait beaucoup d'efforts, prenait beaucoup sur lui, même si ça ne se voyait pas. Il écouta alors la jeune femme lui certifier que sourire serait une chose pourtant vivement recommandée s'il voulait aller mieux. « Je ne veux pas me forcer, justement. J'aimerais pouvoir sourire par envie. Si je ne souris pas, c'est aussi parce que je n'ai aucune raison de le faire. Par contre, j'ai beaucoup de raisons de tirer une tête d'enterrement et de me morfondre. » Beaucoup trop de raisons, d'ailleurs. Des raisons dont il peinait généralement à faire part aux autres, quand ces derniers essayaient de le comprendre. Et pour cause, beaucoup de ces raisons se manifestaient seulement dans sa tête. « Tu sembles savoir de quoi tu parles. » Il ignorait ce qu'elle étudiait, ou ce qu'elle avait en tout cas étudié, mais il est vrai qu'Ismay parlait avec aisance de choses que beaucoup ne pourraient simplement pas saisir. Sa camarade lui posa alors une question qu'il ne s'était pas tellement attendu à entendre. Il mit d'ailleurs un certain temps à y répondre, alors que la réponse paraissait pourtant toute évidente. « Je ... non. Je ne suis pas heureux d'être ici. Je ne me sens pas à ma place, je me sens jugé et critiqué en permanence, j'ai l'impression d'être complètement transparent ... » Autant dire que s'il était ici, ça n'était pas tellement pas envie, hm. « Toi, je suppose que tu l'es. » Et pour cause, tous les candidats excepté Raphaël devaient se réjouir d'être ici, hm.

Honnêtement, Raphaël ne comprenait pas comment bon nombre de ses semblables trouvaient le moyen de sourire quasiment en permanence. Ces gens étaient-ils particulièrement heureux dans la vie qu'ils menaient ? Ne connaissaient-ils ni galères, ni malheurs, ni désillusions ? Probablement que si. Mais dans ce cas, pourquoi souriaient-ils, alors que Raphaël n'était généralement pas capable d'esquisser ne serait-ce qu'un tout petit sourire ? Et bien, supposons que ces personnes avaient simplement tendance à se forcer, à mettre de cotés leurs ennuis pour ne rien laisser transparaitre. Sa sœur était comme ça. Sa plus grande sœur, Alicia. Elle était si forte, si déterminée à faire croire à son entourage qu'elle allait bien, même après les obsèques de son fils, même après la tromperie de son mari, même après son licenciement. Elle gardait le sourire, en permanence. Elle n'était pas particulièrement sympathique - surtout pas avec son petit frère - mais elle tâchait de sourire un maximum, assurément pour que personne ne soit disposé à penser, ne serait-ce qu'un court instant, que sa vie n'était qu'un champs de ruines. Raphaël n'était pas comme elle. Sa vie à lui était bien misérable également, mais il ne pensait jamais à masquer les apparences derrière de faux semblants. Quand il avait envie de pleurer, il pleurait. Quand il n'avait pas envie de sourire, il ne s'y forçait pas. Tout simplement. Alors évidemment, il en venait bien souvent à tirer une sale tête et à avoir l'air plus malheureux qu'un petit chaton abandonné. Mais il préférait ça, sans doute, que de laisser croire qu'il avait de quoi sourire, alors que ça n'était jamais le cas. Sa camarade semblait en tout cas penser que forcer le destin était parfois une bonne chose. Sans doute disait-elle vrai. Mais Raphaël ne se voyait pas changer. Il ne se voyait pas plaquer un joli sourire sur son visage du jour au lendemain, comme si sa vie était subitement devenue moins terne, moins triste, moins insupportable. Il ne répondit pas et se contenta d'hausser les épaules. Au fond, il avait l'impression qu'elle avait dit cela essentiellement pour elle. Sans doute avait-elle des problèmes, elles aussi. Mis à part cela, il va de soi que Raphaël n'avait pu prétendre se sentir au mieux au sein de ce jeu. Il y était malheureux, cela crevait les yeux. Il n'était pas à l'aise, pas à sa place, et pensait depuis le premier jour à abandonner. Parce qu'il en venait à penser qu'il avait beau essayer de s'en sortir, c'était une histoire sans fin, un éternellement recommencement de peines et de malheurs. Sa camarade, en tout cas, disait s'y sentir bien pour le moment. Il s'en réjouissait sincèrement pour elle. Au moins, elle savait profiter de sa chance. Lui non. Ismay poursuivit alors et Raphaël acquiesça à ses paroles. Elle disait vrai, mais elle ne lui apprenait rien. « S'il y a bien une chose que je n'ai jamais comprise, c'est la méchanceté gratuite » articula-t-il alors, quelques peu péniblement. « Non, tu ... ne t'inquiète pas pour ça. Et j'aimerais assez qu'on change de sujet, effectivement. Peut être pourrions-nous ... » Oui, quoi ? Il n'en savait rien. Parler de la météo ? Vachement intéressant. « ... discuter de nos partenaires ? » Ben voyons. Et de Pierre, Paul et Jack, également. Pas de jaloux.

Discuter de leurs partenaires. Oui, telle était véritablement l'idée que venait de soumettre Raphaël. C'était probablement loin d'être le sujet de conversation le plus passionnant au monde, il en convenait aisément, mais le fait est que c'était tout de même trois mille fois préférable au précédent sujet, celui en rapport avec ses problèmes, avec la méchanceté des gens, les critiques de ces derniers. Ainsi donc, et même si leur conversation ne serait peut être pas tellement profonde, ni très philosophique, il préférait grandement en venir à évoquer leur partenaire respectif. Cela lui permettrait peut être d'en apprendre davantage au sujet d'Otello. Oui, c'était un nom qu'il avait retenu, et qu'il n'avait eu aucun mal à associer rapidement au physique très charismatique et à la présence du partenaire d'Ismay. De son coté, il serait évidemment enchanté de parler de Candace, une jeune femme qu'il commençait à apprécier, et qu'il se réjouissait même d'avoir pour partenaire. Quand on sait qu'il aurait pu tomber sur quelqu'un de foncièrement méchant, il mesurait grandement sa chance, soyez-en sûrs. Ismay chercha alors à avoir confirmation du fait que Raphaël était effectivement en partenariat avec Candace, la "dame mariée", comme elle venait de le dire. « Oui, Candace est ma partenaire » formula-t-il alors, comme s'il en était content, voir même fier. Vraiment, Candace était une personne sympathique, qui avait tâché de le mettre à l'aise dès le premier soir et qui n'avait jamais cherché à l'embêter. Rien que pour ça, elle méritait un éloge. Ismay poursuivit alors, ne tardant pas à en venir à évoquer Daphné, qui avait subi une sorte de lynchage public dimanche dernier. Raphaël se souvenait alors assisté à cela en compagnie d'Elliot et avoir trouvé la scène déplorable. Il se souvenait aussi voir vu Ismay se précipiter en coulisses, probablement pour consoler la jolie blonde. « Elle ne méritait pas ça. Cette jeune femme n'a aucun tact, et est probablement un peu trop franche, mais ce ne sont pas des raisons, je trouve, pour s'acharner sur elle d'une telle manière. En tout cas, je ... je trouve ça bien que tu sois allée la voir dimanche soir. Je suis certain que tu a su la consoler, sans pour autant en faire trop ... » Il ne savait pas tellement pourquoi il lui disait ça, mais il le pensait. Ismay semblait être quelqu'un d'avenant, de présent. Elle était quelqu'un de bien, à ses yeux. Espérons qu'il ne se trompe pas, comme ce fut hélas trop souvent le cas par le passé. « Je dirais qu'elle est assez secrète. Pas très expressive disons, mais elle m'a fait une bonne première impression. Je l'apprécie, oui. Parce qu'elle aurait pu utiliser ma gêne contre moi, mais elle ne l'a pas fait. J'ai juste un peu peur qu'elle réalise que je ne suis pas ... hm ... le partenaire rêvé. » Contrairement à elle. Parce que bon, Raphaël était craintif, embarrassé de nature, pleurnichard ... Nul doute que Candace en aurait rapidement marre. « Ton partenaire, saurais-tu m'en dire quelques mots ? Je crois ne connaitre que son prénom, Otello, et son apparence. Un grand jeune homme, assez impressionnant. Est-ce qu'il est aussi ... froid qu'il en a l'air ? » Autrement dit : est-ce que Raphaël allait se faire bouffer s'il tentait une approche avec ledit jeune homme, hm ?