~ sully, mardi, vingt-trois heures trente
Je vis seule, en général, enfin disons que j'ai un appartement, sans colocataire, sans personne, juste moi et mes petites affaires rangées au bon endroit, au bon moment, tout ça quoi. Donc me retrouver avec des tas de gens, que je ne connais pas, qui ne me connaissent pas, ça fait bizarre et il faut, comme on dit, un temps d'adaptation. Et peut-être aussi un plan du nid avec la disposition précise des meubles, et des dressings, pour pouvoir par exemple expliquer à certaines personnes l'utilité d'une telle invention dont le rangement des vêtements, comme ça au hasard. Parce qu'on a beau être là, dans le nid depuis seulement deux jours, c'est déjà la troisième guerre mondiale. La salle de bain déjà, on oublie parce dans le genre champ de bataille, on ne fait pas pire quoique... en fait, il y a la chambre, et ça... oh ça... c'est... indescriptible. Vraiment. Et en parlant de chambre, c'est justement là que je me rends alors qu'il est tard et que je suis complètement vannée. En plus de ça, il a fallu que je sorte à l'extérieur, pour me rendre à la salle de bain puis ressortir à nouveau pour rejoindre la chambre alors que nous sommes en pleine nuit, qu'il fait froid et que je suis en petite tenue. Honnêtement, ce n'est pas une idée lumineuse d'avoir mis la salle de bain à l'extérieur mais bon, que voulez-vous, on ne peut pas avoir de la lumière à tous les étages. Tombant de sommeil et propre, je finis par me rendre dans le dortoir et même si la majorité des candidats sont encore dehors, très certainement, je n'allume pas la lumière, sait-on jamais. Sauf que ça, c'était une très mauvaise idée. J'avance, lentement, je tape dans un coffre pour commencer. Je dévie ma trajectoire, je tâtonne ici et là, avançant encore plus lentement mais certainement pas assez pour éviter de me prendre les pieds dans un pull. Mon équilibre me fait alors très rapidement défaut et sans que je ne puisse rien faire, je me sens chuter, m'étalant de tout mon long sur le sol, mais heureusement sur un tapis en fourrure, c'est quand même un bon point. « Aiiiiiie. » que je lâche alors, pas trop fort quand même, histoire de ne pas réveiller toute la chambre avant de soupirer... Quelle cruche, là en pyjama, au sol...

Voilà maintenant quelques jours qu'il avait intégré ce jeu, et Sully avait pour le moins du mal à se familiariser avec cet environnement tout à fait inédit. Car il avait beau être relativement entouré au quotidien, c'était quand même autre chose que ce qu'il vivrait ici, au sein de ce programme, avec tous ces protagonistes dont il ne savait encore rien et qui lui paraissaient si nombreux. Il n'était pas certain d'avoir le temps de faire la connaissance de chacun d'entre eux, et nul doute qu'être expédié à l'extérieur de ces studios avant d'en avoir eu l'occasion lui laisserait un goût d'inachevé en bouche, et une certaine frustration à l'esprit. Une frustration qu'il avait déjà eu l'occasion de vivre, samedi soir, lorsqu'il avait été dépourvu de partenaire pour toute la durée du prime. Cette histoire de nomination l'avait mis clairement mal à l'aise, et bien qu'il ait à ce jour l'occasion de bénéficier d'un partenariat comme chacun de ses camarades, il est vrai qu'il avait le sentiment que tout ne s'était pas fait de la manière la plus agréable qui soit, car une jeune femme avait tout de même été éliminée, après avoir été prétendument qualifiée. Lui, il avait trouvé ça pour le moins injuste, mais ça n'avait fait que lui confirmer ce qu'il avait déjà présumé en débarquant ici : tout ça n'est qu'un univers impitoyable. Et même ce qui aurait pu lui être familier - et ainsi rassurant - ne le fut pas. Car si cette saison semblait être portée sur le septième art, il ne pourrait assurément que déplorer qu'il ne soit question que du glamour de ce milieu. Il avait notamment eu l'occasion de visiter quelques décors, rappelant certains classiques hollywoodiens. Ce n'était en soit pas tellement l'image qu'il avait du Cinéma, qu'il préférait plus naturel et moins pourvu d'artifices, mais il était pour le moins intéressant qu'un type tel que lui, si arrêté sur le sujet, soit confronté à ce genre d'environnements. Toujours est-il que le nom de son dortoir, lui, lui plaisait assez. Si beaucoup l'associeraient facilement à une certaine Sofia Coppola, c'est davantage au père de cette dernière qu'il faisait écho, aux yeux de Sully. A cette heure-ci, en tout cas, il serait peut être bon de songer à se mettre au lit, non pas par désir de se coucher relativement tôt - c'était de toute manière subjectif - mais histoire de rattraper un peu de sommeil, ne serait-ce qu'à cause de ce fichu décalage horaire. Alors il entreprit d'entrer, en silence, mais n'eut même pas le temps d'allumer la lumière que d'improbables bruits se firent entendre. Probablement une chute. Ainsi il s'empressa d'enclencher l'interrupteur - il fallait bien, hein - et eut bientôt la surprise de découvrir une jeune femme, seule, à terre. L'hypothèse d'une chute ne tarda donc pas à se confirmer. Aussitôt, il s'approcha de sa camarade, un genou à terre, et lui tendit la main. « Non, ça n'est pas une demande en mariage » qu'il souffla, en souriant, plus bêtement qu'autre chose. « La dernière m'a servie de leçon » qu'il reprit, en avalant plus difficilement sa salive. Pas parce qu'il était douloureux d'y repenser, mais parce qu'en parler était somme toute totalement malvenu. Après tout, ils ne se connaissaient pas. « C'est génial, à défaut de connaitre mon nom, tu sais que je suis un loser. » Ouais, bon, elle n'était absolument pas obligée de rebondir sur ça, et pouvait même se contenter de saisir sa main puis de le planter là. Vu ce qu'elle venait d'apprendre, elle comprendrait qu'il avait l'habitude, hein.

Je dois vraiment avoir l'air d'une belle idiote, là, sur le sol et en ce moment, je prie, oui je prie en espérant que les caméras infra-rouges ne sont pas encore en route et qu'avec un peu de chance, je n'aurais pas le plaisir de me voir me casser la figure en direct, au prochain prime. Et dire que j'étais contente d'avoir réussi à tenir sur mes deux jambes le soir de l'entrée malgré les talons vertigineux que je portais et cette robe pas franchement pratique. Ne croyez pas que je suis une godiche, non pas du tout, je sais tout à fait me mouvoir avec de telles tenues mais bon, sur la plage, avec l'euphorie du moment, j'avais un peu peur que l'impensable arrive et là, je serais aller me cacher sous un lit, bien certainement. Alors l'avantage, là, c'est que je suis tout près des lits et aussi à ras le sol ce qui semble être assez indiqué quand on veut se cacher sous un lit mais pour autant, ce n'est pas vraiment mon objectif, ce dernier était plutôt d'aller me glisser sous la couette assez rapidement. Le temps de réaliser, je reste cependant là, au sol et alors que j'espère que personne ne l'a vu et/ou entendu, voilà que la lumière s'allume et qu'on s'approche. Nouveau soupir de ma part, passer inaperçue aurait été trop beau, vraiment trop beau. Du coup, je me prépare aux moqueries ce qui accentue d'autant plus mon étonnement lorsque le candidat présent dans la chambre vient à mon secours, s'agenouillant et commençant en me parlant de mariage. Hum. « Oh et bien, tant mieux parce que ça aurait été un peu rapide, tu comprends et je n'aurais pas voulu te blesser... » Imaginez qu'il soit sensible et qu'il se soit mis à menacer de se défenestrer... la catastrophe. J'attrape alors sa main et me relève, passant ensuite ma main libre sur mes genoux qui ont pris le choc en pleine poire. « Et bien moi je dirais que si une femme a dit non a quelqu'un qui vient aider une pauvre fille venant de s'étaler par terre au lieu de se moquer d'elle, c'est elle la loser mais bon, je ne voudrais pas trop m'avancer, peut-être que tu caches bien ton jeu ! » je lui dis avec une œillade curieuse même si au fond, il m'a l'air bien sous tous rapports ce jeune homme... « Odessa, d'ailleurs. C'est mieux avec les prénoms je crois ! » Et mieux vaut commencer par ça.

S'il y avait bien une chose que Sully n'aurait décemment pas pu faire, c'est ignorer les bruits qu'il avait entendu en pénétrant dans le chambre et s'en aller comme si de rien était, alors qu'il s'était immédiatement douté que quelqu'un avait chuté, ce qui n'était quand même pas anodin et aurait assurément rendu inadmissible toute tentative de fuite. Heureusement, il n'était absolument pas du genre à ignorer ce genre de situations. Peut être que cette personne avait besoin d'aide, de soins, et si tel était le cas, il prendrait naturellement les mesures adéquates. Heureusement, il était relativement peu probable qu'il y ait eu quoi que ce soit de vraiment grave, étant donné qu'on ne pouvait quand même pas se faire atrocement mal en chutant dans une chambre, à moins de s'empaler sur un pied de lit - ce qui devait assurément arriver tous les jours, hein - ou se prendre une armoire sur la tronche. Mais là, il n'avait pas non plus entendu un énorme boucan, alors disons qu'il supposa qu'il n'aurait pas à faire autre chose qu'à relever quelqu'un. Et justement, cette hypothèse se confirma lorsqu'il finit par allumer la lumière et qu'il trouva une jeune femme à terre, pas nécessairement mal en point, mais peut être difficilement disposée à se relever dans l'immédiat. C'est donc là qu'il était censé intervenir. Et c'est ce qu'il ne tarda pas à faire, en s'agenouillant pour se rapprocher de son niveau et éviter d'être déséquilibré à son tour - sait-on jamais que ce soit contagieux - ce qui ne tarda pas à le pousser à formuler d'improbables propos. Tout de même, parler d'une demande en mariage à une jeune femme qu'il ne connaissait même pas, c'était fort. Mais comme il le disait - quoi que se justifier à ce sujet n'ait pas été indispensable - il n'était pas question de ça. « Et je n'ai habituellement pas pour lubie de demander toutes les jolies jeunes femmes que je rencontre en mariage, sinon je suppose que je serais polygame. » Oui, il avait subtilement placé un compliment. Et oui, ce fut naturel et absolument pas destiné à la draguer. Mais il aurait pu en rester là, et c'aurait même été une très bonne idée. Sauf que non, il fallut qu'il précise qu'il avait été éconduit lors d'une demande antérieure. Et ça, honnêtement, ça n'était pas une chose que cette jeune femme avait à savoir. Imaginez qu'elle le raconte à tout le monde et l'humilie joyeusement après ça, hein. Sauf que la demoiselle, qui avait saisi sa main pour se relever, eut plutôt une répartie appréciable, qui le fit même sourire, et le détendit légèrement. « On dit qu'il ne faut pas se fier aux apparences, alors peut être que je suis effectivement un sale type et que je t'ai secourue par intérêt. » Bien sûr, il l'avait fait sans arrière pensée, simplement parce que ça lui avait paru normal. De même, il ne pensait pas être un bougre, tout comme il ne pensait pas être le genre de type qu'on aimerait épouser. En fait, il se trouvait d'une banalité affligeante. Finalement, la rouquine déclina son identité. « Odessa, comme la ville ukrainienne, je suppose. Ça me rappelle Le Cuirassé Potemkine, un film que j'ai vu et revu. » Un très vieux film, certes, mais qui n'avait rien perdu de sa superbe à ses yeux. « Quant à moi, c'est Sully. Comme ... hm, le patronyme du héros du dernier succès de James Cameron, notamment. » Et là, il se trouva abominablement chiant, quand même. Il ne le faisait même pas exprès, en plus. « J'ai tendance à placer des références cinématographiques en veux-tu en voilà, par habitude, alors tu peux faire comme ma famille et les ignorer, je ne t'en tiendrai pas rigueur. » Oui parce qu'il ne demandait à personne de partager ses délires. Surtout quand il lui arrivait de parler de films que tout le monde n'avait pas nécessairement vu. Comme avec le film d'Eisenstein, il y a deux minutes. « Tu n'as rien de cassé, au fait ? » Parce que oui, c'était quand même le moment de s'en préoccuper, hein.

Spoiler:

La honte, c'est vraiment la honte d'être là, à terre et j'espère que rien de tout ça n'a été filmé ou que personne ne l'aura remarqué parce que je n'ai pas évité la chute lors de la soirée d'ouverture pour me retrouver à terre deux jours plus tard et sur les écrans dimanche prochain. J'aurais pu me relever rapidement, faire comme si de rien était, regarder par dessus mon épaule et me glisser dans les draps de soie noire pour m'endormir dans les bras de Morphée. Mais le truc en fait, c'est que ce tapis est assez confortable et je remercie le Seigneur de l'avoir placé à cet endroit pour rendre la chute un peu moins rude et douloureuse. Du coup et bien, je reste là, au sol et au moment où ma tête me rappelle que dormir ici serait une mauvaise idée, la lumière s'allume et... oups, prise sur le fait. J'attends donc les moqueries, les réflexions un peu grivoises parce que soyons honnête, il est clair qu'ici, tout le monde ne risque pas d'être gentil et compatissant alors autant se faire une raison tout de suite, histoire de ne pas être trop déçue par les gens, ce qui arrive, assez souvent, bien malheureusement. Un candidat s'approche, je retiens ma respiration, jette un œil en sa direction et... tiens, ce n'est pas une demande en mariage. Je m'en serais doutée je crois mais bon, c'est bien de le préciser, au cas où, autant pour lui que pour moi, hum. « A ce point ? Tu rencontres autant de jolies jeunes filles ? Et bien, tu es chanceux alors ! » Mais ça reste un compliment et je le prends, en souriant, bien évidemment tout en lui signifiant que non, ce n'est pas lui le looser mais plutôt celle qui lui a dit non, selon ce qu'Odessa sait de cet inconnu pour le moment, c'est à dire... rien. « Ce serait un plan tout à fait odieux mais assez intelligent, je veux bien l'avouer. » Pour autant, je ne me sens absolument pas en danger, pas tant que je serais dans le nid, avec les caméras, et plein d'autres candidats autour. Sans parler que je crois que mon partenaire est bien plus baraqué que ce candidat là et bien évidemment, s'il est mon partenaire, il prendra ma défense, c'est tout à fait logique. Je me présente ensuite, après m'être relevée parce que bon, c'est ce qu'on fait dans ce genre de situation non ? Les rencontres, pas les chutes bien évidemment. « Hum... Oui, comme la ville ukrainienne en effet même si ce n'est pas ce qu'on me dit en général, tout comme... ce film qui m'a l'air... très très intéressant... oui vraiment... » Ma voix est plus faible et pas vraiment très enthousiaste sur la fin parce que bon, ce genre de film, pas mon genre. « Ou comme le gros nounours dans Monstres et Cie ! » Mes références font peur, je sais. « Oh ça ne me dérange pas ! Surtout si tu acceptes de supporter mes propres références qui sont... vraiment très cultivées. » Ahem. Je pince les lèvres, je me fiche un peu de ne pas avoir vu le dernier film indépendant du plus grand réalisateur hongrois en réalité mais s'il veut en parler, je suis très douée pour écouter. Et puis voilà qu'il se soucie de mon état physique et ça, c'est trop mignon. « Ton plan est très au point en effet ! Et non, je ne suis pas blessée, j'aurais peut-être un bleu mais bon, tant pis, je mettrais du fond de teint dessus ! » Toujours parée face à l'adversité. Et récapitulons : mignon, bien élevé, gentil, attentionné, sexy... Hum, intéressant. Ah oui, partenaire possessive aussi, j'allais oublier, tant pis et je hausse les épaules en silence.

C'était une chose qui pouvait assurément arriver à tout le monde, de tomber, de perdre l'équilibre et de se retrouver par terre. L'important étant que ce ne soit jamais trop grave, que ce ne soit qu'une petite chute sans gravité. Et ici, justement, il semblerait qu'il ne soit question que de ça. Dans un sens, ça ne manqua pas de rassurer Sully, qui aurait tout de même été bien moins disposé à venir en aide à cette charmante rousse si les dégâts avaient été importants, si elle s'était cognée la tête ou ouvert le genou par exemple. Sauf que non, il n'aurait pas à s'improviser médecin - ça valait vraiment mieux pour tout le monde - et n'aurait qu'à lui venir sommairement en aide. Il n'était en soit absolument pas du genre à laisser les demoiselles dans un tel pétrin, surtout qu'il serait odieux qu'il ose faire comme s'il n'avait rien vu alors qu'il avait pris le temps d'allumer la lumière après avoir suspecté une chute. Ainsi donc, il ne tarda pas à s'approcher de sa camarade, s'agenouillant près d'elle et ne manquant évidemment pas de dire n'importe quoi. Car bien sûr qu'il n'allait pas la demander en mariage. Comment aurait-il pu le faire alors qu'il ne la connaissait pas ? S'il avait attendu cinq ans pour le faire avec celle qui avait partagé sa vie par le passé, ça n'était certainement pas pour faire le contraire ici. Alors non, qu'elle se rassure, il n'avait effectivement pas pour habitude de demander toutes les charmantes demoiselles qu'il était amené à croiser en mariage. Sinon, il est vrai qu'il serait un peu dans la mouise, car sans aller jusqu'à dire qu'il en rencontrait énormément, disons que sur un laps de temps assez important, ça pourrait tout de même faire beaucoup de demandes. Et la polygamie, très peu pour lui, honnêtement. « Dans la mesure où j'estime qu'on peut difficilement trouver une femme laide, oui, un certain nombre » souffla-t-il, en souriant, simplement parce qu'il estimait que toutes les filles étaient en soit jolies, de différentes façons, à ses yeux du moins. Quant à son échec sentimental, il n'avait franchement pas été utile d'en parler, hein. Heureusement, il ne récolta nulle moquerie, ce qui le rassura, et parvint même à entrer dans le jeu de la rouquine lorsqu'elle s'interrogea sur ses réelles intentions. Il sourit de plus belle à sa reprise de parole, tandis que les présentations furent bientôt faire. Mais là encore, l'intervention de Sully laissa à désirer. Il eut suffi qu'elle lui dise s'appeler Odessa pour qu'il trouve le moyen de lui parler d'un film muet. Parfois, son esprit faisait de drôles d'associations. « Je sais, rien que le titre fait difficilement envie. Mais je te rassure, je ne te le ferai pas visionner, même pour te torturer. » Parce qu'il savait bien que la plupart des gens n'étaient pas emballés par ce genre de films, et il pouvait le comprendre. De plus, il n'utiliserait jamais un film pour torturer qui que ce soit, tout comme il ne torturerait jamais personne non plus. « Avec ma nièce, vous vous partagez une sacrée référence, dis donc » qu'il reprit, en riant. Car oui, il avait déjà entendu dire ça, mais de la bouche d'une gosse de huit ans. Et là, ce qu'elle laissa entendre prit tout son sens, et l'amusa de plus belle. « Non, ne t'inquiète pas, je ne juge pas et j'estime que tes références ne sont pas moins honorables que d'autres. Bon, bien sûr, Monstres et Cie ne fera sans doute jamais partie de ma liste des cent films que j'estime qu'il faut avoir vu avant de mourir, mais il gagne probablement à être vu. » Oh, il disait ça pour la taquiner gentiment, parce qu'au fond, les goûts et les couleurs ne se discutent pas, et tout le monde n'aimait pas le même genre de films. Toujours est-il qu'il finit par se préoccuper de l'état de sa camarade, qui venait quand même de tomber. Tant qu'il était là, autant s'assurer qu'elle allait bien. « Oh, il faut bien. Pour le fond de teint, par contre, je me permets de te suggérer d'éviter. Ça n'est pas toujours très recommandé, même sur des blessures minimes. Enfin, je ne suis pas dermato, et je me doute que l'esthétique est important aussi ... » Autrement dit, il allait peut être éviter de ramener sa fraise sur des sujets qu'il ne maitrisait pas, hein. Ouais, bonne idée.

Vu la réaction de Sully face à ma chute et mon corps étalé au sol, je me dis qu'en fait, je devrais peut-être chuter plus souvent quand il est dans les parages. Après tout, lui, il a bien monté un plan assez bien construit avec demande en mariage factice, compliment glissé entre les deux et inquiétude passagère alors pourquoi moi, je ne simulerais pas des chutes, ici et là, dont il viendrait me sauver comme un preux chevalier. Je pars en live, je le sais bien mais avouons que le plan serait assez bien ficelé. Il se prendrait d'affection pour la pauvre fille maladroite et malchanceuse que je suis et moi, je lui fournirais un moyen de prouver sa virilité flattant ainsi son ego masculin. Après tout, les hommes, quand on les brosse dans le sens du poil, on peut en obtenir ce qu'on veut. Maintenant relevée, je m'amuse de ses paroles concernant sa demande en mariage et ce compliment glissé ni vu ni connu. Je rebondis dessus, d'ailleurs, mais finalement sa réponse ne me plaît plus tellement alors je fais mine de bouder légèrement, très légèrement, histoire de ne pas abuser. « Et moi qui croyait que c'était un compliment... Mais étant donné que c'est une habitude pour toi ! » Je hausse les épaules. S'il la fait exprès, il est nul, si non, il est très maladroit et dans les deux cas, la faute serait éliminatoire dans une réelle situation de drague. Pour moi, en tout cas. L'échange de nos prénoms s'ensuit finalement et c'est alors que Sully me sort une référence pour le moins... étonnante. Après la chanson du caribou, voilà un film au titre étrange, pourquoi pas. Je fronce donc les sourcils et il se présente à son tour, m'offrant une nouvelle référence cinématographique. Du coup, étant dans le cinéma, j'en profite pour faire de même mais bon, il faut dire que je suis loin d'être cinéphile et je suis très contente d'apprendre que j'ai les mêmes références qu'une gamine. A moins que sa nièce n'ait dix-huit ans mais ça, j'en doute. « Ta nièce doit être une chic fille alors, vraiment. Et donc, quel film est en top de ta liste ? Je suis curieuse même si je doute de l'avoir vu, malheureusement. Du coup, tu dois être content d'être dans des studios, non ? Tu travailles dans le cinéma peut-être ? » Beaucoup de questions, beaucoup de conclusions hâtives mais sait-on jamais, je vais peut-être tomber juste. Puis il se questionne sur mon état physique et je souris, c'est gentil, vraiment. Et il prodigue même les conseils cosmétiques, si c'est pas merveilleux... « Oh non mais seulement sur les bleus, pas sur les plaies, quand même pas, ça ne ferait qu'empirer le tout mais ça va, je n'ai rien ! La chambre Dracula n'aura pas encore réussi à avoir un peu de mon sang... » Celle là, elle était nulle, j'avoue. Hum.

Non, il n'y aurait pas de demande en mariage aujourd'hui. Cette jeune femme avait beau être très jolie et probablement bourrée de qualités, ça ne suffisait évidemment pas pour qu'une union soit légitime. Et pour avoir déjà essuyé le refus d'une femme avec qui il avait pourtant vécu cinq ans, il était bien peu probable que Sully se risque à demander une inconnue en mariage, ce qui ne ferait probablement que l'exposer à une désillusion supplémentaire, mais qu'il aurait bien cherché ce coup-ci. Toujours est-il qu'il ne put tout de même que glisser un subtil compliment, pensant bon de préciser que s'il devait être tenté d'épouser toutes les jolies jeunes femmes qui croisaient sa route, il aurait laissé tomber la monogamie depuis belle lurette. Bien sûr, c'était doute un peu exagéré. Pour autant, pensant que toute femme était susceptible d'être trouvée jolie, il est vrai que c'aurait pu lui poser quelques problèmes s'il avait véritablement été du genre à passer la bague au doigt à toute femme disposée à être à son goût. Mais voilà que cette idée sembla contrarier très légèrement la rouquine, qui semblait dire que le compliment qu'il avait sous-entendu tout à l'heure perdait de son sens s'il était véritablement susceptible de trouver chez n'importe quelle femme une certaine beauté et donc qu'il aurait été susceptible d'en épouser un grand nombre. Serait-ce déjà un peu de jalousie ? Non, il n'y croyait pas. Mais il était amusé, clairement, de cette réaction qu'il n'avait pas attendue. « C'en était bien un, pourtant, je t'assure. Car s'il est vrai que je trouve toujours chez une femme quelque chose de beau, il y en a certaines qui dégagent davantage de choses, qui intriguent au lieu de rendre simplement curieux, qui fascinent au lieu de simplement plaire ... Demande-toi si tu pourrais être de ces femmes, plutôt. En tout cas, j'ai conscience d'avoir été maladroit et je m'en excuse. Je crois que je ne sais pas flatter. » Ou alors il y parvenait pour mieux mettre les pieds dans le plat au final. En tout cas, il ne voulait aucunement passer pour un dragueur, car s'il est indéniable qu'il respectait beaucoup les femmes et partait du principe qu'elles étaient la source d'inspiration des plus grands de ce monde, il ne passait pas son temps à en courtiser une flopée. Quant au reste, et bien, parler d'un film muet aurait pu casser l'ambiance, mais cela contribua à rendre ces présentations plus originales, ainsi que d'inciter Odessa à citer une référence pour le moins ... particulière. Clairement, Sully ne jugeait pas les goûts d'autrui. La tolérance était l'un de ses principes. A noter que la référence à sa nièce, elle, ne fut absolument pas moqueuse, seulement doucement taquine. « Elle est mignonne comme tout, oui. Je note en tout cas qu'avoir des références identiques aux tiennes instaure une certaine grandeur, c'est bon à savoir. » Il se mit alors à rire légèrement, se doutant qu'elle était plus modeste que ça en réalité. « Cette liste est parfois sujette à quelques changements, mais je dirais que Fight Club et Psychose feraient de bons premiers exæquo. Tu as sans doute vu le premier, il n'est pas si vieux que ça. » Il n'avait qu'une quinzaine d'années, un peu moins même, alors elle était en âge de l'avoir vu à la date de sa sortie au cinéma, ou en dvd ultérieurement. « Quant au reste, je dirais que je ne suis pas nécessairement à l'aise au milieu de tous ces décors, car je travaille effectivement dans le Cinéma, mais de façon indépendante, sans dépendre des studios et des producteurs, en me passant surtout de leur argent, ce qui me fait travailler dans des conditions bien différentes de celles des cinéastes d'Hollywood. Tout ça ne fait pas tellement écho au Cinéma tel que je le vois. » Lui, il ne connaissait pas ces énormes décors, ces reconstitutions très fidèles ... Il tournait dans des lieux naturels, plus sommaires, moins prétentieux. Et étrangement, il s'en accommodait. Donc non, il n'était pas plus à l'aise qu'un autre de séjourner dans un ancien studio, même s'il ne pouvait pas non plus s'en plaindre. En tout cas, il ne put que s'inquiéter de l'état d'Odessa, qui avait tout de même chuté. Heureusement, plus de peur que de mal. Il se permit toutefois de suggérer d'éviter l'application de fond de teint sur des plaies, ce qui n'était sans doute pas très recommandé. Oui, au fond, il ferait tout aussi bien de se mêler de ses affaires, hm. Il sourit alors à sa reprise de parole et rit même légèrement sur la fin. Il ne savait pas nécessairement d'où sortait ce cher Dracula, mais ça n'était pas mal trouvé. « Et ça n'est pas plus mal, il me semble. » C'est le moins que l'on puisse dire. « Deux questions, maintenant. La première : que fais-tu dans la vie ? La seconde : as-tu vu Le Parfum ? » Il lui avait bien dit, après tout, que c'était plus fort que lui de placer ce genre de références ...

Spoiler:

Sully venait de se crasher, lamentablement avec un compliment qui perdait à présent tout son sens étant donné qu'elle était une jolie jeune femme donc mais que quasiment toutes les autres l'étaient aussi à ses yeux. Mais si, comme toutes les femmes, Odessa appréciait les compliments, elle n'était pas pour autant vexée par cette petite maladresse sans parler qu'ils venaient tout juste de se rencontrer alors qu'elle était là, au sol et qu'il venait à son secours alors il aurait été un peu présomptueux de lui en vouloir mais pas moins amusant cependant. « Je te crois alors et je vais garder cette réponse pour moi si tu veux bien. Mais ne t'excuse pas, il n'y a pas mort d'hommes mais je te conseillerais simplement de faire attention, certaines se vexent beaucoup plus rapidement que moi. Prends ça comme un conseil d'amie. » Qui en était d'ailleurs réellement un. « Et puis, je crois que ce n'est pas plus mal de ne pas savoir flatter, à la longue, ça devient agaçant et on s'attire les foudres des autres. Je n'aime pas tellement les flatteurs, ils ont toujours une haute idée d'eux-mêmes et des idées derrière la tête... » Petite confession du soir, bonsoir. Viennent ensuite les présentations et le partage de références cinématographiques assez peu égales, en effet et la découverte de mes points communs avec la nièce de Sully. Là encore, il m'en faut plus pour me vexer étant donné que je suis bien évidemment assez pertinemment que le cinéma d'auteurs et moi... Ca fait trente-six, au moins. « Tout à fait, je suis une référence, dans ma catégorie, bien sûr. » Ou pas du tout, car j'ai beau me trouver très jolie, je suis loin d'être prétentieuse et d'avoir une image de moi-même aussi élevée. Par contre, j'ai un peu d'humour et beaucoup d’auto dérision, la preuve. « Oui j'ai vu Fight Club, en effet même si je dois t'avouer que je n'ai pas tellement apprécié. Chacun ses goûts, comme on dit. Et donc, tu travailles dans le cinéma ? C'est excitant ! Tu fais quel genre de films alors ? Des films indépendants c'est ça ? De quoi parlait ton dernier film ? » Oui ça m'intéresse car le cinéma, je ne connais pas vraiment, enfin, je connais les acteurs, les potins mais les films en eux-mêmes, ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Il s'inquiète ensuite de mon état et je le rassure, faisant une petite blague que j'aimerais bien, moi-même, oublier avant qu'il ne me questionne à mon tour... « Et bien, je travaille dans l’événementiel, l'organisation de soirées, ce genre de choses tu vois et oui, j'ai déjà vu ce film, à la télé mais... disons que... je n'ai pas vraiment apprécié. On va dire ça comme ça. Pourquoi cette question d'ailleurs ? Ne me dis pas que tu comptes faire pareil... » Ce qui serait hautement effrayant au passage. Relevée, j'en profite alors pour m'asseoir sur le lit le plus proche, celui à côté duquel je me suis cassé la figure.

Si Sully doutait encore de n'être absolument pas doué pour complimenter les jeunes femmes, il était maintenant fixé. Car c'était bien le seul point positif qu'il voyait au fait d'avoir un peu merdé à l'instant, hm. Le fait est qu'il avait véritablement voulu sous-entendre un compliment, pas tant pour flatter que pour être sincère, mais que la suite avait bien vite joué contre lui. Le problème avec Sully, c'est qu'il voyait du beau partout et en chaque personne, plus particulièrement en chaque femme. Car sans aller jusqu'à dire qu'il pourrait s'éprendre de chaque demoiselle qui viendrait à croiser sa route, il est vrai qu'il avait souvent tendance à trouver les représentantes de la gente féminine jolies. En soit, c'était plutôt une bonne chose, sauf lorsqu'il était avec l'une d'elles et que celle-ci pouvait ne pas apprécier de ne faire finalement partie que d'une grossière généralité. Ainsi donc, Sully dut s'en défendre et préciser qu'il y avait quand même différentes manières d'être jolie, que toutes les femmes ne l'étaient pas de la même manière et ainsi qu'elle aurait tort de croire qu'elle n'était qu'une jolie jeune femme parmi tant d'autres. Il ne pouvait bien sûr par prétendre qu'elle avait plus d'intérêt qu'une autre, car il ne la connaissait pas encore suffisamment, mais il ne pouvait évidemment pas la laisser penser que personne ne pouvait se distinguer du lot. « Je le prends comme tel alors, merci. » Car le conseil qu'elle venait de lui donner pourrait peut être lui éviter de mettre les pieds dans le plat à nouveau, à l'avenir. « Je n'ai pas une très haute opinion de ceux qui flattent à tout va, moi non plus. C'est beaucoup trop prétentieux, et risqué, de vouloir courtiser tout le monde. Alors je crois que je préfère garder ma maladresse et ainsi m'éviter des ennuis. » Parce qu'à force de vouloir flatter tout le monde, ce genre de types ne devaient flatter personne, et les femmes ne devaient assurément pas les porter dans leur cœur. Alors, pour une fois, il était assez content d'être ce qu'il était. Quant à la référence d'Odessa, il est vrai qu'elle était identique à celle que lui avait déjà formulée sa nièce. Sully trouva alors amusant qu'elle le tourne de cette manière, bien qu'elle se doute qu'elle ne soit pas très sérieuse. « Ça se voit tout de suite » qu'il souffla, amusé, pour garder le même esprit. Puis il laissa entendre que Fight Club et Psychose pourraient constituer les premiers exæquo de sa liste des films à voir avant de mourir. « C'est un film un peu particulier, et qu'il faut je pense voir au moins deux fois pour l'assimiler correctement. L'image qu'on y donne de la société de consommation et du trouble dissociatif de l'identité m'a personnellement fait beaucoup réfléchir, mais je peux comprendre que ça ne t'ait pas particulièrement plu. » C'était vraiment un film complexe, et si quelqu'un aspirait simplement à se détendre devant un long métrage, ça n'était peut être pas le film idéal pour ça. « Oui, exactement. Je dirais que je réalise des films réalistes et dont j'essaie souvent de tirer une morale. De façon indépendante, oui, sans dépendre des gros studios de Cinéma. » Quant au dernier film qu'il avait réalisé ... « Il racontait l'histoire d'un jeune garçon que son père avait abandonné à la naissance et qui, en l'apprenant, s'était mis en tête de le retrouver. Tout le temps qu'avait duré ses recherches, il l'avait idéalisé, et quand enfin il croyait avoir retrouvé sa trace, on lui avait appris qu'il s'était tué en moto, deux mois plus tôt. Après ça, c'est à sa mère qu'il en avait voulu, estimant qu'elle avait trop attendu pour lui parler de son passé. Son père, par contre, était devenu pour lui un héros, oubliant son abandon et préférant se complaire dans une naïveté destructrice. » Il fallait savoir que les films qu'il réalisait n'étaient jamais bien gais. Il y était toujours question de troubles, notamment. Il n'était alors pas certain que ce soit le genre de film qui aurait pu plaire à sa camarade. Il n'avait même pas cette prétention, à vrai dire. « Tu as beaucoup de responsabilités, je suppose. Ce n'est pas un travail trop stressant, de devoir gérer ce genre de choses ? » Ce devait être un milieu exigeant, surtout si elle était susceptible de travailler dans la haute sphère. « Décidément, peu de films semblent trouver grâce à tes yeux. A part Monstres et Cie, évidemment. » Il rit légèrement puis reprit son sérieux, en profitant pour s'assoir à coté d'elle. « Non, rassure-toi, ça n'est pas prévu. C'était en fait une transition comme une autre, pour en venir à parler de ta couleur de cheveux, si tu me suis un peu. Je suppose qu'ils sont naturels. J'espère, même. On a entendu beaucoup de légendes sordides sur les rousses, mais moi elles me fascinent. Je crois que l'une des plus grandes déceptions de mon existence a été d'apprendre que Rita Hayworth était née brune. » Bon ça, c'était pour la petite histoire, hein. De toute façon, on en revenait toujours au même point. A force, elle allait avoir l'habitude.