Si bander une cheville était tout un art. Se blesser l'était aussi. La preuve : il y avait des blessures légères, des blessures graves, un os cassé ou un simple muscle froissé, une légère égratignure ou une plaie profonde, de simples symptômes, de simples maux douloureux... il y avait différents styles de blessures. On pourrait en parler longuement. Ainsi, Valeri laissa entendra que Lena se débrouillerait bien mieux que lui. C'était une façon comme une autre pour lui faire comprendre qu'il voulait bien que ce soit elle. Après tout, il ne se voyait demander à une tierce personne de lui faire ce bandage -sûrement parce qu'il n'avait pas envie de devoir faire le récit de cette péripétie. Au moins, là, il n'avait rien à dire, puisque Lena était avec lui lorsque c'était arrivé. La jeune ne semblait pas être contre cette idée. A vrai dire, comment pouvait-on être contre sa propre idée ? A moins d'être du genre à retourner sa veste bien trop vite, on ne le pouvait pas. Ainsi, une fois qu'ils sortiront de cet hôpital, ils rentreront certainement et la danoise s'occupera de la cheville de Valeri. Le point final de leur aventure nocturne au sein de cet endroit. A ce sujet, elle avait l'intention de le raconter à tout le monde et elle aurait besoin du biélorusse comme témoin, afin qu'il approuve (ou non...) ses dires. Il se doutait, malgré tout, qu'elle ne le laisserait pas seul, ici. Elle n'était pas comme cela, Lena. Elle était gentille. Dans son récit, elle évoquerait Valeri et sa bravoure. Elle souffla même un certain regret qu'il ne s'est pas blessé d'avantage, ou plutôt qu'il n'ait pas de blessure à exhiber à tous. Histoire de les impressionner un peu plus. Mais il avait encore tout le temps pour se blesser, comme il venait de lui faire remarquer. Ils leur restaient encore de nombreux mètres à parcours dans ce terrain rempli d’embûches. Valeri n'espérait pas se blesser un peu plus. Il avait déjà bien assez mal comme cela, avec sa cheville qu'il maudirait pendant un bon moment. Que Lena se rassure, c'était dans ses attentions. De revenir en un seul morceau. De revenir vivant et pas trop abîmé. «  Ne t'en fais pas... c'était dans mes intentions. » souffla-t-il alors, un brin amusé. Il n'allait pas en pleurer, à vrai dire. Tout cela n'avait été que des présuppositions. Un tibia de cassé, une arcade sourcilière d'ouverte et un traumatisme crânien. Tout cela n'était que des pronostics. Valeri ne souhaitait pas souffrir le martyr à la sortie de cette hôpital. Lena vint alors à lui faire une requête. Elle ne voulait pas qu'il parle au sujet de leur conversation qu'ils avaient eu. Elle pouvait avoir confiance en lui, il ne parlera pas. Tout comme il n'avait pas parlé la semaine passée. Il n'avait aucun intérêt de le faire, et ne pouvait tirer aucun profit de ces révélations. Valeri n'était pas du genre à parler sur le dos des gens. Non, il le disait en face. Alors, elle pouvait être rassurée. Elle n'avait d'ailleurs eu personne qui ne lui avait parlé -ni posé de questions- au sujet de leur conversation passée. Et aucune image n'avait été passée au prime. Cela n'avait pas étonné le biélorusse. Selon lui, la production ne disait que des images assez gênantes, pouvant certainement porter atteinte à l'image du candidat (Valeri aura sûrement quelques soucis à se faire au prochain prime...). Alors leur conversation n'avait pas intéressé. Ni la production, ni les téléspectateurs. Même ce baiser ne les avait pas intéressé. Après tout, ce n'était qu'un baiser imposé. Un baiser commandé par Cupidon. Lena était assez satisfaite que les images n'aient pas été diffusées, car personne n'avait pu la voir entrain de manger son esquimau. Personne sauf Valeri, bien évidemment. Elle l'avait mangé comme un petit goret. Le biélorusse n'hésita pas à y ajouter un commentaire. Puis un second. Elle était toujours jolie, même en mangeant son esquimau, il l'avait trouvé jolie. Peut-être aurait-il dû se taire. Oui... il se sentait assez gêné parce qu'il venait de dire, étrangement. Oui. Il avait sûrement parlé trop vite. Mais il était trop tard pour regretter des dires. On regrettait toujours les choses passées, et jamais les choses à venir. Le regret était une trace du passé. Il se gratta alors la nuque. Un léger silence s'était installé entre les deux jeunes gens. Un silence qui ne dura pas longtemps. Le silence n'était jamais bon signe... Il fut presque soulagé lorsqu'il entendit la voix de Lena. Ils auraient dû tenter le mélange esquimau-chips, elle pensait que ce mélange pouvait être bon et qu'elle aimerait bien essayer. Essayer le mélange esquimau-chips. Valeri resta un instant, assez songeur sur cette révélation. «  Du baiser ? je... non... hum, tu ne devais pas parler de ça. Non, tu ne parlais pas de ça... je... enfin, oui ça ne devrait pas être mauvais comme mélange. » lança-t-il, il ne savait même pas pourquoi il avait mentionné ce baiser. Il agita alors la tête, un peu embêté par ses dires. «  Je... je crois qu'on devrait y aller, la douleur commence à me faire dire n'importe quoi. Et à cette allure, je serai capable de te réciter un poème en alexandrin... ». C'était de la faute à la douleur. Elle lui faisait dire n'importe quoi. Et dans de situation pareille, on rejetait la faute sur n'importe qui, ou n'importe quoi. C'était de la faute à la douleur... Elle avait bon dos la douleur.

Valeri était un homme de paroles. Lorsqu'il disait qu'il ferait telle ou telle chose, il le faisait. Il tenait toujours ses promesses. Peut-être était-ce les seules qualités que le garçon pouvait avoir. Allez savoir. Ils vinrent alors à mentionner la conversation qu'ils avaient pu avoir, dans ce supermarché, la semaine passé. Notamment au sujet du fiancé de la jeune femme. Il avait pu avoir quelques mots maladroits à son sujet, mais malgré cela, il n'avait rien sur son compte à qui que ce soit. Personne n'avait été au courant de ce qu'ils s'étaient dit. Ni de ce qu'ils s'étaient passés... de ce baiser. De ce baiser que Valeri avait jugé de bon de commenter, en disant que c'était un baiser gourmand. Il n'avait rien d'exceptionnel ce baiser. Et pourtant, il fallait croire qu'il l'avait marqué puisqu'il s'en rappelait encore... Il ne savait pas d'ailleurs pourquoi il venait de reparler de cela, à haute voix. De mentionner un baiser à haute voix, lorsque Lena parlait de vouloir goûter un mélange esquimau-chips. Elle ne parlait pas d'un baiser, il était évident. Dans la tête du jeune homme, tout cela semblait être un peu confus. Il y avait d'un côté ses pensées et de l'autre les paroles prononcées par la jeune femme. Un méli-mélo de mots. Évidemment, elle ne parlait pas de cela. Elle ne parlait pas de ce baiser, ni même d'un autre baiser. Il n'y aura jamais d'autre baiser, de toute manière. Il agita doucement la tête, et lorsque Lena eut pris la parole, il se sentit bête, idiot. Il se gratta la nuque, un brin gêné par tout cela. Il était idiot. Elle avait raison, il n'y avait rien à en dire, ni à redire sur ce baiser. « J'suis désolé... » souffla-t-il dans un petit murmure, se sentant toujours aussi idiot d'avoir pu pensé à cela. Oui. D'ailleurs, pourquoi avait-il repensé à cela ? … Valeri expliqua alors que la douleur lui faisait dire n'importe quoi. La douleur lui montait à la tête. Ce fut la seule explication (plus ou moins) crédible qu'il avait trouvé à lui énoncé. Ainsi, comme pour se sauver de cette conversation et surtout de sa propre gêne, il proposa de reprendre le chemin en direction de la sortie. Comme ça, il laissera derrière lui cette gêne qui s'ancrait à lui. Partir de là était donc la solution. Lena lui proposa qu'il se tienne à elle s'il avait trop mal pour prendre un appui sur le sol. « Je... je veux bien, enfin te tenir la main, j'ai peur de t'égarer et de me retrouver tout seul...A croire que ta peur est contagieuse. » souffla-t-il. Il ne disait pas cela méchamment, il plaisantait. Finalement, le biélorusse tenta de se relever sans trop de difficulté. Il attrapa au passage la main de la jeune femme, et tenta de poser son pied droit sur le sol. Il grimaça tout d'abord de douleur. Il bénissait qu'il fasse noir que Lena ne pouvait pas le voir comme ça. Certainement, ce serait-elle inquiétée si elle le voyait comme ça. Il avança finalement, posant son pied en gémissant de douleur à chaque pas qu'il pouvait faire avec. « Je n'ai pas mal... » lança-t-il, comme pour ne pas inquiéter la jeune femme. Non. Il ne voulait pas qu'elle s'inquiète pour lui. Il était costaud et solide, ce n'était pas sa cheville qui allait l'empêcher d'avancer. Alors qu'il avançait à une allure bien plus lente que la jeune femme, il finit par renoncer après avoir fait quelques mètres. « Je veux bien prendre appui sur toi, en fait... ». Il devait se résigner à avouer qu'il avait mal, bien trop mal pour avancer tout seul sans prendre appui sur quelque-chose, ou quelqu'un -en l’occurrence Lena. Il fallait qu'il mette sa fierté de côté. Il prit alors appui sur l'épaule de Lena, sans non plus trop se reposer sur elle. Ils avancèrent donc dans le noir, à une allure bien plus lente que celle qu'ils avaient pu avoir précédemment. « Dis, tu crois que la sortie est encore loin ? » lui demanda-t-il, finalement. Ce n'était pas qu'il s'impatientait, ou qu'il en avait marre de la compagnie de la jeune, bien au contraire... mais il avait bien hâte de sortir de là pour constater l'ampleur des dégâts. Ou plutôt pour examiner sa cheville.

Des fois, les mots s'échappaient. Sans explication. Ils sortaient de notre bouche tels des voleurs qui nous dévaliseraient une banque. Les mots étaient des voleurs, des voleurs de nos pensées, de nos états d'âme. Des alliés de notre inconscient. Il se sentait éperdument gêné par les mots qu'il avait pu prononcer, il voulut presque les refouler. Mais peut-on refouler des mots ? Parait-il que les mots étaient plus forts que tout. Alors désolé. Il se disait être désolé. Oui, désolé, il l'était. Désolé d'avoir employé ces mots-ci, désolé de n'avoir pas su les garder terré dans un petit coin de sa tête. Désolé. Tout simplement désolé. Il n'avait pas à l'être, selon la jeune femme. Sûrement avait-elle raison, peut-être pas. Il ne savait pas vraiment. A vrai dire, d'ici quelques minutes, d'ici quelque temps, ils auront oublié la bêtise de Valeri. Dans un moment de rien, tout cela sera derrière eux. Partir. Partir et sortir d'ici était une façon comme une autre de mettre les mots maladroits de Valeri derrière eux. Le biélorusse laissera sa bêtise et sa gêne assises sur ce coffre, tant dit que lui s'en irait. Il ne voulait pas rester, ici. Vouloir rester dans un endroit lugubre était certainement une idée glauque. Il n'espérait pas faire sa nuit, mais comptait bien la faire dans son lit, mais avant cela il devait s'occuper de sa cheville, ou tout du moins la panser. La jeune femme lui proposa même qu'il prenne appui sur son épaule si le voulait. Lui préférait juste lui tenir la main, jugeant avoir peur de la perdre et de se retrouver seul. Seul au milieu de nul part, avec sa douleur en unique compagnie. Il ne voulait pas cela. Alors il finit par se relever et attrapa aussitôt la main de la jeune femme. Il tenta de faire un pas, puis deux en s'appuyant sur cette cheville bien trop douloureuse. Il ne pouvait pas s'empêcher de gémir à chacun des pas foulés. Des gémissements qu'il tentait de retenir, pour ne pas que Lena ne puisse les entendre. Il ne voulait pas qu'elle s'inquiète pour lui. Alors, comme il le lui avait déjà dit : ce n'était rien, réussit-il à articuler entre deux gémissements de souffrance. Ce n'était rien. Ce n'était juste qu'une cheville qui voulait se faire écouter. Il lui dit alors qu'il n'avait pas mal. Mais elle lui disait qu'elle le voyait bien. Voir. Voir avec des oreilles. Valeri avait bien trop mal pour sourire de cette pensée. Ainsi elle entendait bien qu'il souffrait... A croire que sa douleur n'avait qu'une envie : celle de se faire entendre. De faire parler d'elle et d'inquiéter. Les douleurs étaient bien plus fourbes qu'on ne pouvait le penser. Valeri reprit malgré tout la marche en clopinant et en tentant de taire ses lamentations sourdes. Finalement, il se résigna à prendre appui sur l'épaule de la jeune femme. Il avait trop mal, il avait qu'il se rendre à l'évidence. Il avait trop mal pour avancer tout seul. En tentant de marcher tout seul, il n'allait faire que d'aggraver cette blessure... Ce n'était pas bien sérieux. Ne pas être sérieux, en parlant d'un blessé, c'était bien un discours de médecin ça. Le biélorusse s'appuya donc sur l'épaule de la jeune femme tout en douceur. Il devait lui rendre intact, lui rendre son épaule intact. Un petit sourire amusé se fendit sur ses lèvres. « Je vais essayer... enfin si je te la broie trop, je te ferai un massage de l'épaule pour me faire excuser. » souffla-t-il alors. S'il lui faisait trop mal à l'épaule, il lui offrirait un massage. Un massage de l'épaule, plus précisément. Prenant appui sur l'épaule de la danoise, ils reprirent donc la route. Il tentait donc de ne pas trop s'appuyer sur sa cheville. Il lui demanda alors si la sortie était encore loin. Si ça se trouve, ils ne la trouveront jamais et seront résolus à rester vivre enfermés dans cet hôpital abandonné, sans eau, sans nourriture, sans lumière... de quoi devenir fou, et de crever dans un coin. Non. Ils la trouveront cette issue. Il l'espérait tout du moins. La marche n'était pas conseillée pour sa blessure. Alors plus vite ils la trouveront, plus vite ils pourront bander la cheville du jeune homme. Lena lui fit remarquer que c'était une bonne question. A croire que dans la vie, il y avait des bonnes et des mauvaises questions... Ils tomberont dessus quand... quand, il ne savait pas trop. Elle s'était interrompit dans sa parole, ce qui inquiéta quelque peu le biélorusse. « Ca va ? Tu... tu n'es pas fait mal, dis ? » lança-t-il quelque peu inquiet. Il ne manquerait plus que cela. Qu'elle aussi se soit blessée. Deux blessés dans un hôpital abandonné, quelle ironie. Lena reprit la parole. Expliquant qu'elle croyait qu'ils l'avaient trouvé. Qu'ils avaient trouvé la sortie. Valeri tourna sa tête à droite, puis à gauche pouvant observer une fenêtre cassée où il pouvait observer au loin la nuit étoilée. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Valeri. « Oui, je crois aussi... » souffla-t-il avant de faire quelque pas en avant. « Je te propose que tu sortes la première, et ensuite ce sera moi... tu pourras m'aider à redescendre comme ça, afin que j'évite de retomber sur ma cheville droite. » proposa-t-il alors. Et ensuite, ils rentreront et s'occuperont de la cheville de Valeri et leur vie reprendra son cour comme si de rien n'était...