“ there's a new knock on my door,
sounds like something
I ain't ever heard before ”

feat. zoran

En fait, ça n'était pas une salle d'attente, c'était le couloir de la mort. Non ? Ah bah, c'est en tout cas ce que Freddie se réservait le droit de penser quand elle voyait ces jeunes gens au bord de l’ulcère, probablement plus angoissés à l'idée de passer cet entretien final que l'anglaise l'avait été le jour où elle avait attendu de savoir si son doberman survivrait à sa piroplasmose. Pourtant, ça avait été la pire attente de toute sa vie, et il était quand même peu probable, aussi redoutables soient hypothétiquement les examinateurs, que quiconque ressorte de là avec un œil en moins ou une quelconque morsure, hein. Oui, disons qu'elle préférait quand même penser que ces gens-là étaient un tant soit peu professionnels et gardaient leurs pulsions criminelles pour leurs jours de repos. Donc oui, elle avait comme l'impression que tout le monde ici dramatisait un peu les choses et qu'il serait bon de leur rappeler que jusqu'à preuve du contraire, ils ne jouaient même pas leur vie sur cet entretien. Pourtant elle tenait bon, au milieu de ces grands stressés, de ceux qui gigotaient, de ceux qui toussaient, de ceux qui se bouffaient les ongles jusqu'à en grimacer de douleur. Elle tenait bon, oui, parce qu'elle se nourrissait justement de cette improbable effervescence pour pleinement contrôler ses propres émotions. Elle les soutenait même moralement et adressait quelques regards compatissants à ceux qui lui semblaient être les plus proches de la syncope. Quel ne fut en tout cas pas son soulagement lorsqu'elle crut remarquer que le jeune homme assis à une chaise de la sienne semblait être, oh bon sang, au moins aussi serein qu'elle. Non vraiment, il n'avait pas l'air de se retenir de pleurer, de vomir ou de laisser échapper quoi que ce soit d'un tout autre orifice, alors disons que ça lui donnait subitement incroyablement envie de le connaître, ce brave gars. Pas facile, néanmoins, quand celui qu'elle avait mentalement surnommé Monsieur Morve, autrement dit son voisin enrhumé comme en plein mois de janvier, empêchait a priori toute prise de contact. Néanmoins, Freddie avait toujours eu beaucoup de ressource. « Excuse-moi, tu veux bien échanger ta place avec la mienne ? Je viens de réaliser que mon ami était assis juste là, et j'aimerais le saluer. » Et en moins de temps qu'il en aura fallu à Colomb pour découvrir l'Amérique, voilà qu'elle était débarrassée du type à coté de qui elle s'était trouvée seule trop longtemps. « Oh, salut toi. Tu vas bien ? Tu … oui, bon, on ne se connaît pas, enfin a priori, donc tu imagines bien que je ne voulais simplement plus exclusivement côtoyer … ça. » Le type qui se mouchait quarante-cinq fois par minute, oui, c'est à peu près ce qu'elle avait voulu dire. « Je suis Freddie, mais fais comme si tu le savais déjà, hein. » Oui, des fois que l'autre type tende un peu trop l'oreille. Quoi que là, vraiment, il était occupé à vider son paquet de mouchoirs, hm.

La vie est faite de surprise. La première étant ma présence ici. Il y a quelques mois de cela, je longeais la mer de Pula, et voila qu'aujourd'hui, je me trouve être en train de passer un casting à Dublin. Et pas n'importe quel casting ! Celui pour participer à l'émission de télé-réalité, Fake Lover, s'il vous plait. Cela fait un bon moment que je patiente dans cette salle. On doit bien être une dizaine là-dedans. Si la plupart semble au bord de la crise cardiaque, personnellement, je ne me suis jamais senti aussi détendu de ma vie. En fait, voir tous ces idiots s'agiter sur leur siège m'apaise grandement. A tel point, que je prends un malin plaisir à tous les dévisager un a à un. Et tandis que je joue à "le premier qui baisse les yeux a perdu" avec mon voisin de face, quelques agitations viennent attirer mon attention tout près de moi. « Excuse-moi, tu veux bien échanger ta place avec la mienne ? Je viens de réaliser que mon ami était assis juste là, et j'aimerais le saluer. » Je tourne la tête à gauche, à droite, cherchant le prétendu ami de la jeune femme, puis finit par comprendre qu'il n'existe pas. Hm, excuse-moi, ma belle, mais.. on se connait ?! Je la regarde prendre place à côté de moi, sans broncher. Tu me fais du rentre dedans, Dorothée, ou comment ça se passe ? « Oh, salut toi. Tu vas bien ? Tu … oui, bon, on ne se connaît pas, enfin a priori, donc tu imagines bien que je ne voulais simplement plus exclusivement côtoyer … ça. » Ah ! Tout s'explique.. J'émets un léger rire puis secoue la tête de haut en bas, en signe de compassion. « Je suis Freddie, mais fais comme si tu le savais déjà, hein. » Freddie ?! Sérieusement ? Y a encore des gens qui appellent leurs gosses comme ça ? Ca fait très Freddy Mercury quand même.. Je me cambre légèrement, veillant à ce que son ancien voisin nous regarde bien, puis finit par poser ma main sur la cuisse de la demoiselle. « Oh ! Pas de soucis, tu peux compter sur moi pour ça.. », murmuré-je de mon accent croate, un sourire grivois accroché aux lèvres. Attendez, j'ai une bombe qui à mes côtés qui veut qu'on joue à faire semblant de s'apprécier... « Je suis Zoran, mais tu peux tout aussi bien m'appeler Messie. » Dans la mesure où je viens de la sauver, je pense que le terme est tout à fait adéquat. Non ?

Comprenez bien qu'en dépit de toute la patience que la vie lui avait donné, Freddie ne pouvait se résoudre à se contenter de la compagnie d'un type qui finirait très certainement par se moucher avec son sweat-shirt et qui par ailleurs souffrait sans doute plus d'un rhume psychologique qu'autre chose. Un peu comme si s'exploser les sinus était sa manière à lui de gérer son stress. D'où son idée d'échanger de place en prétendant devoir saluer un ami, qui pourtant ici était un jeune homme qu'elle n'avait a priori jamais vu de sa vie. Mais ça, pour sûr, ça n'était jamais qu'un détail et feindre de se connaître depuis un peu plus longtemps que trois secondes et demi ne devrait quand même pas présenter une insurmontable difficulté. Ainsi, elle n'eut pas trop de mal à s’asseoir près de ce type qui devait quand même se demander ce que cela signifiait. Il en déduirait peut être qu'elle s'approchait pour dragouiller, mais comprendrait sans doute rapidement que ça n'était pas le genre de la maison. En tous les cas, elle lui communiqua son nom, histoire quand même de crédibiliser leur jeu, au cas où. Mais, bien entendu, il fallait effectivement qu'il ait l'air de déjà le connaitre. Et par ailleurs, elle s'étonna un peu du fait qu'il souhaite être crédible au point de poser sa main sur sa cuisse. Mais soit. « Je te remercie. D'autres à ta place m'auraient sans doute demandé ce que j'ai pris avant de venir. » Mais lui, il ne lui avait même pas jugée du regard, alors disons qu'elle s'estimait franchement chanceuse d'être tombée sur quelqu'un de compréhensif. Il se présenta en tout cas à son tour et fit naître sur ses lèvres un sourire amusé. « Entendu, Messie. Mais tant qu'on y est, tu sais que tu peux tout aussi bien m'appeler Déesse, hein, des fois que tu trouverais ça mieux que Freddie ... » Oh bah oui, ça valait le coup d'essayer, c'est clair. Quoi qu'en soi, elle n'était pas sérieuse, mais c'était flagrant et prévisible de sa part. « Maintenant, si je te dis que tu as été piégé pour une caméra cachée qui passe jeudi soir, que le moucheur compulsif est mon complice et qu'une caméra est planquée derrière le ficus, tu me réponds quoi ? » Mais vu qu'il était évident qu'il ne s'agissait que d'un scénario fantasque et qu'elle avait mieux à faire de sa vie que de piéger des gens, supposons qu'elle cherchait simplement à tester son flair, et son humour, par la même occasion.

Je suis assez doué pour jouer la comédie. Puis, je ne me prends jamais au sérieux. Alors, faire semblant de connaître cette gonzesse pour lui éviter de se coltiner ce misérable, une minute de plus, ne me dérange pas le moins du monde. Si bien que je prends très vite mes aises, notamment en posant ma main sur sa cuisse. « Je te remercie. D'autres à ta place m'auraient sans doute demandé ce que j'ai pris avant de venir. » Ce qui est tout à fait compréhensible ! Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre ce genre de situation. « Quoi que tu aies pris, je suis sûr que c'est assez fort. », dis-je sur le ton de la rigolade. C'est drôle, quand même.. Il y a deux minutes, j'ignorais totalement l'existence de la belle, et voila que maintenant, je plaisante avec elle. Enfin, je ne vais pas me plaindre. Dans la salle, elle est certainement celle qui aurait pu être de meilleure compagnie. Ce n'est pas la rouquine qui se ronge les ongles jusqu'au sang qui m'aurait fait de l'effet. Vraiment pas, non. « Entendu, Messie. Mais tant qu'on y est, tu sais que tu peux tout aussi bien m'appeler Déesse, hein, des fois que tu trouverais ça mieux que Freddie ... » Je réponds à son sourire, puis lève les yeux au ciel, amusé. « Déesse ? Rien que ça ? » Je suis merveilleusement bien placé pour dire une chose pareille, oui. Je jette un furtif coup d'œil à son ancien camarade qui n'en a, finalement foutrement rien à faire de notre conversion, puis je reviens à elle. « Maintenant, si je te dis que tu as été piégé pour une caméra cachée qui passe jeudi soir, que le moucheur compulsif est mon complice et qu'une caméra est planquée derrière le ficus, tu me réponds quoi ? » Sérieusement ? Hagard, je parcours la salle du regard, à la recherche de cette fameuse caméra cachée, puis finis par tourner la tête vers elle, un sourire malicieux dessiné sur les lèvres. « Très drôle. » Je balance légèrement la tête de gauche à droite avant rouler de les yeux. « Tu viens d'où, petit Freddie ? », balancé-je, comme ça, du tac au tac. Lorsqu'une question habite mon esprit, je n'hésite pas bien longtemps avant de la poser. Peu m'importe qu'elle concorde avec le reste de la conversation ou non..