JORAH.

Les mains dans les poches, je traîne sans aucune réellement envie dans le Nid de Cupidon. Je finis par arriver non loin du salon. Je m'emmerde. Vraiment. Je pousse un soupir discret. Je vois Jorah assis sur un pouf, entrain de lire. Tiens, un visage familier. Non, il n'y a pas de raison que lui ait une occupation, et moi ... rien. Ce n'est pas juste ! Je refuse. Je braque mon regard bleuté sur sa petite personne pendant un long moment. Je m'appuie sur le seuil de la porte. Finalement, comprenant qu'il est vraiment absorbé par son bouquin de merde. Bon, aller ... « Tiens » je fais mine de le remarquer alors que je suis là depuis déjà cinq bonnes minutes, ma voix prend l'air surpris. Je m'approche de lui, lui prenant son bouquin pour le cacher dernière mon dos d'une main vive. Je l'empêche de finir sa lecture, oui, l'idée de l'enquiquiner me plait pas mal. C'est très tentant ! Oui, je suis totalement chiante lorsque je m'ennuie et même si je suis ici, cela ne va pas changer. Je croise son regard interloqué, et j'hausse les épaules en guise de justification. « J'ai remarqué que tu m'évitais lorsqu'il y avait trop de monde » je dis donc, comme ça, l'air de rien, avant de prendre place sur ses genoux, jetant son bouquin au sol pour ne pas qu'il le récupère. Oui, je ne fais pas les choses à moitié. Bon, je n'ai rien remarqué mais il me faut quand même un argument.« Aurais-tu honte ... » je commence alors de ma voix rauque, moqueuse. Je fais mine d'appuyer une main sur son petit coeur, ouais, ouais ... Je sais tout. « ... de la passion dévorante que tu éprouves pour moi ? » je finis par conclure en arquant un sourcil. Il faut qu'il en parle, comme cela, il souffrira moins. C'est pour lui que je lui demande ça.

Dans des moments comme celui-ci, Jorah en venait à se dire qu'il était bon, tout de même, d'avoir un peu de temps devant lui pour profiter d'une lecture qui ne serait interrompue ni par une demi-sœur lui rendant visite à l'improviste pour lui taxer quelques billets, ni par une sonnerie de téléphone retentissant pour la quatorzième fois de la journée. Il s'était assis sur l'un des poufs de la salle détente, et ne s'était pas franchement attendu à ce que Krisjana apparaisse subitement dans son champs de vision, après l'avoir accosté d'une façon qui présageait qu'il n'aurait pas franchement l'occasion de terminer sa lecture. C'est donc perplexe et curieux de savoir si elle tenterait de le convaincre d'avaler le bouquin pour s'étouffer avec qu'il la vit s'approcher, elle qui bientôt s'empara de l'ouvrage, confirmant ses soupçons. Pris au dépourvu, mais surtout intrigué par le comportement de la brune, il afficha un sourire amusé, d'autant plus lorsqu'elle reprit la parole, et qu'il reconnut son légendaire second degré. Il la laissa cependant poursuivre, assez étonné qu'elle prenne carrément place sur ses genoux, mais loin d'avoir l'intention de l'en déloger. Le bouquin vola, lui arracha un rire surpris, tandis que la belle reprenait de plus belle et achevait de le surprendre. « Au contraire, j'assume entièrement d'être follement épris de ma ravissante psychiatre, maintenant qu'elle a choisi de ne plus s'occuper de moi pour que notre amour ne soit plus freiné par sa conscience professionnelle » qu'il répliqua, sur un ton concerné et idéaliste. Il passa instinctivement ses bras autour de la taille de sa camarade - il pourrait toujours prétendre que c'était pour qu'elle ne dégringole pas de ses genoux - puis plissa légèrement les yeux. « Tu crois m'avoir dupé l'autre jour avec ton laideron de confrère qui tombe à pic, mais je sais que tu es comme moi, victime de tes sentiments » qu'il ajouta, plus provocateur encore, hochant la tête en signe de compréhension. « Il n'y a qu'à voir avec quelle hargne tu as éclipsé ce pauvre bouquin ! Ça te frustre de te mentir à toi-même, Krisjana. Mais s'il faut, je veux bien être celui qui aime pour deux, dans l'histoire. Au début, seulement. Après, tu devras m'ouvrir ton cœur. » Il valait mieux rester conciliant au départ, histoire qu'elle se sente en confiance pour la suite, oui.

Apparemment il assume complètement son amour démesuré pour ma personne. Je ne suis pas du tout de cet avis, mais bon ... donnons raison au malade. « Ah bon ? Je sais que tu évites tous mes regards brûlants, surement parce que notre attraction est bien trop forte et que tu as peur de ne pas pouvoir faire face » je conclus par moi-même en hochant la tête comme si je comprenais parce que je subissais moi-même le même phénomène physique. Mais que dalle. Soyons bien clair, cela ne marche que dans un sens. Je sais qu’il est attiré par moi comme un papillon par la lumière. Je pense juste qu’il n’a officiellement aucun instinct de survie et qu’il est réellement suicidaire, au fond de lui. Je sens ses bras se nouer autour de ma taille. Mais je suis bien vite distraite. J’étire un sourire mauvais, il faut vraiment croire que Jorah a réponse à tout. Il me reparle de la fois où j’ai essayé de le refiler à quelqu’un d’autre qui pourrait être plus compétent. Je vois bien que cela l’a profondément marqué, et brisé que je lui fasse cela. J’en ai conscience et le fait qu’il souffre me fait souffrir, car, au fond, je ne veux que son bien. Bref. Je crois qu’on s’éloigne un peu de la pièce initiale de la psychiatre ultra sexy et parfaite face à son pauvre patient complètement à la rue pour une variante dès plus étranges, mais bon, jouons le jeu.  Honnêtement, je pense mériter un Oscar, pour le coup. « Je voulais nous trouver une excuse, pour nous protéger, tu comprends ? » Je lui demande alors, tentant d’insuffler dans mes yeux une lueur innocente et pure. Ce qui  est un exercice bien plus difficile qu’il n’y parait car j’ai l’habitude de regarder les autres avec froideur et dédain. Je me demande comme est le résultat, au final. Il vaut que j’ouvre mon cœur. Je baisse ma tête pour feindre la gêne et la pudeur. « C’est vrai, tu as raison Jorah » j’ajoute son prénom pour donner un côté plus solennel, très sérieux.  « J’ai essayé de lutter, mais je n’y arrive plus. C’est trop dur. Notre lien est bien trop mystique, puissant, indestructible » j’en rajoute une tonne, pour être évidemment crédible avant d’afficher un sourire narquois.

Bon, Jorah était fou de Krisjana, mais ça tenait pas franchement du scoop ça, si ? Disons qu'aux dernières nouvelles, il lui avait proposé de se faire pardonner à travers une demande en mariage, et qu'il avait même chercher à valoriser ses qualités de mari auprès de Babou, pour pouvoir ensuite fournir une attestation à sa promise. Donc quelque part, se donner tant de mal, c'était déjà assumer une certaine passion, non ? D'ailleurs, assumer, c'était bien ce dont il était question ici. « Tu ne crois pas si bien dire ! Il suffirait d'un échange de regards un peu trop intense pour que je ne réponde plus de rien, et dieu sait combien d'enfants naîtraient de ce dérapage. Non, vraiment, je peux pas prendre le risque. » C'est vrai que c'était vachement son genre, de sauter sur des filles, comme ça, par impulsion. C'était d'ailleurs parce qu'il avait déjà dix-huit gosses à charge qu'il préférait éviter d'en rajouter une couche, vous voyez. Plus sérieusement, si sa mère tombait un jour sur ces images, elle lui en foutrait une belle, et le traiterait de grand malade. En tout cas, Jorah n'avait pas été dupe de la fois où elle s'était débarrassée de lui et l'avait refilé à un confrère. C'était juste pour qu'ils puissent s'aimer sans craindre de mettre à mal la déontologie, voilà tout. Il hocha donc la tête, parce que bon sang, quel bonheur d'être affranchis d'une telle contrainte. En tout cas, tout ça avait beau être un bobard sans nom, il fallait bien reconnaître que Krisjana se donnait beaucoup de mal pour être crédible. Des efforts appréciés par le brun, qui prit son air le plus compatissant. « Alors c'est vrai, tu penses comme moi ! Pendant un moment, j'ai eu peur de me raconter des histoires, tu sais » qu'il fit, tel un petit clin d’œil au fait que tout ça partait vraiment très loin. Mais lui, ça l'amusait. « Je suis sûr que tu te sens beaucoup mieux maintenant que tu t'es avouée la vérité » qu'il souffla ensuite, poussant cette fois-ci la crédibilité de son jeu jusqu'à déposer un furtif baiser sur sa joue, en frottant son dos. « Et, faut surtout pas hésiter à me réclamer des câlins, tu sais, comme l'autre jour. Je sais que ça t'a fait fondre, alors pas de chichis, c'est pas moi qui t'empêcherai d'être démonstrative ! » Promis, un jour ils auraient une discussion sérieuse. Oui, un jour.

Il n'arrive pas à se contrôler, ce que je peux comprendre. Sérieusement, vous m'avez bien regardé ? « C'est vrai ! D'ailleurs je ne suis pas sûre que notre proximité soit une bonne idée, vu ta difficulté a contenir tes ardeurs ! » je souligne alors en posant un regard pseudo innocent sur mon fiancé en carton, parce qu'il le vaut mieux. Mais il m’enchaîne ! Je lève mon index en l'air, pour capter son attention, vous comprenez, je m'adresse à un gosse de cinq ans, il faut que je sois visuellement intéressante pour qu'il daigne m'écouter ! « Il faudra que tu dises à ta maman qu'elle n'est plus l'unique femme de ta vie» je balance alors que mon intonation se fait moqueuse, à la fin. Chassez le naturel, il revient au galop ! Si je me sens mieux ? Mais c'est tellement plus fort que cela ! Je me dois de l'exprimer ! Je ne peux contenir mon bonheur, il doit exploser ! « Je me sens libérée à vrai dire, je vais pouvoir enfin être moi-même avec toi» Réplique d'un personnage d'amour, gloire et beauté. Je suis au taquet là. En réalité, ce genre d'absurdité a tendance à m’effrayer, voire à me dégoûter, je déteste le trop plein de bons sentiments, soyons clairs ! Je sens ses lèvres sur ma joue, et naturellement, je lève les yeux au ciel. Par réflexe.  Il m'autorise à demander mes câlins. Je pose mes mains sur ma poitrine comme si c'était la plus belle chose qui m'ait été dite. Oh ... Je suis vraiment sous le charme. Je fais mine de le prendre dans mes bras, pour confirmer ses dires, pour humer sa douce odeur avec dévoration. Ouai, ne faisons pas les choses à moitié. Je fais un effort pour le contact, et lorsqu'il ne peut plus apercevoir mon minois, j'esquisse une légère grimace. Donc, j'en étais où déjà. « Oh tu es si compréhensif Jorah, tellement attentionné et prévenant » je commence alors d'une voix à peine plus expressive qu'à mon habitude. « Je suis tombée sur une perle, tu es ma petite perle à moi» je renchéris parce que je pense qu'au point où l'on en est, le ridicule ne tue pas.

Aussi ravissante et ténébreuse soit Krisjana, Jorah n'était pas sur le point de lui sauter dessus. Il avait beau être un homme, et clairement pas insensible à sa beauté, ça n'était quand même pas dans ses habitudes de perdre le contrôle, comme ça, subitement. Pour autant, il ne perdait rien à jouer les types au bord du dérapage, comme si Krisjana courait un risque en se trouvant là, sur ses genoux, si près de ... enfin, vous voyez. « Il reste un risque, c'est vrai. Mais je pense que t'auras le temps de t'enfuir si je perds d'un seul coup les pédales. Je suis plus tout jeune, je tourne un peu au ralenti, t'as qu'à demander à Apolline. » Oh oui, elle ne ferait que confirmer qu'il n'était qu'un petit papy plus très en forme, n'est-ce pas. Quant au reste, le fait que Krisjana ait enfin décider d'assumer ses sentiments était une magnifique nouvelle, sans aucun doute. C'est que pendant un moment, il avait quand même eu peur de se faire des films, le Jorah. « Oh zut, et moi qui ne m'étais pas encore résolu à couper le cordon ! Je te promets pas d'y arriver en une seule fois, on est des grands sensibles dans la famille » qu'il énonça en tout cas, sur un ton assez ému, rentrant dans son jeu comme il avait pris l'habitude de le faire. En soi, il y avait bien longtemps qu'il avait appris à aimer d'autres femmes que celle qui lui avait donné la vie. Krisjana disait alors se sentir libérée, et il se pinça les lèvres d'une façon empathique lorsqu'elle parla du bonheur que c'était de pouvoir enfin être elle-même. Puis il y eut ce baiser qu'il déposa sur sa joue, autant pour la crédibilité de son jeu que, peut être, pour l'embêter légèrement. Il avait bien compris que les contacts physiques n'étaient pas ce qu'elle préférait. Lui, il aimait ça. Tactile de nature, il savait se montrer entreprenant. Et d'ailleurs, si jamais il lui prenait l'envie de lui réclamer des câlins, il se ferait un plaisir de lui en donner. A ce propos, c'est une sorte d'étreinte qu'initia la brune, pour la plus grande satisfaction du jeune homme. « Je sais, on me le dit souvent » qu'il répliqua à ses propos, sur un ton au moins aussi mielleux, avant de déposer ses mains sur ses joues, comme s'il rougissait. « Je suis plus chanceux encore de t'avoir. Et quel bonheur que tu ais accepté de vivre à Bakou, avec moi ! Tu verras, là-bas c'est tranquille. Bon, c'est juste un peu la galère pour se soigner, mais en s'y prenant six mois à l'avance, on trouve généralement une place dans les hôpitaux. » Le fait qu'il ait décidé tout seul qu'elle le suivrait, bien sûr, n'était qu'un insignifiant détail.

En même temps s'il se compare à Apolline qui a une allure de lycéenne, c'est sûr que la différence est flagrante. Je n'arrive pas réellement à lui donner un âge. On va dire -pompeusement- qu'il a une beauté intemporelle. Ça sonne plutôt bien, j’adhère.  « Ne te dévalorise pas comme cela, tu te fais du mal, tu me fais du mal » je geins en poussant un léger soupir. On glisse sur le sujet de sa famille, sa mère, la chose la plus importante, après moi, dans sa vie. Je sais qu'il a une relation tellement fusionnelle -mais moins que la notre- avec elle. Donc je tente, en douceur, de préparer le terrain quoi. « Oh, je ne veux pas te mettre la pression, mais tu sais pertinemment que je n'aime pas te partager » je dis d'une voix claire, pour bien me faire comprendre. J'espère que le message est passé, Jorah, aller, adieux belle-maman. J'apprends qu'on va vivre à Bakou, je note cette information dans mon esprit déjà bien encombré. Bien sûr, je préférais que nous vivons à Paris, chez moi, mais son bonheur fait le mien, je ne suis pas difficile, tout ce qu'il veut, il l'aura ! Après tout, nos deux âmes n'en forment plus qu'une, maintenant. Aaah l'amour, une belle connerie ou l'arnaque du siècle pour tenter d'insuffler un peu de rêve dans une société de merde, franchement, je me tâte. « N'as-tu pas encore compris depuis tout ce temps ? » je fais mine de m'étonner, avec tendresse. Comme s'il comprenait jamais rien à rien, en même temps, les femmes, c'est une matière très complexe, je le pardonne, ce n'est pas donné à tout le monde. Ouai, je sais faire, une corde de plus à mon arc. « Peu importe où on ira, tant que je suis avec toi, c'est le principal. » je m'entends dire. Je le regarde, tentant le regard de biche. Pas très convaincant, mais bon, ça fera l'affaire. Bon, on a bien joué, maintenant, toutes les bonnes choses ont une fin ! Lorsque ma tolérance est épuisée, je décide qu'il faut que cela cesse. Ça va être l'ascenseur émotionnel pour lui, le pauvre. Déjà, pour commencer, mon expression faussement niaise/amoureuse -le combo de la mort- s'efface de mon minois pour laisser transparaître des traits un peu plus durs. « Bon, aller, merci pour ce délicieux moment de comédie, mon ange » je dis d'une voix blanche avant de tenter de défaire ses bras autour de ma taille. Ma main froide s'en va déloger les siennes, pour que je puisse m'échapper, enfin. je vais m'asseoir sur le pouf en face du sien. « Je me trouve particulière convaincante» Oui, j'encense ma performance.

C'est vrai qu'à s'être laissé persuader qu'il n'était plus tout jeune, Jorah s'était dévalorisé, et ça Krisjana lui en faisait pleinement prendre conscience. Ainsi, il soupira, confus de se mettre de pareilles choses en tête. Quant à sa mère, c'était presque à se demander ce qu'elle faisait là. Jorah laissa alors entendre qu'il serait compliqué pour lui de couper le cordon avec sa mère, de qui il était si proche, et ce même si c'était pour les beaux yeux de sa dulcinée. Krisjana disait ne pas vouloir lui mettre la pression, ainsi et même si elle restait assez catégorique quant à sa position, supposons qu'elle était au maximum de sa compréhension. « Je sais bien, et pour toi je tâcherai de faire des efforts. Je te demande juste un peu de temps, je ne peux pas m'affranchir d'un lien aussi fusionnel du jour au lendemain, ce serait cruel pour tout le monde » qu'il souffla, presque implorant. Pour tout le monde ou presque, puisque Krisjana n'en souffrait pas, elle. En tout cas, une chose était d'ors et déjà certaine, ils s'installeraient ensemble, mais pas n'importe où. C'est à Bakou qu'ils vivraient ouvertement leur amour, et ça Jorah l'avait il est vrai décidé tout seul. Oh mais conciliante comme était la jolie brune, il supposait que ça ne poserait aucun problème. Et justement, cette dernière se montra totalement ouverte sur la question, tellement qu'on ne pouvait décidément plus douter qu'il était ici question de second-degré, et uniquement de ça. « Je suis heureux de te l'entendre dire. Où que soit notre foyer, il sera rempli d'amour et de chaleur, et c'est le principal. » Non franchement, il s'étonnait que tout ça ne se soit pas encore cassé la figure. Plus encore, il s'étonnait du fait que Krisjana ait si volontiers joué le jeu, et se soit complu dans ce rôle pourtant aux antipodes de ce qu'elle était réellement. Et puis finalement, tout s'arrêta. Dans une brutalité sans nom, la jeune femme mit un terme à leur petit jeu de rôles, laissant Jorah sur son pauvre pouf, en cœur solitaire qu'il était subitement redevenu. Mais le rideau avait beau venir de tomber, il n'avait rien contre l'idée de rire encore un instant ou deux de la situation. « Tu ne me feras pas croire que tu ne t'es pas prise au jeu » qu'il souffla, reprenant un air relativement confiant, son regard défiant le sien. « Je t'ai sentie sur le point de défaillir, et pour de vrai, à plus d'une reprise. Tu étais toute chose dans mes bras, c'en était troublant. » Il finit alors par se lever, marchant quelques pas jusqu'au pouf où elle avait pris place, s'accroupissant face à elle, en affichant un sourire un brin rêveur. « Tu es sûre de vouloir faire comme s'il ne s'était rien passé ? Il est encore temps de faire en sorte que la réalité rattrape la fiction, tu sais. » Il vint pincer son menton du bout de ses doigts puis plissa les yeux en un regard malicieux, peut être encore un peu dans son rôle, oui.

Je pense qu'on est passé maître de l'art pour feindre. Si ça se trouve, dans une autre vie -si on croit à ce genre de chose, bien entendu-, on était fiancé, et c'est pour cela que c'est si facile à jouer. Je réfléchirais à la question un peu plus tard, je n'ai pas envie de perdre mon temps qui m'est si précieux. Je m'arrache à Jorah pour me poser, en face, on m'a apprit à toujours garder les autres dans son champ de vision, comme cela, on ne peut jamais être surprise. Et j'applique ce conseil, toujours. Apparemment, j'ai déjà flanché. Oh oui ! Il m'a percé à jour là, je plaide coupable. Jorah ou comment prendre ses rêves pour la réalité, j'ai envie de dire. Mais je sais qu'il plaisante, alors je le laisse nous faire son petit cinéma, et j'admire. « Il n'y a pas à dire, ta personne me perturbe » je lâche simplement, en haussant les épaules avant de poser mon regard acéré sur lui lorsque je le vois s'avancer. Que veut-il ? J'arque un sourcil lorsqu'il s'abaisse à ma hauteur, glissant un doigt au niveau de mon menton. Sérieusement ? Il va falloir que je le morde pour qu'il comprenne que les contacts c'est seulement lorsque moi, j'en ai envie. Evidemment, son avis est négligeable, voyons ! Que la réalité soit au même niveau que la fiction, mais bien sûr, c'est cela, oui. Je lève les yeux au ciel, en poussant un long soupir à fendre l'âme. « Mais je sais que c'est déjà le cas pour toi, tu es fou de moi, regarde-toi » je balance comme s'il s'agissait d'une évidence, il faut voir la réalité en face, enfin, le concernant. Ça crève les yeux. Soyons bien clairs ! Et ne mélangeons pas tout. Je suis sûre que tous les téléspectateurs sont d'accord avec moi ! Comme je l'ai souvent dis, j'ai une personnalité addictive, essayé, c'est m'adopter, et Jorah ne fait pas exception à la règle. Je ne lui en veux pas, il ne peut pas lutter contre le karma, c'est la vie.  « Tu sais très bien que ce n'est pas possible, Jorah, sois raisonnable » je lui dis d'un ton narquois avant de faire mine de caresser du bout des doigts ses cheveux, comme avec un enfant capricieux que l'on essaye de convaincre, par la manière douce, bien entendu.

Toutes les bonnes choses avaient une fin, c'était donc vrai. Quel drame que leur petit numéro d'acteurs se finisse aussi brutalement, et simplement à la volonté de cette brune incendiaire qui ne ménageait décidément pas son pauvre petit cœur. Elle décidait qu'il était temps d'arrêter, alors l'illusion se cassait la tronche. Et bien non, lui il n'était pas exactement d'accord avec cette idée. Il avait plutôt bien envie de rester encore quelques instants dans le rôle de l'amoureux transis. Puisque Krisjana n'avait plus l'intention de jouer le jeu, il devrait simplement s'employer à laisser entendre que tout ça n'avait peut être pas été aussi contrefait que ça. N'importe qui tomberait sur cette scène s'imaginerait qu'il rêvait les yeux ouverts et qu'il se prenait comme un con au jeu des sentiments, mais bien qu'il ne puisse pas nier que pour lui il y avait indéniablement pire que de feindre une folle passion pour une jeune femme aussi troublante que Krisjana, il n'était a priori pas question d'un idéalisme mal placé. Il esquissa un sourire intéressé à sa répartie, puis s'approcha jusqu'à se trouver juste face à elle, s'abaissant et posant une main au niveau du menton de la belle, au risque d'y laisser peut être quelques doigts. « Comment pourrait-il en être autrement ? » qu'il clama bientôt, laissant son regard détailler la jeune femme, qui après tout devait bien savoir qu'elle avait de quoi faire tourner plus d'une tête. Cela dit, que personne ne s'emballe, la sienne allait encore relativement bien à cet instant. « Vous, les jolies filles, êtes bien cruelles de jouer de l'effet que vous faites » qu'il reprit, en soufflant, prenant une mine plus dépitée, comme s'il cherchait à lui faire comprendre qu'elle le faisait souffrir à pointer de la sorte ses sentiments du doigt, comme s'ils ne le rongeaient pas déjà suffisamment. Krisjana tenta alors de lui faire entendre raison, et le brun accueillit avec une moue aussi amusée que conquise le fait qu'elle se donne du mal au point d'effleurer ses cheveux. « Très bien » qu'il fit, plus amer, se relevant doucement, comme touché en plein cœur par cette ultime souffrance. Mais alors qu'il s'éloigna d'un pas ou deux, il se retourna brusquement vers elle et saisit sa main pour la relever, l'attirant contre lui dans ce qui pourrait passer pour un élan de désespoir. En réalité, c'était juste qu'il n'avait pas encore tout à fait épuisé son potentiel de gros casse-pied. « Je te défis de me dire qu'il n'y a rien entre nous. Dis-le moi et tu auras la paix, mais sois sincère ! » Il ne le faisait pas exprès, cela dit, de pondre des répliques dignes de conneries télévisuelles à l'eau de rose. C'est juste que tant qu'à s'essayer à un tel registre, autant faire dans le bon gros cliché.