Je ne m'étais jamais senti aussi laid. Mon regard fixait le miroir avec une lueur d'inquiétude. Elles étaient quatre, peut-être cinq qui s'affairaient à m’alourdir le visage par le biais de nombreux artifices dans des gestes vifs et précis. L’une me fouettait le visage avec un pinceau recouvert d’une poudre qui me fit éternuer à plusieurs reprises tandis que l’autre s’occupait de dompter ma dense chevelure. Les quelques autres faisaient mine de se rendre utiles en rehaussant machinalement le col de mon polo. Le naturel me mettait incontestablement plus en valeur mais télé-réalité oblige, dans quelques minutes j’entrerai dans le monde de l’hypocrisie et de la superficialité. Mon précieux casque autour du cou qui tranchait vulgairement avec le reste de ma tenue étonnement distinguée, j'entamai la lourde traversée du tapis rouge qui ne m'arracha pas un seul sourire. En réalité ce public hystérique me crevait les tympans, plus que m'émerveillait, j'avais pour seule hâte de pénétrer dans l'antre de Cupidon et enfin me retrouver au « calme ». Une grande brune se tenait devant moi, sa démarche élégante et diablement sexy attira immédiatement mon regard sur son fessier, ce contre mon gré. Elle ne semblait pas se soucier de ma présence, je la laissai ainsi profiter de son court moment de gloire devant les photographes, gardant mes distances avec la jeune femme. Enfin je poussai la porte du Nid qui donnait sur un long couloir noir et blanc dans lequel s'entassait et transpirait déjà un troupeau de candidats. Sans excitation, sans extase, mes yeux balayèrent l'étroite salle dans le but de croiser un visage familier, en vain. Elle n'était pas là. Je devais ainsi me contenter du postérieur de mon affriolante partenaire qui s'occupait déjà des présentations, chose à laquelle je m'appliquai également de faire avant de me retourner vers la bombe sexuelle qui m'accompagnait.

Pas terrible ton prénom mais tes fesses rattrapent bien le tout. Ravi d'être avec toi, moi c'est Nathan. Et j'ai comme l'impression que tu ne vas pas m'aimer.

Je ponctuai ma brève déclaration d'un clin d'œil amusé, croisant les doigts pour que Nymphaea ait l'esprit décontracté bien que sa réaction ne m'importait pas vraiment. Gentleman, je me dirigeai vers le bar où je nous servis finalement deux coupes de champagne. « Cigarette ». Cigarette ? Quelqu'un avait-il bien prononcé ce mot ? Je me retournai et sans plus attendre m'adressai à la personne concernée en lui tendant un tube de tabac que j'avais dégainé de ma poche en velours.

Toute droite venue de Neuilly-sur-Seine, j'espère que tu sauras la savourer dignement.

C'était assez fou, toute cette histoire. Qui aurait pu croire que cette enfant sage et sans histoire que j'étais allait un jour participer à une émission comme Fake Lover? Certainement pas moi. Passer le casting, ça avait été pour moi plus une expérience qui n'allait probablement pas aboutir... Et voilà que j'étais là, entourée de techniciens plus stressants les uns que les autres, affublée d'une curieuse robe beaucoup trop courte à mon goût. Sincèrement, je ne pouvais dire que ça commençait très bien. Mais la plus grosse surprise de la soirée, c'était sûrement la personne avec qui j'avais été placée en couple. Abygaëlle, vous trouvez que c'est un prénom très masculin? Une fois le choc de la découverte passée, j'ai décidé que j'allais me laisser prendre au jeu, et puis tant pis. J'avais bien réussi à survivre à l'éprouvante séance de maquillage et d'habillage, alors rien n'allait plus m'impressionner. Enfin, je l'espérais.

J'étais assez nerveuse - pour ne pas dire complètement pétrifiée - et j'appréhendais l'entrée dans la maison. En l'espace de quelques secondes à peine, des milliers d'images défilèrent dans ma tête. Et si je trébuchais et tombais devant la nation entière? Et si je n'arrivais pas à faire ma place dans cette maison? Et si...
«Allez, les filles, c'est à vous!»
Le technicien me poussa littéralement vers l'avant, alors que j'avais peine à avancer sur mes chaussures beaucoup trop hautes. J'ai lancé un regard affolé en direction de ma partenaire, lui soufflant tout bas: «Tu peux m'expliquer pourquoi je me suis inscrite ici? Oh, et... moi, c'est Tara.»

À l'intérieur, il y avait beaucoup trop de gens, trop de visages pour le moment anonymes. Reprenant une certaine assurance, j'ai lancé, d'un ton qui se voulait gai: «Bonsoir, tout le monde! Je suis Tara.» D'accord, il n'y avait aucune trace d'originalité dans mon discours, mais... C'est ça, quoi. Même mes pensées étaient confuses, alors pour trouver quelque chose d'intéressant à dire, ce n'était pas gagné.

« Je suis contente d’être tombé sur toi, t’as l’air vachement bien informé. Il faut former un couple c’est ça ? Ils t’ont dit s’il fallait qu’on couche ensemble aussi ou non ? Sinon moi c’est Kitty. » « Si on le souhaite, mais ça pourrait être fort envisageable. » lâchais-je sur un ton neutre.

La jeune femme ne tarda ensuite pas à déclarer que la petite naine aux cheveux courts ressemblait à un lutin, allant même jusqu'à dire qu'elle était mignonne. La regardant d'un air quelque peu blasé je me contentais d'hausser les épaules, pourquoi m'avait-on collé une blonde ? Finalement elle me traina difficilement jusqu'à un petit groupe.

« Et il faut se méfier de lui, il aime un peu trop les mains. Sinon il s’appelle Gabriel. On est super ravis d’être là. N’est ce pas ?! » « Fétichiste des mains, hum hum... Intéressant. Et toi ? Tu voues un culte à ta connerie ? » lâchais-je ironiquement avant de reprendre la parole « Je suis enchanté à un point inimaginable. Dites moi que ça sonne bien. » finis-je par dire d'un ton dépité alors qu'une petite brune se rapprochait déjà de nous, déclarant que Kitty ne me traitait pas réellement avec respect. « Salut Kitty, enchantée. Et salut au garçon que tu traînes derrière toi avec une absence totale de délicatesse. » « Il ne faut pas lui en vouloir... » lâchais-je en pointant ses cheveux du doigt. « Elle est blonde. » lâchais-je finalement d'un ton plutôt sec avant d'ébouriffer les cheveux de ma partenaire. « Je rêve de pouvoir raser tout ça, une nuit. »

Je sentais que mon cœur allait exploser, tout comme ma patience d'ailleurs face aux maquilleuses particulièrement minutieuses qui ne cessaient de me retoucher. Arrêtez ça. Je balayais le mascara de l'une d'elles de ma main vive, un œil ourlé de noir, l'autre non. Sans vouloir me montrer prétentieuse, ce sont les laiderons qui ont besoin d'autant d'heures de ravalement non ? Un regard déstabilisant me fit comprendre que je ne valais pas tellement mieux sans un peu de poudre sur le nez, et je choisis avec finesse de m'excuser afin qu'elles puissent en finir pour de bon. Je savais que le je n'allais pas tarder à me jeter dans la fosses aux lions. Je redoutais ce moment comme une femme redouterait de son accouchement, j'avais l'impression que des termites dansaient la samba dans mon estomac, ce qui devait expliquer la nausée qui bordait mes lèvre. J'avais la trouille. J'avais besoin d'une main à serrer, celle de mon copain entre autre, mais tout ce que j'étais parvenue à saisir entre mes doigts se résumait au poignet d'un vigile singulièrement... stoïque qui m'avait repoussée dans la règle. Un technicien vint ainsi me chercher entre deux couloirs et me traîna littéralement par le bras vers l'extérieur des studios. Là, ce dernier me poussa dans une berline noire aux vitres teintés. Un traquenard ? Calme Ismaëlle, pas de raison de paniquer. Un jeune homme me rejoignit aussitôt, plus confiant que je n'avais semblé l'être dans toute une vie. Plutôt mignon dans la pénombre, aussi. Je croisais les bras sur ma micro-poitrine que je peinais à cacher sous le micro-bustier de ma micro-robe. « Tu es éblouissante. » Un sourire voila mes lèvres vermillon un bref instant avant que je ne lève les yeux au plafond du véhicule, lui tournant la tête.

Éblouissante certes, mais sûrement pas le genre de fille que tu peux complimenter en espérant un sourire en retour.

La voiture nous conduisit ainsi jusqu'au tapis rouge sur lequel nous fûmes forcés de nous arrêter. Où plutôt, je fus forcée de ralentir ma course haut perchée étant donné que le beau parleur me servant de partenaire, légèrement trop petit à côté de mes douze centimètres d'escarpin souhaitait prendre la pose face aux photographes. Nous pénétrâmes dans le SAS, c'était le moment de vérité. Il me tenait la main, je n'osais pas lui demander de la lâcher parce que la sienne était moite, au fond, je me sentais moins nerveuse par ce contact. La porte s'ouvrit alors, et un pas plus tard, je me retrouvais face à une petite foule de jeunes gens aux regards avides et curieux, coupe en main. Soren se chargea d'effectuer les présentations à ma place, ne manquant pas bien entendu une énième fois de vanter mon physique tout naturellement. Je soupirai malgré le rouge de mes joues. L'aisance du candidat me déroutait, moi qui chancelait sur mes jambes à l'idée d'ouvrir la bouche. Me mordant la lèvre, je haussai les épaules, manquant de faire dégringoler ma robe sur le sol dans le mouvement.

Bonsoir tout le monde, je suis enchantée...

Spoiler:

Quelques jours auparavant, la production m'avait prévenue, par le biais d'un coup de téléphone, que j'avais été sélectionnée pour participer à cette troisième saison de Fake Lover où j'avais décidé de tenter ma chance. Ils m'avaient, en autre, donné la date, l'heure précise et le lieu où je devrais me rendre. Lorsque j'eus reçu cet appel téléphonique, il ne me restait plus que quelques jours devant moi et c'est surexcitée que j'accueillis cette charmante nouvelle. J'étais vraiment fière et très honorée de pouvoir participer à cette émission de télé-réalité ! J'avais une énorme motivation et, pendant tout le long de mon casting, j'avais espéré que les casteurs le remarquent. Apparemment, c'était chose faite. J'avais du être convaincante, mon profil leur avait peut-être plu, ils avaient du penser que j'étais intéressante et qu'on verrait bien où j'irais. Ma joie était immense, je n'aurais jamais imaginé y faire parti et pourtant... Ce matin, lorsque je m'étais levée, je savais que c'était un autre jour. Ce jour était exceptionnel. J'allais faire mon entrée, ce soir, devant un public et des millions de téléspectateurs. C'était une chose complètement inattendue mais tellement jouissive. J'avais, bien évidemment, mis au courant le lycée où j'enseignais de mon absence pour qu'ils soient au courant. Tenue par une clause de confidentialité, je ne leur avais pas donné de motif valable, je leur avais simplement dit qu'ils verraient par eux-mêmes et seraient très surpris. Les heures défilèrent et plus les minutes passaient, plus le fait de rester en place était difficile. Cette journée me parut si longue... Tictac, j'entendais le bruit des aiguilles de l'horloge de chez moi et je me rendis compte... qu'il était l'heure. Je fonçai aux studios de l'émission, là où on m'avait donné rendez-vous, on devait me préparer. Je n'eus pas à patienter longtemps qu'un nombre monstrueux de personnes vint vers moi. Des maquilleuses, des stylistes, des coiffeuses... Tout ce petit monde s'agitait autour de moi-même, ils me posèrent d'abord de brèves questions puis m'analysèrent et se mirent à l'oeuvre. Les gestes des maquilleuses étaient vifs, précis, direct, elles connaissaient leur métier mais je ne cessais de penser qu'elles auraient pu s'y prendre d'une façon plus douce. Je n'eus pas mon mot à dire, elles s'occupaient de tout et prenaient les choses en main. Les coiffeuses, pendant ce temps-là, s'activaient aussi mais j'insistai pour avoir une coiffure digne de ce nom, pas une horreur comme avaient droit certaines stars. Je les priai presque comme un enfant de laisser mes cheveux longs. Le styliste dut ensuite me choisir une robe ou une tenue, il m’en proposa d’abord une hideuse que je refusai de suite mais ce fut néanmoins une autre qui nous plut à tous les deux qui fut choisie. A peine le temps de me regarder dans une glace où je trouvai que je n’étais pas si mal que ça que quelqu’un m’appela et m’emmena de force vers le tapis rouge, prétextant que ma présentation était terminée et que je devais faire mon entrée. Je m’amusais à tourner en rond mais je ne dus pas patienter beaucoup puisque bientôt une jeune femme arriva à mes côtés. Une femme, c’était qui elle ? On m’annonça à l’oreille que c’était ma partenaire. Ma partenaire ? Mais nous n’étions pas censés être avec quelqu’un du sexe opposé ? Je n’y comprenais pas grand-chose mais je n’eus pas le temps de me poser d’autres questions que, dans mon oreillette, quelqu’un nous signala d’entrer dans l’hôtel. Je me présentai en affichant un sourire plus que ravie.

YOUHOUUU ! Alors c’est avec toi que je vais faire l’aventure ! Personne ne s’y attendait, je suppose. Et bien, sache que je suis ravie de faire ta connaissance ! Moi, c’est Erin, m’exclamai-je en avançant dans le couloir.

Le tapis rouge arrivait à sa fin, nous étions maintenant dans le SAS, juste devant l’entrée de l’hôtel. Je pris une profonde inspiration et j’ouvris la porte la première en pensant que ma partenaire me suivait juste derrière. Je rayonnais de joie et je pus constater que nous étions les dernières à entrer, ou du moins les avant-dernières. Énormément de personnes s’y trouvaient déjà, discutaient, buvaient un coup ou mangeaient un petit quelque chose, il pouvait être difficile de se faire remarquer mais ce n’était pas ça qui allait m’arrêter et j’haussai donc le ton pour me faire connaître.

HELLO EVERYBODY ! Je m’appelle Erin et je suis très trèèès heureuse de faire votre connaissance ! Vous n'imaginez même pas ! Voilà, vous pouvez retourner à vos occupations, dis-je en rigolant.

« Moi je saurais en apprécier dignement les délices ». A peine j'avais tendu ma cigarette au candidat accoudé au bar qu'une voix bien connue vint m'interrompre dans mes mouvements. Aussitôt, je me retournai faisant face à un squelette pâle à la chevelure claire qui se tenait stoïquement devant moi. Je levai les yeux au ciel puis lui décrochai un sourire ironique manquant cruellement de crédibilité, soufflant d'entre mes lèvres avec difficulté.

Va, va te faire foutre Aby.

Je refis finalement face à ma partenaire, une moue gênée greffée au visage tandis qu’elle-même ne paraissait pas vraiment à son aise, peut-être aussi intimidée par le spectacle que venait de délivrer l'allumette blonde sous ses yeux. Ne trouvant pas source d’inspiration vertueuse en elle, je la laissai s'enfoncer dans sa difficulté à s’intégrer, lui apportant néanmoins un coup de main pour faciliter la noyade, aimable que j'étais.

Si tu n'as rien d'autre à dire... En tout cas je considère ton décolleté comme un symbole de propagande, tu n'as pas l'air si extravertie qu'il le laisse paraître.

Un gloussement vint entrouvrir mes lèvres tandis que je me retournai de nouveau alors que j'avais entendu mon prénom résonner à travers la salle agitée. Mon regard dubitatif sonda l'étroit couloir un instant avant de perdre une bonne dizaine de centimètres d'altitude et d'atterrir sur une petite rousse à la moue enfantine. Je m'approchai d'elle, fourrant de suite une coupe de champagne entre ses doigts alors que je devais seulement en être à ma troisième. J'avais la main étrangement modérée ce soir.

Nathan, exact. Elle c'est Abygaëlle mais tu comprendras bien vite qu'elle ne vaut pas la peine que tu retiennes son prénom. Hé petite, détends-toi un peu puis, lâche ta robe, si elle doit tomber elle tombera et je pense qu'ici personne ne s'en plaindra. En tout cas sûrement pas l'imbécile qui vante vulgairement tes mérites depuis tout à l'heure. Qu'est-ce qui t'indispose autant ?