Il était un peu surpris de voir qu'elle ne nourrissait pas spécialement l'ambition d'accéder à la phase finale du jeu, pas au point de le dire clairement en tout cas et ce malgré que son partenaire avait lui d'ores et déjà de grandes chances d'y accéder. @Agata était une personne avec de l'ambition, ça Sayid avait réussi à le cerner à défaut d'autre chose, mais il n'avait pas risqué un commentaire supplémentaire à ce sujet, se contentant d'un signe de tête. Est-ce qu'il comptait rester ce soir ? « Je ... j'en sais rien. Je verrai bien le moment venu. Tu vas rester ? » Il était possible que cela fasse pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, du moins pour le moment. Peut-être n'aurait-elle plus vraiment envie de lui parler après ça. Il s'avançait d'ailleurs peut-être en lui demandant de ne pas lui en vouloir après que son secret soit révélé, certains se sentaient parfois un peu pris pour des imbéciles et Sayid n'avait pas envie qu'il en soit ainsi pour la jeune femme. Mais elle ne pouvait rien lui promettre, bien sûr, et se contentait d'assurer qu'elle essayerait dans la mesure du possible « D'accord. » que pouvait-il dire d'autre, de toute façon ? Ce ne serait pas vraiment de son ressort. En tout cas curieux vis à vis du secret de la jeune femme il se demandait si elle était anxieuse à l'idée de le révéler, mais selon ses dires cela ne devrait pas changer la vision que les autres candidats avaient d'elle. Sa cagnotte ? « Elle n'est pas vide. Alors elle me satisfait oui, c'est plus que je n'en espérais en arrivant ici. » Il s'était accroché à sa cagnotte en se prenant au jeu, bien sûr, mais jusqu'au début de cette semaine il n'avait jamais vraiment nourri l'espoir véritable de quitter le nid avec une quelconque somme d'argent, malgré le besoin qu'il avait. Il ne savait pas trop si cela changerait quelque chose ou bien si cela ne ferait que retarder l'inévitable de quelques semaines, mais il espérait bien que ses collègues et lui trouveraient une façon intelligente de mettre cet argent à profit dans cette cause qui leur tenait tous à coeur. Alix avait par la suite appelé le premier candidat à révéler son secret, sans grand suspens pour Sayid puisqu'il connaissait déjà le secret de Simone bien que sans avoir eu vent des tenants et des aboutissants. Et puis était venu le tour d'Agata. Il avait écouté avec attention la révélation de la jeune femme, un peu surpris mais pas nécessairement dans le mauvais sens. Non, cela faisait même preuve d'une tolérance dont, c'est vrai, il ne la croyait pas forcément capable, et finalement il lui avait adressé un léger sourire lorsqu'elle avait terminé.

Il ne savait plus trop s'il avait envie de passer tout de suite ou s'il préférait se faire discret jusqu'à la fin du prime, écouter les révélations des autres et se persuader qu'au milieu la sienne passerait inaperçue, peut-être. Il n'était pas comme ceux qui étaient pour une quelconque revendication, son secret n'était qu'une excuse pour lui permettre d'être ici, il ne le portait pas comme un fardeau ou comme un étendard. Quand Alix avait donc appelé son nom il avait enclenché le mode pilotage automatique ; Il n'avait pas besoin de réfléchir à ce qu'il allait dire parce qu'il le savait. Tout était réglé au millimètre dans son esprit, c'était presque une obligation s'il espérait aller au bout de sa révélation, et avec la neutralité d'un robot il avait entamé « La semaine passée Gigi m'a dit quelque chose pendant notre confrontation, et j'ai vraiment cru que mon secret ne tiendrait pas la semaine. » S'autorisant tout de même une bref œillade en direction de @Gigi, qui ne s'imaginait probablement pas à quel point elle était passée à un cheveux de découvrir une bonne partie de son secret, il avait repris d'un ton toujours neutre « Elle m'a demandé pourquoi il m'arrivait, souvent, de mimer le comportement des autres. Elle en a simplement conclu qu'à force de côtoyer les singes je finissais par agir comme eux, ça a été son erreur, puisque l'intitulé de mon secret est le suivant : pour parvenir à me lier aux autres, j'agis par mimétisme comportemental. » Gigi avait donc commis une erreur de taille puisqu'au même titre que Shay elle s'était bien trop concentrée sur le métier de Sayid, au point de totalement en occulter le fait que son secret n'avait peut-être rien à voir avec les singes. Et cela n'avait rien à voir, justement. « J'étais un enfant bizarre. C'était pas une impression que moi j'avais mais c'est quelque chose que j'entendais souvent, les gens assénaient ça comme une vérité que je sois là pour l'entendre ou pas. Je laissais perplexe mes camarades d'école, mes professeurs, mes voisins ... mes parents. J'étais le gamin qui s'enferme dans les toilettes pendant la récréation pour ne pas être obligé de côtoyer les autres, qui se sent agressé quand on jette un ballon dans sa direction, et qui devient muet quand on élève la voix contre lui. Parce que je n'avais aucun recul sur rien, je comprenais pas ... pourquoi lancer des cailloux c'était une agression mais lancer un ballon c'était pour jouer ? C'était pareil, pour moi. Pourquoi les autres arrivaient à rire, à pleurer, à sourire, à s'énerver ... pourquoi ils avaient l'air de ressentir plein de choses, et moi jamais rien ? J'étais jamais content, ou triste, ou énervé ... j'étais juste là. Il se passait plein de trucs autour de moi et moi j'étais juste là, à n'avoir aucune réaction et aucun ressenti sur rien, sans comprendre que c'était moi qui n'agissait pas "normalement", et pas les autres. » Elle avait commencé tôt finalement, cette quête de normalité, tellement tôt qu'il peinait à se souvenir d'une époque où ce n'était pas ce qu'il souhaitait plus que tout, rentrer dans le moule et se fondre dans la masse. Pour certains c'était de se démarquer qui était le but ultime, pour Sayid c'était simplement de se faire oublier, de ne plus être quelqu'un de "bizarre" mais quelqu'un de "lambda" et d'on ne peut plus normal. « J'ai pas changé, je suis toujours cet enfant bizarre. J'ai simplement eu le temps d'apprendre que pour avancer dans la vie c'était à moi de changer, de "faire comme si" j'étais comme tout le monde. J'ai compris ça le jour où mon père a été convoqué par la psychologue scolaire - d'habitude il n'y allait jamais - et que je me suis pris la raclée de ma vie une fois chez nous parce qu'il était temps que j'arrête de vouloir me faire remarquer et que je me comporte comme un gamin normal. Mon fils ne sera pas un animal de foire, je crois que c'était ça la formule qu'il a utilisé. Là j'ai compris que je devais trouver une solution, parce qu'il ne fallait plus jamais que quelqu'un convoque mes parents pour discuter de "mon cas". » Il avait marqué une pause. Cela lui coûtait un peu d'évoquer ses parents, parce qu'il faisait tout pour se détacher d'eux au maximum, de leur souvenir, de leur emprise ... c'était déjà presque trop, qu'il ne puisse pas se débarrasser de leur sang qui coulait dans ses veines. « Fallait que je sois comme les autres. Pas plus, pas moins, juste comme les autres, alors j'ai commencé à observer. Je faisais des listes dans ma tête, je questionnais chaque action, chaque réaction des gens autour de moi. Pourquoi cette phrase l'a fait rire, pourquoi cette main sur son épaule a l'air de le rassurer, pourquoi cette scène de cinéma l'a fait pleurer ... Le cinéma aussi d'ailleurs, j'ai beaucoup observé. En cachette, parce que mes parents n'aimaient pas que je me gave de "conneries occidentales" pendant mon temps libre. Dans un film les gens savent toujours quoi dire, y'a jamais de blanc, tout est déjà écrit ... ça serait beaucoup plus simple si ça pouvait être comme ça pour moi aussi, si j'avais juste à apprendre un texte et à jouer un rôle. C'est là que j'ai trouvé la solution. » C'était un peu là qu'il avait progressivement cessé de n'être que lui-même, diraient les mauvaises langues, mais assurément ils n'avaient pas vécu dans la peau de Sayid durant les dix ou douze premières années de sa vie. « Les gens ont souvent des réactions imprévisibles, mais la plupart du temps ils aiment tous qu'on aille dans leur sens ... J'ai compris que c'était ce que je devais faire pour essayer de me mettre les gens dans la poche, agir dans leur sens. Quand quelqu'un fait une blague il s'attend à ce que tu ris, ça se voit, ça devient facile de le faire pour le satisfaire ... c'est pas très important que je comprenne pas ce qui est drôle. C'est pas non plus important que je comprenne pas ce qui est triste, du moment que mon visage prend le même genre d'expression que mon interlocuteur et que je donne l'air de partager sa tristesse avec lui. Quand je sais pas quoi faire de mes mains j'attends de voir ce que l'autre en fasse fait des siennes, s'il croise les bras je les croise, s'il met ses mains dans les poches moi aussi ... J'ai lu quelque part que c'était psychologique, les gens se sentent plus facilement en confiance avec quelqu'un qui a une attitude similaire à la leur, ils se sentent moins menacés. » C'était d'autant plus ironique que c'était un trait souvent utilisé par les personnes atteintes de sociopathie, ça aussi Sayid l'avait lu quelque part, mais on se doutait bien qu'il préfère taire ce détail afin de ne pas aggraver son cas plus que cela n'allait déjà être le cas désormais, vis à vis des candidats. « Du moins jusqu'à ce que je me fasse griller, parce que ça fini souvent par arriver ... Là je deviens calculateur, faux, mais c'est toujours mieux que bizarre. Tant que je ne suis pas découvert je peux être tout et son contraire. Je peux être un mec gentil, un connard, un type froid, un mec tactile ... ouais, je peux être tout ça, même mon passage au casting était calculé sur l'abruti à côté duquel j'ai patienté dans la salle d'attente. Il n'a pas été sélectionné, pas besoin de chercher de qui je parle. » Sayid ne se l'expliquait pas d'ailleurs, pourquoi lui et pas ce mec, pourquoi la copie et pas l'original dans un certain sens ... Il ne se l'expliquait pas, mais il ne s'en souciait pas non plus. Il y avait un mais, pourtant, un mais dont il se sentait obligé de parler avant d'en avoir terminé « Ici j'ai vite compris que ce serait compliqué ... Dehors on ne montre aux gens que ce qu'on veut qu'ils voient, je peux m'imprégner des autres la journée et respirer une fois chez moi. Ici je ne peux pas. Je ne pouvais pas m'émerveiller devant un dessin animé comme Sailor et réclamer des câlins comme Gigi parce que ça m'aurait obligé à jouer cette carte là tout le reste de mon séjour ici ... et je savais que je n'en serais pas capable. J'ai essayé de me contenter du strict minimum, ne pas trop parler pour ne pas dire n'importe quoi, laisser les autres guider la conversation, pousser les gens à parler d'eux pour essayer de les cerner et de m'acclimater à eux ... c'est usant, quand il y a autant de monde. Je pouvais pas faire des phrases de trois kilomètres comme Addil et la minute suivante me contenter de trois mots comme Imma, être ouvert comme Lamine puis vindicatif comme Mylah ... je pourrais continuer pendant des heures, à vouloir trop cerner de personnes à la fois je n'ai cerné personne, ici, et si j'avais essayé de m'acharner c'est pas comme meurtrier qu'on m'aurait buzzé mais comme schizophrène. » Et à juste titre, probablement. De toute façon cela n'avait probablement aucun sens pour eux, ce qu'il était en train de raconter, parce qu'ils étaient rares les gens qui comprenaient pourquoi il fonctionnait ainsi et pourquoi il ne se contentait pas d'agir comme bon lui semblait sans se soucier de ce que penseraient les autres ... Ils ne se rendaient pas compte que ce n'était pas vivable. Qu'on était forcément mis de côté dans la société si l'on n'était pas ému par les choses qui nécessitaient qu'on le soit, si l'on ne savait pas rire à ce qui était drôle ou s'offusquer de ce qui était dérangeant. « J'attends pas qu'on comprenne la façon dont j'agis, je sais que pour certains ça sera juste du flan ... tout ce que je sais c'est que si j'étais juste ce mec bizarre que je suis tout au fond, je n'aurais pas tenu quinze jours ici. Les gens n'aiment pas trop ce qui ne fonctionne pas comme eux. Les singes sont bien plus faciles à comprendre que vous, là-dessus je n'ai jamais menti. » Ce n'était en rien un reproche qu'il faisait, simplement une constatation, une sorte de conclusion pour s'expliquer sans se justifier. Personne ne saurait jamais comment était le vrai Sayid, ça c'était quelque chose qu'il gardait pour lui uniquement, quelque chose auquel personne d'autre n'aurait jamais accès, comme un secret qu'on verrouillait au fond de soi avant de jeter la clef.