Note à moi-même éviter le sujet Sixtine jusqu'à nouvel ordre. Parce que j'suis totalement irrationnel, je me mets à imaginer n'importe quoi mon cerveau carbure, il s'emballe à l'instar de mon coeur et putain de sentiments de merde. Il est super ce petit guéridon, il était là depuis le début ? Non parce que j'crois que c'est la première fois que je le remarque. Bon, à nous votre Majesté, le roi du confessionnal. Note, numéro deux, éviter le sujet Sixtine avec Syssoï, c'est définitivement pas une bonne idée. « Charmant. » Je peux pas m'empêcher de sourire à mon tour. Un vrai sourire, pas le petit sourire rapide que j'aurais aisément loupé à cause d'un clignement d'oeil synchronisé, en tentant d'imaginer la scène. Oui bon on s'écarte du chemin et c'est pas très sérieux tout ça. J'crois qu'il perçoit mon message subliminal puisqu'il se remet à me poser des questions. « Après le condamné à mort, tu m'offres le rôle du kamikaze. » J'accorde trop d'importance à mon physique emplafonner ma voiture dans celle d'un inconnu. « Totalement involontaire. » Nouvel haussement d'épaule machinal. J'serais presque déçu d'être aussi banal finalement. J'suis déjà entrain de m'imaginer la prochaine question qui ne va sûrement pas tardé à être lancé. Le français à clairement loupé sa vocation, puisque je m'imagine aisément devant un inspecteur de police menant son interrogatoire de manière tout à fait maîtrisé, dans le but de faire lâcher des aveux à son suspect, moi en l'occurrence. Enfin tout ceci sans le stress que ça implique.

Bon, visiblement l’affaire ‘Sixtine’ est classée et archivée. C’est pas plus mal, j’ai beaucoup de mal à parler d’elle sans elle, et qui plus est avec Connor. Je ne sais pas, ça me dérange. J’aurais mieux fait de ne rien dire concernant la théorie de la vitre, en fait, j’aurais du attendre qu’il m’en parle de lui-même. J’accorde très peu d’importance aux racontards, et j’ai eu la bêtise de croire qu’il en s’agissait d’un. Raté. Cette conversation s’achève sur un « charmant » suivit d’un sourire qui fait plaisir. On reprend. Donc… Pare-brise, ok. Kamikaze, pas ok. Bon, dans ma tête il n’était pas forcément le kamikaze en question, il aurait pu être le fils du kamikaze, le pote du kamikaze, la victime du kamikaze. « C’est toi qui conduisait ? C’est arrivé comment ? » J’ai le droit de poser des questions, non ? Il a le droit de ne pas y répondre, mais son absence de réponses sera vécue comme une réponse en soi. « T’as des bouts de verres dans le crâne ? » Je lui demande brusquement, sans transition, aussi sérieux que je puisse l’être, et Dieu sait que je peux être extrêmement sérieux. J’ai du être grand inquisiteur dans une vie antérieure, à torturer du Templier pour obtenir le Secret, et l’emplacement du trésor… Un peu comme là, les appareils de torture en moins.

L'interrogatoire continue, on dirait un gosse qui s'amuse avec son nouveau joujou. Oui bon j'suis pas censé savoir comment ça se passe d'habitude, peut être que cette particularité lui ai réservé, peut être même que les autres ne s'encombrent pas de toute cette phrase interrogative. Peut être que çà explique les nombreux échecs que les autres ont rencontrés. Si bien que j'suis censé commencer à flipper techniquement, mais non. Toujours pas. Normalement assis, je m'installe plus confortablement profitant ainsi du confort qu'offrait le canapé puisque ça allait durer encore un moment je pense. « Non c'était pas moi, j'étais avec un ami. Tout bêtement, on rentrait d'une soirée, j'avais beaucoup bu, lui non, il roulait assez prudemment, et un mec nous a foncé dessus, il roulait vite et a confondu la couleur des feux tricolores, il nous a percuté, et j'ai été éjecté. » Y'a rien de dramatique dans ma voix, au contraire mon ton est particulièrement monocorde, détaché presque désintéressé d'ailleurs, comme si cette histoire n'était pas la mienne. Bon, la suite m'arrache un nouveau sourire, dans le genre persévérant. « Non, aucun bout de verre dans le crâne. Peut être au moment de l'impact mais c'est pas très clair dans ma tête. » Tout est arrivé rapidement, et puis c'est loin d'être le genre de chose que l'on garde tête et que l'on rajoute lors des dîners en famille.

Ca m’interesserait vraiment d’observer les confrontation des autres, juste pour voir comment ils s’y prennent. Moi, je mène un interrogatoire à chaque fois, et je fini par me demander si c’est dans la logique des choses. J’imagine que non, que d’ordinaire les gens savent exactement ce qu’ils vont dire, et qu’en deux réparties, c’est bouclé, c’est soit oui, soit non, mais en aucun cas un racontage de life mené par un russe un peu trop inquisiteur. Pas grave, j’assume, et puis même si je me plante, au moins j’en apprends un peu plus sur celui qui me fait face. Je me suis montré curieux envers son accident de voiture, et contre toute attente, alors que je l’imaginais se terrer dans le silence, il me répond avec force détails. J’écoute attentivement, non pas pour pister un indice, mais parce qu’il me fait partager un petit bout de son histoire. « Ton ami à survécu ? Et le chauffard ? » Emporté par l’instant et par la curiosité, je me montre bien trop indiscret, et fini par me reprendre immédiatement en balayant ma question d’un geste de main. « Oublies. T’es pas obligé de répondre à ça, ça ne me regarde pas. » Et, joignant le geste à la parole, je reprends mon interrogatoire en l’amenant sur un sujet tout aussi indiscret mais plus légitime. Il n’a pas de bout de verre coincés dans le cerveau. Dommage, je l’imaginais bien avec un intitulé du genre “je vis avec des morceaux de verres fichés dans le lobe frontal, et je peux mourir à tout instant, genre maintenant... Ou maintenant... Ou là... Ouuuuuu... Là ! Ou pas.” « Ton secret n’a donc rien à voir avec ton accident de voiture ? » Je reste intimement persuadé que si, mais je peux me tromper, l’erreur est humaine, et je suis presque humain. « Ton secret n’a rien à voir avec ton cerveau ? » J'insiste, je persiste, je signe. Je suis chiant, hein ?

J'arque un sourcil face à la question de Syssoï, parler de mon accident, pas de problèmes mais pour le reste j'vois pas trop ce que ça pourrait lui apporter. J'suis sur le point d'ouvrir la bouche, non en réalité j'ai ouvert la bouche sauf qu'aucun son n'est sorti, il m'a devancé. Me demandant d'oublier la question. Très bien, j'hausse les épaules. « Comme tu veux. » Pourquoi je sens qu'il ne va pas changer de sujets ? Ceci dit j'vois pas ce que je pourrais dire de plus, c'était un accident comme un autre, inutile d'en faire tout un drame sauf que Syssoï n'est pas du genre à changer de sujet. Et qu'il est même persévérant cette histoire de tumeur, ou je ne sais quelle autre idée farfelu à propos de mon cerveau. Par conséquent je ne peux pas m'empêcher de sourire, ce genre de sourire qui signifie, non mais c'est pas vrai, enfin un "non mais c'est pas vrai" plus amusé qu'ennuyé, je ne sourirais pas sinon. Logique en somme. « Nope, mon cerveau va très bien je te remercie. » Enfin aussi bien qu'il puisse aller, il me ferait presque flipper ceci dit. « Mais j'sens que j'vais demander une IRM à ma sortie, j'vais finir par croire que j'ai bien un truc. » Nouveau sourire. Alors, prochaine étape. Allez vas-y j'crois en toi Syssoï.

Bon, bah, à l’en croire, son secret n’a rien à voir avec ni l’accident, ni son cerveau… ça étonne quelqu’un si je dis que j’y crois pas du tout ? Je suis presque déçu, du coup, parce que j’aimerais que mon esprit suspicieux la mette en veilleuse afin de me laisser croire tout ce qu’il me dit, et ne pas imaginer qu’il me mente. Je sais que c’est le but du jeu, mais ça fait chier quand même d’estimer totalement probable qu’il me mente comme un arracheur de dents sur toute une partie, aussi importante soit-elle, de sa vie. Je préfère la méthode Artie qui consiste à se planter devant moi en affirmant « je dirais rien. » Au moins, j’étais sûr qu’il ne me mentait pas. Est-ce que Connor me ment ? En plaisantant, il m’informe qu’il passera une IRM en sortant. A la façon Raspoutine, je tords mes doigts en lui lançant un regard lourd de sens. « Tu ferais bien, il parait que j’ai un don de voyance… Je lis le cerveau des autres, et le tien est particulièrement en bordel. » Je me renfonce dans mon fauteuil, une jambe passant par-dessus l’accoudoir pour s’y appuyer. A la bien, Cousin. « Donc, puisque rien de ceci ne fait partie de près ou de loin de ton secret, tu vas pouvoir m’en parler librement et sans mensonge. » Tu me prends pour qui, mon Coco ? Pour un padawan ? Je suis maître Jedi, moi. « Donc, c’était quand cet accident ? T’avais quel âge ? T’es resté combien de temps à l’hosto ? Ta mère t’apportait des oranges ? Tes cachets, c’est quoi ? Et les maux de tête, tu peux me les décrire ? Ton traitement médical, c’est à vie ou juste temporaire ? Est-ce que tu estimes que ton secret va modifier la façon dont tu es perçu ? » Ouai, la dernière, c’est pour le fun. C'est cadeau.

Cette confrontation m'emmerde, ouais, ça y est j'ai décrété qu'elle n'était plus drôle du tout depuis environ deux minutes quarante deux. Et trois, quatre, cinq secondes. Non mais sérieusement. D'ailleurs j'arrête de sourire, ouais, ça y est c'est décidé. Oh mais je sais que c'est le bordel et c'est pas nouveau. Tu m'apprends rien du tout monseigneur. « J'ai pas vraiment envie, et je mens que lorsque c'est absolument nécessaire... » Ouais donc l'idéal c'est que tu changes de sujet, ça ce serait génial. Sauf que Syssoï ne serait pas Syssoï s'il avait renoncé. Oh doucement, on se calme. J'ai déjà oublié la moitié des questions mais j'vais essayer de faire au mieux hein. Peut être même que j'vais en sauter certaines, et peut être même que ce sera volontaire, ou peut être pas. « C'était y'a longtemps et j'étais jeune. J'aime pas les oranges, j'préfère les kiwi. Bêta-bloquants, antalgiques, anxiolytiques, vasodilatateurs et gastro-résistants pour colmater le tout. Ah y'a aussi les triptans en cas de crise. Temporaires pour certains, à vie pour d'autre. » J'suis sûr que ça l'aide ça, finalement ça me fait sourire. Putain j'suis un vrai camé quand j'y pense. La douleur ? Comment expliquer ce que je ressens ? Ca ça m'emmerde aussi, j'passe ma main dans mes cheveux. Genre, j'vais invoquer une le dieu de la migraine pour qu'elle me vienne en aide là maintenant. Ouais non; moins j'en ai, mieux je me porte. « Le bruit est insupportable, c'est un peu comme... Une personne qui respire équivaut à 350 craies qu'on ferait grincer sur un tableau. J'ai les yeux qui sont prêt à sortir de leur orbites à chaque battement de cils, quant à mon cerveau, c'est un véritable geyser sauf qu'au lieu de projeter de l'eau, c'est le sang qui se projette à l'intérieur. C'est lassant, fatiguant et totalement insupportable. » Et même que ça me fatigue rien que d'en parler. « Et sûrement oui... » Pourquoi ce serait différent ici que dans la vie réelle ?

Spoiler:

« je te gonfle, n’est-ce pas ? » Oui, c’est une évidence, rien qu’à sa façon de répondre je sais ce qu’il en est. Et sachant que l’agacement est la première réaction émotionnelle que j’obtiens depuis le début de cette entrevue, j’imagine que c’est parce qu’il n’aime pas le sujet de conversation que l’on aborde. Option A ; il s’agit de son secret. Option B ; il n’aime pas parler de l’accident et tout ce qui en découle. Néanmoins, il se plie à mes exigences, et me dresse l’inventaire de toute la bardée de médoc qu’il s’enfile chaque matin. Je note tout ça dans ma tête. J’ai du mal avec le terme « gastro-résistants » dont la signification est pourtant limpide, mais je ne dis rien, je n’interviens pas, je le laisse poursuivre. Il tente de me retranscrire en image ce qu’il ressent en cas de crise, et j’écoute attentivement. « Est-ce que tu n’as mal que d’un côté de la tête ? Au niveau du nez, ou niveau de l’œil ? » je lui demande alors que sa description me rappelle celle des AVF. « Y a quand même quelque chose que je ne comprends pas. Les triptans provoquent une augmentation de la pression artérielle, tandis que les bêta-bloquants et les vasodilatateurs sont justement prescrit pour leur effet inverse… Quand aux anxiolytiques, je ne comprends pas trop non plus. Tu souffres d’angoisses à cause de tes migraines, ou bien est-ce l’inverse ? Et… dernière question… Ton rapport conflictuel avec la mort, tient-il du passé, ou du futur ? » Je crois qu’il a très bien compris où je voulais en venir. Du moins, j’espère.

Spoiler:

J'imagine que mon absence de réponse à sa question est une réponse à elle seule. Il ne me gonfle pas à proprement parlé, mais le sujet me gonfle et tout ce qui en déroule. Je déteste parler de ça et j'pense qu'il l'a bien compris. Néanmoins j'comprends aussi ce qu'il me pose ces questions. J'ai mal à la tête putain, faut que je me cale. Ouais, maintenant, je pose mon coude sur l'accoudoir, sans blague et cale ma tête sur ma main. C'est déjà mieux. Je ferme mon oeil, grimaçant par la même occasion à l'entente de sa question. « Plutôt à droite, jamais le nez, mais j'ai souvent envie de m'arracher les yeux. » Si seulement ça pouvait éradiquer la douleur j'pense que j'serais borgne depuis bien longtemps déjà. Et puis il se met à décortiquer ce que je prends. Depuis quand il est médecin ? J'suis pas sûr d'être le plus à même de lui répondre d'ailleurs. Bon j'sais ce que je prends, je sais pourquoi je les prends, mais j'saurais pas expliquer l'association. « J'suis pas médecin, mais j'suppose qu'il y a une explication tout à fait logique. D'autant que les triptans sont ponctuels, contrairement aux autres. Mes migraines m'angoissent, mais pas à ce point là... Le passé à été l'élément déclencheur, le futur m'en rapproche chaque jour un peu plus, le présent est donc mon allier. » J'ai un début de migraine et je me mets à philosopher, y'a aucune logique là dedans, c'est pas utile de chercher. Mon regard sonde le sien, j'ai de plus en plus de mal à essayer de m'imaginer le secret qu'il soupçonne être le mien, et ça a tendance à me déstabiliser.

« AVF ? » Je lui demande finalement, après qu’il m’eut décrit la position exacte de ses migraines. Je ne suis pas médecin, mais je m’y connais un peu au niveau de l'algie vasculaire de la face, autant qu’un mec qui se serait renseigné pour voir si ses propres migraines pouvaient avoir quelque chose à voir avec. Mais non, absolument pas. Mes migraines, bien que très douloureuses, n’ont clairement rien à voir avec la souffrance que m’a décrit Connor. Bon, j’avais promis que ma dernière question serait la dernière question, mais le problème avec mon jumeau maléfique, c’est que ses réponses entrainent d’autres questions qui me brûlent les lèvres comme autant de braises incandescentes déposées là. Sa réponse pour les anxiolytiques, pour commencer. Je déduis de sa réponse que ses migraines pourraient être dues à des angoisses. Un traumatisme, peut être ? Et quant à son rapport conflictuel à la mort, sa réponse peut signifier tout et son contraire. « J’imagine que cette réponse pourrait correspondre à n’importe qui, je veux dire que notre rapport à la mort se déclenche avec notre venue au monde, donc dans le passé, et le futur nous en rapproche toujours un peu plus. Sauf que le présent n’existe pas. Chaque centième de seconde qui passe fait déjà partie du passé. Maintenant, la véritable question est de savoir si ton espérance de vie correspond à la moyenne nationale ou pas, si on occulte le fait que tu peux te faire renverser par un bus, demain... Enfin non, pas demain, parce qu’ici il est rare de croiser un bus, mais disons que demain tu peux te faire poignarder accidentellement par Franckie tandis qu’il joue au samouraï avec un couteau de cuisine...» Ce n’est qu’un exemple, évidemment. Mais la question est là, est-ce que son espérance de vie est bien plus réduite que celle d’un autre, ou bien son rapport à la mort n’est-il du qu’au fait de l’avoir frôlé fut un temps. « Tu as peur de la mort ? » Cette question, lourde de sens, est aussi importante à mes yeux, qu’elle concerne ou non son secret... J’en ai presque oublié où nous nous trouvions, la seule chose qui me le rappelle brusquement, c’est cette migraine que je semble lui avoir déclenché. Il a mal, là, pas vrai ? Merde.