Bon d'accord, je me sens passablement con là. J'sais ce qu'est une AVF, j'ai fait tout un tas de tests qui vont dans ce sens mais, j'ai dû mettre genre deux minutes avant de réaliser ce que ce sigle signifiait là toute suite. J'pense que ma crétinerie à dû apparaître sur mon visage, j'suis plus assez vaillant pour me concentrer à ce sujet. Faut que j'sois plus vigilent, à ce rythme j'vais lui balancer mon secret sans m'en rendre compte. « J'sais pas vraiment, j'ai un traitement de fond pour les migraines pour l'instant et ça semble diminuer les crises, la douleur c'est autre chose. » J'suis prêt à me lever, mais j'vais trop vite en besogne puisqu'il me donne une nouvelle question sous couvert de sa théorie concernant la mort. Que j'approuve à une certaine mesure, si bien que je hoche légèrement la tête. « J'vis au jour le jour, c'est ce que j'appelle mon présent, même si j'suis d'accord avec toi à ce sujet. Techniquement mon heure n'est pas censé venir dans les jours, mois, années qui suivent. » J'suis censé mourir relativement vieux, bon évidemment rien n'est sûr, peut être que j'vais contracter une maladie incurable, cancer des poumons, entre autre, mais pour le moment, aucune date n'est prévue. Quant à mon rapport à la mort c'est totalement autre chose. « Oui et non, nous sommes nés pour mourir, c'est la vie et je l'accepte. J'ai simplement peur qu'elle ne m'emporte trop rapidement, qu'elle m'arrache à la vie de manière soudaine et ... C'est le temps qui passe qui m'effraie plus que l'idée de mort en réalité. » J'suis pas clair et je le sais, mais j'vais pas pouvoir être plus limpide. J'ai jamais été doué pour exprimer ce que je ressens, c'est pareil à ce sujet apparemment.

Je l’écoute, je ne fais que ça. J’ai le sentiment de ne faire que ça depuis le début, comme si, finalement, je ne cherchais qu’à le faire parler afin d’attraper les fils qui ressortent un peu plus que les autres, et tirer dessus pour démêler la pelote. Je ferme les yeux, je me concentre, je trie les informations à mesure qu’elle arrive. Ça par là, toi tu vas ici, et toi là. Je suis à présent quasi sûr qu’il souffre d’AVF. Peut être que le diagnostic n’est pas encore totalement avancé, mais ses symptômes ne trompent pas, et je me demande pourquoi aucun médecin ne les lui a confirmé. Je me demande, aussi, s’il est au courant que l’alcool est considéré comme un facteur déclencheur de crise... Je crois pas, sinon il n’utiliserait pas le whisky en auto-médication. Sa réponse concernant ma non-question au sujet de sa durée de vie me rassure plus qu’elle ne me satisfait. C’est con, mais finalement, même si être mourant pouvait être un intitulé au top pour un secret, j’avais absolument pas envie qu’il me réponde de cette manière, parce qu’il n’est, à mes yeux, pas juste un candidat à qui je dois braquer la cagnotte, il est devenu un... «pote» ? J’ai jamais eu de pote, mais j’imagine que ça doit s’apparenter à ça pour le commun des mortels. Donc, il n’est pas mourant, ni condamné plus que je ne le suis en étant... bah mortel, en fait. Sauf que sa réponse concernant la mort, et la peur qu’elle peut engendrer, ouvre une autre voie qui m’effraie peut être plus que la première. « La dégénérescence... » Ca sort tout seul, je voulais pas. Mais s’il a peur du temps qui passe, ça n’évoque rien d’autre en moi qu’une maladie dégénérescence qui le condamne à vivre longtemps, certes, mais dans quel état ? « Est-ce une maladie ou une des conséquences de ton accident ? » Oui, je tente le tout pour le tout. J’ai conscience de la cruauté de mes actes, mais si je le laissais filer sans rien dire, ça s'apparenterait à de le pitié, et il ne doit surtout pas être pris en pitié.

J'ai dû mal à saisir exactement dans quelle direction m'emmène Syssoï, c'est comme s'il avait juste envie de parler. Comme s'il devait sortir une thèse dont le principal sujet serait ma vie. Une période bien délimité de ma vie en réalité. Peut être que finalement il ne sait pas où il va non plus; j'sais pas. Puis je me demande si Cupidon va nous interrompre à un moment donné, ou si on est là pour une durée illimitée, jusqu'à ce que Syssoï soit rassasié. J'sais pas depuis combien de temps on est là, mais j'crois que ça fait un sacré moment, peut être que l'angelot s'est endormi sur sa chaise. Peut être même qu'on va être interrompu par un candidat, venu s'isoler par ici, au petit matin, un type qui ne se douterait pas qu'on ait décidé de poursuivre jusqu'au levé du soleil. Il me sort de mes réflexion étranges, grâce à un mot qui me fait sourire, ce n'est pas tant ce mot en réalité, mais bien la conclusion qu'il a tiré d'après ma réponse. Puisque c'est bien grâce à celle-ci qu'il en ait arrivé là, j'en suis sûr. Je hoche la tête latéralement, il n'a pas compris. Pas du tout, mais j'peux pas lui en vouloir, j'suis pas le type le plus clair de la terre. « C'est pas une option à considérer... Mon rapport à la mort et au temps serait presque à l'opposé dans le cas d'une maladie dégénérative.. » Oui donc en gros, tu te goures totalement pour le coup. J'coupe cours, parce que j'peux pas l'envoyer dans cette piste bien trop glauque et affreuse.

« Je comprends pas. » ça sort tellement naturellement, alors que je me gratte le front en grimaçant sous le milliard d’information qui se bousculent sous mon crâne, après l’effondrement de l’idée qui s’érigeait depuis un moment. « T’es entrain de me dire que t’es un genre de Benjamin Button ? » Bon, ok, c’est pas drôle, mais au moins ça me permet de laisser croire à mon cerveau que j’ai le dessus sur le lui, juste le temps de sortir une blague bien moisie dont j’ai le secret. Et techniquement, elle est pas si conne ma répartie. Si son rapport à la mort serait inversé en cas de maladie dégénérative, alors c’est qu’il a l’inverse d’une maladie dégénérative... Donc... Benjamin Button ! J’esquisse un sourire, mais ça semble mort, j’crois que j’ai perdu Connor dans les trois premières minutes de cette confrontation. Finalement, je m’en fous de pas avoir obtenu toutes les réponses que je souhaitais. Ça ne me fait pas plaisir de voir Connor ainsi, je suis prêt à le relâcher s’il le faut, plutôt que de lui coller une de ces migraines qui semble se profiler à l’horizon. Ça me fait chier, bien sûr que ça me fait chier, ça doit même se lire sur mon visage, mais à quoi bon insister ?

« J'vais arrêter avec mes métaphores à deux balles. J'filppe à cause du passé, j'vais pas mourir dans d'atroces souffrances, normalement. Le temps me rend dingue parce que la vie est trop courte à mes yeux, aux yeux de tout le le monde, j'pense. » Mais, à mes yeux ça a plus d'importance, j'suis sûr que je l'embrouille tout autant, d'ailleurs, je devrais peut être arrêter. J'viens d'ailleurs de changer de tactique, à croire que mon secret devient de plus en plus pesant de minute en minute. La migraine, assurément. D'ailleurs, j'crois qu'il a remarqué, c'est pas bien compliqué, y'a qu'un type comme Jackson qui ne voit que dalle. Et puis, j'arque les sourcils. « J'connais pas ce type, mais j'dois pas être comme lui... » J'déteste cette sensation, celle où j'ai cette constante impression d'être un abruti qui ne connait rien à la vie. Et puis, il s'arrête comme pour me libérer d'un fardeaux. « Si tu veux poursuivre,vas- continue, ça va j't'assure. » Je souris, ouais c'est bon, j'peux encore gérer un moment. Quand les nausées surviendront la par contre, je ne pourrais rien promettre.

Il connait pas Benjamin Button ? Sans déconner ? Il vivait où avant de faire Fake Lover ? Dans une cave en Papouasie ? Si tant est qu’ils aient des caves en Papouasie... A vrai dire, j’sais pas trop où c’est, mais on s’en fout, c’est pas le propos. Attention, Syssoï pédagogue interviendra dans 3 secondes, sur vos écrans. J’me penche en avant, les coudes sur mes cuisses, les doigts qui se croises formant un triangles approximatif, index tendus qui viennent tapoter mon menton dans une attitude que j’imagine totalement sage et instruite, très Maître Capello. « Alors, Benjamin Button c’est un type qui rajeunit au lieu de vieillir, du coup, là, en fait, t’aurais pas 28 ans... Enfin si, t’aurais le corps d’un mec de 28 ans, mais en imaginant que l’espérance de vie d’un homme est de 78 ans, t’aurais en vrai de vrai, 50 ans approximativement. Et dans 10 ans, pour tes 60 ans, tu en paraîtrais 18 à tout casser. » Je ménage mon effet en hochant la tête comme si j’étais moi aussi impressionné par cette révélation. « En fait, c’est juste un film avec Brad Pitt. » Oui, là, tout de suite, c’est beaucoup moins impressionnant. Je me renfonce dans mon fauteuil, c’est mieux de prendre de la distance pour ce qui va suivre, enfin j’imagine. Il m’a autorisé à poursuivre, ce que je vais faire même si son sourire n’est pas très encourageant. J’voudrais pas qu’il me fasse une crise, là, tout de suite, surtout pas à cause de moi. Bon, je tente, si je vois que ça va pas, je pourrais toujours couper court. « T’es resté combien de temps à l'hôpital après ton accident ? » Je me contente d’une simple question, une seule et unique, parce que si je la noie encore au milieu d’autre, il n’y répondra pas, et tentera de m’endormir en répondant aux autres. Ça marche plus.

Bonjour Connor, vingt-huit ans, attardé mental. Quoi c'est pas l'impression que j'donne ? Parce que à en juger par la posture de Syssoï son attitude. J'ai l'impression d'être un enfant à qui on va enseigner une des bases élémentaires de la vie. Comme je ne sais pas, faire ses lacets, ouais c'est ça. Syssoï est entrain de m'apprendre à faire mes lacets. J'ai pas l'air con, là comme ça. J'écoute, mais j'comprends rien, enfin si j'comprends, mais j'sais définitivement pas qui est ce type. Un drôle de gars qui n'a définitivement rien à voir avec moi. J'grimace en guise de réponse, et essayer de déceler quelque dans le regard du français, en vain. J'ai presque envie de hurler lorsqu'il me parle d'un film. Avec Brad Pitt qui plus est. Normal. J'suis toute suite plus rassuré pour le coup. J'suis pas cinéma. « Brad Pitt tu dis ? Connais pas... » J'finis par sourire, ouais, les lèvres s'étirent. Et je reviens tout à coup nettement plus sérieux. « J'plaisante. » J'suis peut être pas fan de cinéma, mais j'connais le mari d'Angelina. J'connais chaque centimètre carré de la peau d'Angie. Merde, je m'éloigne. Je m'écrase donc le dossier, penchant la tête en arrière pour réfléchir. Aie. Mauvaise idée Connor. Puis je me redresse, me massant le cuir chevelu. C'est comme ça que j'réfléchis, je me masse le crâne. Oui oui. « J'sais pas, quelques temps. Le temps que mes blessures ne guérissent. Un moment ouais. » Et puis j'hausse les épaules, c'est quoi le rapport avec Benjamin machin.

Je presque peur l’espace d’un instant, lorsqu’il prétend ne pas connaître Brad Pitt. Je suis prêt à buzzer “vit dans une cave en Papouasie” lorsque je me rappelle que je l’ai déjà buzzé et que c’est la raison de notre présence ici. Fornication Under the Consent of the King... Oui, “fuck” pour les ignares. C’est ce que je viens de m’exclamer dans la tête, juste avant qu’il ne m’informe qu’il plaisantait. Oh, ok, c’est le moment où je dois rire alors ? J’ai les zygomatiques en grève générale, désolé. On reprend... Alors... Hum... Durée de séjour à l'hôpital, je vous prie ? Hésitation de monsieur l’accusé, qui balance sa tête en arrière, avant de se redresser, presque immédiatement en se massant le crâne. Ok... Il semble réfléchir à une réponse à fournir, ce qui est une bonne chose, en général. Mais avec Connor, je peux m’attendre à tout en fait. Il se lance, reste évasif, incertain, hésitant... Croyez-moi, quand on passe par la case ‘hôpital’ on sait exactement, à l’heure près, combien de jours on y est resté. Alors son “j’sais pas” n’est clairement pas recevable. Mais c’est son “le temps que mes blessures ne guérissent” qui m’intrigue le plus. « Ha bon ? Je croyais que tu n’avais eu que des blessures superficielles ? » traduction : prends-moi pour un con, je te dirais rien. C’est bien ce qu’il a dit, non ? Ce sont même ces termes exacts. « Tu n’as pas peur de la mort, seule la vie trop courte t’effraie, et pour cause, tu sais de quoi tu parles, pas vrai ? Tu sais mieux que personne à quel point elle peut être excessivement courte... » Je m’avance un peu ? Non, je trouve pas.

Syssoï semble tellement concentré, comme un tigre prêt à bondir sur sa proie - d'ailleurs dans ma tête il est clairement en position d'attaque, j'vais me faire bouffer, d'une minute à l'autre. Il commence sérieusement à me faire peur. Est-ce réellement une si bien idée que celle de continuer ? Je n'ai plus toute mes facultés cérébrales, alors... Ceci la seule seule que je fais c'est réfléchir, ouais. Aussitôt il s'enquiert à démonter ma théorie, comme s'il avait préparé son coup à l'avance, décelant la faille avant que je n'ouvre la bouche. Sauf que, je t'ai eu. Haha. J'ai comme envie de le pointer du doigt comme un gosse, en chantant, je t'ai eu, je t'ai eu. Mais je m'abstiens, même que j'suis totalement impassiblement maintenant. « Ouais mes blessures thoracique l'étaient, tu ne m'as pas demandé si j'en avais eu d'autres si ? » Enfin si ce truc au cerveau que je n'arrive pas à définir et j'pense que lui non plus ne le peut pas ne sachant pas bien ce qu'il insinuait. Je l'écoute et ne réponds pas immédiatement, c'est de la rhétorique, il ne s'attends pas réellement à ce que j'y réponds d'ailleurs. Sauf qu'il laisse sa phrase en suspens, il attends quoi maintenant ? Que je lui balance mon intitulé comme ça ? J'suis plus malin et j'pense qu'il le sait. « Oui donc ? Si on allait droit au but ? » On n'a pas assez tourné en rond depuis tout à l'heure. Il a l'air étrangement plus sûr de lui, cool. Un peu d'action...

Je souris, ouai franchement je souris, même s’il n’en est pas de même pour Connor qui reste impassible. Mais je sais que sous son masque imperturbable, il est satisfait de m’avoir couillé quelque part. S’il savait le nombre de fois où il m’a couillé, justement, au cours de cette confrontation, je pense qu’il se marrerait franchement. Le grand Syssoï, le serial killer de secrets, à ce que les autres s’imaginent, se retrouve le nez dans le caca depuis de trop longues minutes. Connor c’est le genre de type qui se pointe en confront avec une stratégie bien établie, ce qui n’est pas le cas des autres. Alors, forcément, naïvement, je ne m’y attendais pas. Trop confiant, j’imaginais qu’il allait faire comme les autres, et tomber dans mes (pas subtils du tout) pièges. Raté ! Alors je m’y prends autrement, je tente de déclencher des réactions physiques chez lui. Enfin des réactions autres que la migraine, hein, ça je m’en passerais volontiers. « Blessures thoraciques ? De quels types ? » je tente, avec l’intime conviction qu’il ne saura me répondre, mais une non réponse, ou une pirouette, à ce stade de la confrontation, ne passera pas inaperçue, évidemment. Il veut qu’on aille droit au but... Soit. Je réfléchis un instant, martyrisant ma lèvre inférieure, puis je me lance. « Je suis seulement entrain de me demander si le terme «miraculé» ne valait que pour l’un des intitulés de Moore, en fait. » Ce n’est pas ce qu’on appelle le plus direct du monde, mais ça l’est suffisamment pour qu’il comprenne où me conduit mon cerveau, pas vrai ?