Moi, je suis prête. Plus que jamais même. J’essaie de faire abstraction de tous les éléments extérieurs qui pourraient entraver mon amusement ou ma motivation, ou encore mon enthousiasme débordant. Même enthousiasme qui n’a pas l’air de contaminer Laoise. Les éléments qui me persuaderaient de ne rien faire, de me raviser. Parce que trop dangereux. Je ne pense à rien. Seulement à la sensation de vide qui s’éprendra de moi et qui fera naitre un sourire niais et béat sur mes lèvres. C’est tout. C’est suffisant. Je penserais au reste après. Plus tard. Une fois la chose faite. Je jette un nouveau regard vers ma partenaire. Celle-ci me dit préférer la seconde proposition. Mais paradoxalement elle vient s’accrocher à au trapèze. Dommage, j’aurais adoré offrir à l’Irlande un numéro de trapézistes débutantes voire inexpérimentée réussi. Haha. Soit. Mes prunelles vont taquiner le vide, remontent vers Laoise. Je lui souris. Je n’essaie même plus de la mettre en confiance, cette trouillarde. C’est comme avec le pont. Après, elle va me dire vouloir recommencer. Pitié, faites que je ne sois pas responsable d’un éventuel accident qui surviendrait. Mais non, y’a un filet. Aller. « T’inquiètes, après tu en redemanderas ! » je claironne tout sourire. Et, sans lui laisser le temps de répondre ou réaliser je lance un « Accroche toi bien » et d’une simple impulsion, je nous entraine dans le vide. Je resserre ma prise sur le trapèze, me sens balancée dans les airs durant plusieurs minutes. J’affiche, comme prévu, un large sourire lumineux. Heureuse ? Et même plus. Et, pour ne pas m’ankyloser dans une position si peu naturelle, lorsque le trapèze commence à s’immobiliser quelque peu vers le milieu, entre les deux échelles, je passe mes jambes entre mes bras. Mes genoux se calent bien contre la barre du trapèze. Deux solutions: soit je me tractes jusqu’à m’asseoir, soit je lâche mes mains. Le choix est vite fait. Et, soudainement je lâche les mains, me retrouvant la tête en bas, en mode cochon-pendu à plusieurs mètres du sol. « Toujours en vie ? » je lui lance en vrillant mes prunelles vers Laoise, toujours suspendue par les bras. « On est bien mieux comme ça, je t'assure » je sifflote tentant de lui vendre la chose. Beaucoup plus reposant. Quitte à pousser le vice, autant y aller jusqu'au bout.

Je crois que caler mes jambes sur la barre a redonné un tant soit peu de force au trapèze qui continue de se balancer. Je sens mes cheveux virevolter, le sang me monter aux joues jusqu’au cerveau, mon sourire ne pas déloger. Du coin de l’œil je vois Laoise se débattre avec le vide et son poids en même temps. Quel combat titanesque. Il m’arrache même un sourire moqueur. Légèrement moqueur. Celle-ci semble tirer sur les dernières forces qui lui reste pour se mettre sur les avant-bras. Et, elle m’assure se sentir super bien. J’échappe un rire. « Tu verrais ton teint blême ma belle, presque cadavérique, j’ai l’impression que ton cœur va lâcher dans quelques secondes » je lui dis, la tête toujours en bas. Au bout d’un moment, je sens ma tête tourner, à force, le sang a fait son chemin jusqu’au cerveau. C’est mauvais dit-on. Puis, avec l’aide du balancier je me retrouve assise sur la barre. Je secoue légèrement la tête histoire de remettre mes idées en place. Et, sans trop lui demander son aide, j’aide Laoise à se mettre également assise sur la fine barre du trapèze. Plus bas, j’entends la voix de Swann qui nous quémande une figure. Je lui souris. « Il ne faut pas décevoir le public, on fait quoi ? » je lui demande, plantant mon regard dans le sien. Je zieute devant moi le trapèze immobile et suspendu dans le vide. « Je crois que la règle au cirque, enfin trapèze, c’est attraper l’autre. » je fais en lui désignant d’un signe de tête le trapèze d’en face, continuant de nous balancer à l‘aide d‘un mouvement de va-et-vient avec nos jambes. « Je tente, tu assures mes arrières ? » j’ajoute complice. Elle continue de nous balancer alors que je me laisse tomber dans la position précédente -cochon pendu, ma préférée. Je lève la tête. Laoise nous balance, encore, encore. Ma tête frôle la barre une fois, deux fois. Et, à un moment, je retiens ma respiration, lâche les jambes et tend les bras. Je me sens voler, presque. Cette sensation est courte, très courte. J’atteins une sorte de paroxysme et je me sens chuter. La peur ne m’envahie par encore. Aucun, 'je n'aurais pas du' hante mon esprit. Seulement l’adrénaline. Je touche la barre du bout de mes doigts, l’agrippe. Chance du débutant. Un sourire vainqueur. Cascadeuse que je suis, je mérite une médaille. Un soupir de trop et le trapèze me file d’entre les doigts. J’échappe un cri, un rire, je chute. J’ai l’impression que ca dure des heures, et le filet me rattrape. Quelques minutes filent, le temps de reprendre mes esprits. « Je vais bien » je lance à Laoise restée en haut, levant un pouce en l'air. « Satisfaite du spectacle ? Parce qu'on ne rembourse pas » je demande à Swann en tournant la tête vers elle, espiègle, toujours allongée sur le filet de secours.