Je ne sais pas pourquoi mes pas me guide au cimetière. Il est tard, il fait quasiment nuit. Le soleil se couche et quelques rayons rosés tentent de persister à l'horizon. Je m'assieds sur un muret en hauteur et j'observe ce paysage que la nature nous offre. Je suis seul, je suis bien. J'ai l'impression que mes problèmes – aussi futiles soient-ils – s'envolent au grès de cette brise douce qui vient caresser ma nuque et la fait frissonner doucement. J'enfile mes mains dans les poches de ma veste. J'attendrai jusqu'à ce que le soleil soit entièrement couché. Je n'ai pas faim. Je n'ai pas froid. Je ne suis pas fatigué. Je suis dans un état second, un état serein. J'allume une clope. Je tire une longue latte qui emplit mes poumons et me réchauffe le corps. Je me sens bien. Et je l'ai déjà dit, je crois. Je m'allonge sur ce muret, la clope au bec, la tête dans les nuages, rosés eux aussi. J'entends pas les pas qui se rapprochent de moi. Je suis ailleurs, bien loin de ce village provençal. Bien loin de Fake Lover. Je me rappelle une île que j'ai visité il y a déjà plusieurs années. Une île où l'eau était azure. Où le soleil ne se couchait pratiquement jamais. Et puis, elle m'apparaît. Elle penche sa tête au-dessus de la mienne et j'éclate de rire. « J'aurais pu mourir de peur. Et tu n'aurais pas eu beaucoup à faire pour m'enterrer. » c'est une entrée en scène plus que douteuse, j'en conviens. J'ai pas envie d'embrayer sur le sujet de l'autre jour tout de suite. Je relève la tête et dépose un baiser furtif sur sa joue potelée. Elle est adorablement belle. « Ca va ? » je demande avec intérêt. Et je jette précipitamment la clope que j'ai dans les mains, me souvenant qu'elle déteste ça. Réflexe. J'aurais pu ne pas le faire et la terminer, au prix qu'elles coûtent. Mais j'sais pas. Elle déteste ça, je l'adore et j'ai pas envie qu'elle ait une mauvaise image de moi. J'saurais pas l'expliquer ni même mettre des mots sur le ressentis que j'ai à son égard. Cette fille me trouble. Elle a compris mon petit jeu et je fais comme si de rien était. Comme si je ne l'avais pas hait l'autre jour lorsqu'elle est partie sans rien dire après m'avoir lancé à la gueule mes quatre vérités. J'recommence à jouer un jeu et j'ai peur de sa réaction d'un coup.

Je suis d’humeur morbide. Me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. J’ai décidée que ce soir ça serait la fête des morts avant l’heure. Ouai, Halloween approche et pas sûr que je sois encore en jeu d’ici là. Donc autant aller faire un tour dans le cimetière à une heure bien sympathique où les couleurs restantes dans le ciel se dissipent. De toute façon, je suis pas du genre froussarde. Quoi qu’un peu peut-être. En réalité, je suis pas d’humeur morbide. Tout va bien même. J’ai juste décidée de me promener dans un endroit un peu lugubre pour certains mais calme. J’avance un pied devant l’autre et en douceur sur le muret où se trouve un candidat, de dos, qu’il me semble connaître. Une fois arrivée derrière lui, je plonge simplement ma tête face à la sienne, telle une autruche regardant entre ses pattes. « Bouh ! » Arès, que j’avais bel et bien reconnu, affirme aussitôt avoir eu peur et que j’aurai presque pu l’enterrer suite à une crise cardiaque qu’il aurait pu avoir. Il serait pas un peu Marseillais dans l’âme niveau exagération lui ?! Ah non ! Il était peut-être ironique ? J’en sais trop rien. Peu importe, je me cale à côté de lui tandis qu’il s’empresse de déposer un furtif baiser sur ma joue. Cela m’étonne un peu. J’aurai pensé qu’il m’en voulait toujours pour la dernière fois mais il faut croire que non. Tant mieux. « Ouai. Non. J’me fais chier. » Je balance les pieds dans le vide tout en sortant de la poche de mon short un citron ainsi qu’un canif piqué en cuisine. « Envie de challenge. Tu serais prêt à faire quoi d’insolite pour moi ? » S’il me réponds « rien », je crois que je lui fais bouffer le citron de force par les trous de nez. En attendant, je commence à découper le fruit.

Je me relève, sur mes coudes. Un léger sourire plane sur mon visage détendu. J'ai pas envie de parler, de devoir m'expliquer alors, je feins. Je feins de ne plus me souvenir de notre dernière discussion. Comme si elle ne m'avait jamais laissé sur ma fin en me balançant mes quatre vérités. « Ouai. Non. J’me fais chier. » Ca tombe plutôt bien, puisque moi aussi. Je jette ma clope sans ménagement et puis, je la fixe, d'un air mutin. Si je fait semblant de ne me souvenir de rien, peut-être en fera-t-elle de même. Je fixe chacun de ses traits avec assiduité. Je n'sais pas trop ce qui se passe entre elle et moi. Et je n'ai pas envie de le découvrir. Elle a lu en moi et ça me gêne. J'veux qu'elle avoue qu'elle s'est gourée. Que je suis véritablement un salaud. « Envie de challenge. Tu serais prêt à faire quoi d’insolite pour moi ? » Elle me prend de court, mais j'aime ça. C'est ce qui me plaît tant chez Sia. Sa façon d'être si peu prévisible. J'ai bien envie de répondre que je suis prêt à tout pour elle, mais ce n'est pas vrai. La preuve, je ne suis pas prêt à me dévoiler et lui avouer qu'elle a raison sur toute la ligne. J'suis bien trop fier pour ça. Et puis, j'ai pas envie qu'elle s'attache à moi si elle découvre que je ne suis pas un bad boy. Et ses dernières paroles, celles de notre dernière rencontre résonnent dans mon crâne. « Qu'est-ce que tu as en tête ? » je réponds, mes yeux plantés dans les siens. Je ne laisse rien transparaître si ce n'est un poil de curiosité. Et puis, j'aime jouer. J'aime les défis. J'ai hâte de savoir à quoi elle pense.

Mode autruche activé, me voilà rejoignant Arès et l’effrayant quelques peu par ma présence. Je sais pas trop ce qu’il en est de notre relation en vue de la discussion de la dernière fois. J’apprécie beaucoup le jeune homme mais peut-être pas de la manière dont il aimerait. J’en sais rien à vrai dire. J’ai l’impression qu’il joue un jeu. Tant qu’il ne sera pas complètement sincère et qu’il ne laissera pas tomber sa carapace avec moi, j’aurai dû mal à envisager quoi que ce soit avec lui. Pourtant, il est physiquement tout à fait mon type d’homme, y’a pas à dire. En plus, je trouve ça touchant qu’il arrête de fumer en ma présence. Je fais genre je ne vois rien mais au final, je capte. Et, tiens, il semble ne pas m’en vouloir pour la dernière fois. J’en suis pleinement satisfaite. Advienne que pourra. Je ne suis vraiment pas une nana qui se prend la tête. D’ailleurs, j’ai envie de jouer. J’improvise alors un espèce de défi que le jeune homme devra relever tout en découpant le fruit jaune qui va me servir de quatre heures ou plutôt de dessert. Ouai, moi je suis une fana de citron et d’acidité. Jesuisunenanaétrange.com « Je sais pas. Fais preuve d’imagination et épates moi. Quelque chose que tu n’as jamais fait mais que tu aimerais faire peut-être. » Qu’il aille pisser sur une tombe, qu’il se mette à poil et qu’il danse la polka ou bien qu’il mange mon citron tout cru, j’en sais rien. Tout ce que je demande c’est qu’il fasse preuve d’audace et qu’il me divertisse. Je sais qu’au fond, il en est capable. « Si tu parviens à m’impressionner, je t’offres la récompense de ton choix. » Voilà qui devrait être un peu plus motivant pour le brun.

« Je sais pas. Fais preuve d’imagination et épates moi. Quelque chose que tu n’as jamais fait mais que tu aimerais faire peut-être. » Faut que je fasse preuve d'imagination ? Je reste hébété quelques secondes. Quelque chose que j'aimerais faire, qui l'épate. Mes sourcils se fronce. Mes lèvres jouent ensembles, se tordent en une grimace. Je réfléchis un moment. Un très long moment durant lequel une brise légère se lève et vient ébouriffer mes cheveux. « Si tu parviens à m’impressionner, je t’offres la récompense de ton choix. » Je ne suis pas plus avancé. J'ai envie de déguerpir. Je n'ai aucune imagination à ce moment. Néanmoins, je me lève sur ce muret, en un bond. J'attrape l'écharpe que Sia a autour de son coup et ne manque pas de déposer un baiser sur sa joue furtivement avant de me bander les yeux. J'ai toujours voulu être gymnaste ou acrobate de cirque. Et marcher sur un fil. Je souffle plusieurs fois, je fais quelques pas. J'ai fait un peu de gym quand j'étais petit, je teste mes restes. Puis, je fais quelques pas en arrière. Mes mais sont tendues, elle gardent mon équilibre. Et un sourire fin est dessiné sur mes lèvres. Je fais un demi tour, je saute, je perds l'équilibre et je me reprends. Je trottine d'avant en arrière et puis, sans savoir où je me trouve, j'enlève l'écharpe imprégnée de son odeur. Je me suis nourris d'elle quelques secondes. Et pour finir en beauté – et parce que je n'y arrive que les yeux ouverts – je fait une sorte poirier très moche – eh, mes restes son loin – et je me tourne vers Sia. « Verdict ? » est-ce qu'elle a eu ne serait-ce qu'un peu peur pour moi ? Et est-ce que j'aurai droit à une récompense au moins ? J'ai quand même risquer ma vie, là.

Le candidat ne semble pas tellement inspiré par le challenge que je lui lance. Roooh. Pas d’imagination ces jeunes ! Pourtant, il peut en faire des choses pour me divertir. Surtout que je suis pas du genre super exigeante. J’ai tendance à rire pour un rien. Allez, je lui propose quand même une récompense à la clé en espérant que ça le motive. Je suppose que oui. Sachant qu’il choisira cette récompense, il devrait tenter de tout faire pour m’impressionner et moi je devrais avoir un peu peur quant à la suite. J’aurai dû préciser « dans la limite du raisonnable » peut-être. Tant pis, je verrais bien. Déjà faut-il qu’il bouge ses fesses. Ah voilà. Il semble parti puisqu’il vient de me piquer mon écharpe. En passant, il m’offre un bisou sur la joue. Quel charmeur ! J’ai envie de dire : corruption du juge et disqualification mais je me retiens. J’ai pas envie de casser son numéro. Il a l’air concentré et sérieux dans ce qu’il va entreprendre. Et je comprends vite pourquoi. Whaou. Il se lance les yeux bandés dans un numéro d’équilibriste sur le muret. J’en déduis qu’il voulait être acrobate ou artiste de cirque étant petit. Sympa. En tout cas, j’avoue ne pas être rassurée. Ce n’est pas un professionnel et il pourrait très bien tomber à tout moment. « Bon, on va oublier cet espèce de poirier foireux où j’ai pu entrevoir tes attributs. » Bien évidemment je déconne histoire de perturber le temps d’une seconde le beau mâle. Cela semble marcher puisqu'il observe, surement par réflexe, sa tenue, qui n'est enfin de compte pas transparente. « C’était pas mal. J’aurai bien aimée que tu te casses la gueule mais.. » Je rigole aussitôt. « Je plaisante. Beau numéro. Bravo. » Je souris face au candidat fier de son spectacle, avant d’entamer mon citron en espérant que le candidat ne se rappelle plus du deal.

Je ne comprends pas tellement ce qu'elle me veux, mais je m'exécute. Plutôt dans l'optique qu'elle me laisse tranquille, qu'elle oublie notre discussion précédente que dans celle de lui faire plaisir. J'aime pas qu'on me fasse du chantage affectif. Et j'aime pas montrer mon talent - médiocre peut-être mais quand même - d'acrobate. J'ai la nette impression qu'il s'apparente plus à une faiblesse qu'autre chose. Je suis ridicule à courir sur ce muret tel un forcené et à tenter un poirier à moitié raté. J'ai failli plusieurs fois me casser la gueule et je n'ose même pas imaginer ce qu'il aurait put m'arriver. Mais je suis finalement sur pieds et la réaction de Sia ne me satisfait pas. Je fronce les sourcils mécontent. « Bon, on va oublier cet espèce de poirier foireux où j’ai pu entrevoir tes attributs. » Je lève les yeux au ciel sans conviction et m'assieds de nouveau près d'elle, comme si de rien était. Le soleil laisse entrevoir seulement le haut de son dos. Il fait bientôt nuit et nous contemplons ce coucher, presque hébétés. « C’était pas mal. J’aurai bien aimée que tu te casses la gueule mais.. » je la regarde, faussement outré. J'ai envie de jouer ce soir, d'être encore moins moi-même. Elle m'a vexé, m'a humilié intérieurement alors, je me montre encore plus sous mon faux jour. « Je plaisante. Beau numéro. Bravo. » Amusé, je joue le jeu et je tape ma joue de mon doigt. J'attends un baiser, maintenant, tout de suite. Et puis, quand son baiser vient claquer ma joue, un baiser acidulé par la citron qu'elle vient d'aspirer, je me retourne taquin. « A toi, maintenant. »