Joanee était, en somme, un être aussi captivant que repoussant. Je connaissais beaucoup d'hommes qui auraient reculé face à son comportement revêche et récalcitrant, d'autant plus à la vue de ces iris dont elle ne masquait ni la froideur ni la condescendance. Pourtant et dans un paradoxe déconcertant, toutes ces caractéristiques de sa personne m'attisaient et me donnaient en découvrir un peu plus, toujours plus. Si un peu plus il y avait à découvrir derrière ces cheveux blonds et ce visage teinté d'une lueur de mesquinerie. Je sentais que le désenchantement ne tarderait pas, alors je saisissais la moindre occasion pour avancer vers ce que je désirais, avant qu'il ne soit finalement trop tard. Je n'étais pas capable d'accepter le moindre échec. « Détrompes-toi, être humble, modeste et sage ne m'empêche pas de faire parti de ces garçons les plus singuliers. » Je fermais les yeux l'espace d'un instant en sentant son doigt sur mon torse, me délectant de l'agréable sensation avant de les rouvrir pour l'affronter de nouveau. Elle dressa un portrait de ma personne qui m'arracha un rictus plein d'arrogance et de suffisance. Lui riant presque au nez, j'arquai finalement un sourcil impérieux avant de pencher la tête. « Je suis persuadé de valoir bien plus de 70 000 euros, seulement je me contente de ce que l'on me propose et viens me consoler en ta compagnie pour me distraire de cette amère réalité. » Je n'allais pas me vanter de ma situation ou des études que j'avais mené. Je pouvais gagner le triple de mon salaire si seulement je le voulais, mais j'avais fais le choix de ne pas poursuivre ma voie et me complaisais parfaitement de ma situation, ou du moins le prétendais. Il n'y avait pas de place pour une compagne dans ma vie, du moins pour le moment, c'est ainsi que je préférais voir les choses. J'étais trop instable pour envisager quoi que ce soit qui s'approche de son contraire, professionnellement comme sentimentalement. Ma main glissa sur sa cuisse à sa dernière réplique, à la recherche de ce fameux poignard assurément fictif, avant de remonter aussi vite sur sa hanche. « Je n'ai pas peur de me faire crever le cœur. » Je me penchais alors vers son visage, soufflant sur ses lèvres avec délicatesse, mes mains remontant sur ses bras pour les enserrer entre les miens. « S'il te plait. » Ironie.

Attentive – c'était dans sa nature et son métier – au moindre geste dans la pénombre, au moindre battement de cil, elle sentit avec raideur la respiration de Loup s'accélérer, de très peu, mais s'accélérer tout de même. Quelque chose en elle – sûrement les efforts qu'elle faisait pour lui faire ravaler coûte que coûte son orgueil – avait lassé sa capacité d'écoute et de compréhension, ne lui laissant qu'à peine le temps de se rapprocher de son but, brûlant d'un seul coup toutes les étapes qui, selon elle, n'arriveraient peut-être à rien. Si tout était déjà joué, à quoi bon jouer? Un léger froncement se dessina sur l'arrête de son nez. Imperceptible, mais véritable, on eut dit qu'une lueur rougeoyante venait de passer en un éclair dans ses pupilles – à moins qu'il ne s'agisse d'un effet d'optique dû au seul voyant lumineux de la pièce? Elle sonda son regard, si doux et tentant à peine quelques secondes plus tôt, à présent déformé par le rictus qui s'affichait fièrement sur son visage. Pensive, elle fit glisser le bout de sa langue le long de ses lèvres. « Ce qui coûte très cher se voit trop, ne sert qu'à être vu, a tout de parfait et tout de déjà terminé, en somme, rien d'attirant. » Elle se glissa contre lui pour le contourner, sa voix glissant autour de lui et l'enroulant dans le fleuve de ses paroles. « Moi, tu sais, je ne coûte pas cher. À peine quelques centimes. Je suis ce qu'on remarque sans comprendre pourquoi on l'a remarqué, et qu'on fait tout pour acheter sans jamais y parvenir, simplement parce que ce qui ne coûte rien ne s'achète pas, jamais. » Elle posa ses deux mains sur ses épaules, détachant les mains de Loup, posées sur ses hanches, et les plaqua contre son corps, tandis alors que l'ironie de son partenaire d'un instant valait tous les poignards cachés du monde. « S'il te plait ». Un sourire se dessina sur ses lèvres sans qu'il puisse le voir, sans même qu'il puisse s'apercevoir que la froideur et la malice de ses iris avaient disparu aussi soudainement qu'un soleil masqué par les nuages. Avec une douceur qu'elle n'aurait su retirer à son geste, elle approcha ses lèvres de son oreille. « Tu es trop cher pour moi, Loup » murmura-t-elle avant de s'éclipser dans le noir, entrebâillant la porte, juste assez pour y faufiler son corps mince, et la refermer derrière elle.