On a suffisamment parlé de mon air inaccessible, de cette distance, pourtant involontaire, souvent renforcée par mes vêtements sombres, trop sombres. Même la Production a cherché à me faire passer à la Technicolor, en me faisant parvenir des vêtements tous plus criards les uns que les autres. Et que dire de la harpiste qui taggue le mot “dark” sous un cliché de moi ? Cette fois, j’ai décidé de faire un effort, de bousculer mes si confortables habitudes. Evidemment, je ne suis pas prêt à toutes les concessions tout de même, je laisse, dans mon placard, tout bout de tissu trop colorés, et opte pour l’absence totale de couleur : le blanc. Rien de très pur ou tape-à-l’oeil, juste un ensemble sans une touche de noir. J’en profite tant que je possède encore le teint d’un italien, dans quelques jours, dans quelques semaines, je serais probablement aussi pâlichon que le présentateur irlandais. Habillé, presque coiffé et rasé de près, je remonte à la chambre pour trouver quelques lainages à prendre avec moi, pour ce soir. Mais c’est ma partenaire que je trouve, assise sur le lit, entrain de m’attendre. Je ne parviens à réprimer un sourire, et pourtant je tente, croyez-moi, avant de lui tendre la main. Je n’avais pas oublié, bien sûr, mais je pensais qu’elle aurait oublié de son côté. Je n’en aurais pas prit ombrage, mais l’inverse me fait plaisir. J’observe sa tenue, et je ne peux que noter le caractère à la fois opposé et complémentaire du tout. Elle m’a piqué mes fringues ou quoi ? En chemin, je reste silencieux, m’interrogeant sur la tournure de ce nouveau prime. Je pense à ma sauveuse de tee-shirt et son acolyte le troubadour et espère que l’un comme l’autre nous ferons le plaisir de rester entre ces murs. Je suis machinalement Ismay, entrant à sa suite sur le plateau, et m’installant là où elle m’indique de le faire. Docile ? Oui, un peu, mais surtout perdu dans mes pensées. Connor ! Voilà, c’est son prénom à l’irlandais ! Connor fait son speech et annonce Daphné. Heu... Ok. Et sinon, y a moyen de parler d’autre chose, ou pas ?

Ce soir, la jolie blonde avait opté pour un look rock’n’roll. Elle portait un slim en cuir noir et un bustier clouté raffiné. Son rouge à lèvres se voulait vif, assorti à ses escarpins Louboutin, et son regard charbonneux. En arrivant sur le plateau, avec le peu de dignité qui lui restait, elle parvint à articuler une phrase pourtant simple mais riche de sens en réponse à CONNOR : « Les plus belles histoires d’amour commencent toutes par un ultimatum impossible à tenir. » Autrement dit, elle ne souhaitait pas quitter l’aventure à l’issue du prime. Elle était revenue sur sa décision, au risque d’être désormais considérée comme une lâche dénuée de volonté. Daphne se dirigea ensuite d’un pas déterminé vers LOUIS. « Je t’ai préparé un petit sachet senteur avec les lavandes des champs. Tu pourras le glisser dans ton linge. Je suis sincèrement désolée d’avoir été aussi infecte avec toi lors de l’annonce des nominations. » Déclara-t-elle en offrant poliment au blondinet le délicat sachet de tissu refermé par un nœud en ruban rose. « Je reconnais que le parfum lavande n’est pas forcément très viril mais si ma route avait croisé celle d’un cerf, j’aurai tenté d’extraire du musc. Bref, bon courage pour ce soir. » Elle tourna les talons sans davantage de cérémonie. Elle l’avait traitée avec le pire des mépris, elle n’espérait pas qu’il accepte ses excuses aussi rapidement. Elle s’installa donc sur un canapé libre et croisa ses jambes élancées.

Je le sens moyen, ce prime, très moyen, mais, au moins, ce n'est pas ma tronche qui apparaît sur l'écran géant, c'est tout ce qui compte. Enfin, pas que. Fantine est nominée, je n'ai aucune envie de la voir quitter le nid, elle a encore trop de choses à découvrir, trop de choses à y apprendre, du moins c'est ce qui me semble. Je m'appuie d'une épaule contre la porte. Cette fois, j'ai pris le soin de me fringuer correctement, quittant le peignoir de la dernière fois ,et arborant un jean noir des plus classiques. Je n'ai jamais su me faire remarquer au rayon vestimentaire: mes cheveux, ma tête, mes tatouages, mes piercings, tout est déjà accessoirisé chez moi, tant que des habits trop originaux me transformeraient en phénomène, que je ne suis pas. De loin, je regarde Daphné et ses jambes interminables se diriger vers Louis, et m'arracher un sourire. Je sais ce que ça coûte. Je connais aussi la cruauté de Cupidon, qui, plutôt que de lui soutirer de l'argent de sa cagnotte – comme on l'a fait pour moi lors de ma flemme pour les précédents votes – a préféré lui prendre plus que ça. Pendant ses excuses, j'observe les autres candidats, un par un, et mon regard tombe sur le grand brun ténébreux tout vêtu de blanc, que j'ai déjà aperçu sans jamais lui parler. Il a l'air de ne pas se régaler du spectacle, c'est comme s'il avait envie qu'on passe à autre chose. J'approuve silencieusement et me dirige vers le canapé, à côté de Daphné qui vient de se rassoir. Je lui adresse un sourire et prend sa main dans la mienne. « Mignonne. »

Sven, en décrochant le téléphone rose, tu viens de remporter la somme de 2 000 €.

Je cherche ma partenaire des yeux, mais ne la trouve pas. Le prime va commencer et je n’ai aucune idée du chemin à suivre pour rejoindre le plateau, ayant été exempté d’acte de présence la semaine précédente pour cause d’état fiévreux. Habillé sans grands artifices, je sors de l’école des filles et avance mollement sans trop savoir où aller, jusqu’à distinguer des silhouettes de candidats un peu plus loin. Un dimanche soir dans le nid d’amour, il n’y a pas trente-cinq lieux où aller, si bien que je les suis à quelques mètres de distances. On parcourt un sentier qui s’enfonce bien au-delà du village, avant d’arriver face à une vieille grange dans laquelle je ne suis jamais encore entré. Je passe le pas de la porte et regarde avec attention les alentours, alors que mes camarades coutumiers de la salle prennent déjà leurs aises. J’aperçois tout un canapé libre sur le côté, mais avant de l’atteindre je fais une escale près de Fantine. Je pose ma main sur l’épaule de la nominée et lui adresse un grand sourire censé se montrer encourageant. J'espère réellement qu'elle ne quittera pas l'aventure ce soir. Même si dans ma tête la jeune femme est dotée d'une dose immesurable de qualités appréciables et donc qu'il n'y a aucune raison pour qu'elle soit éliminée, je ne peux m'empêcher de ressentir un léger trouble à chaque fois que je pense au fait que deux habitants disparaitront du village dans quelques heures. Je lui souffle un vague bonne chance tout bas pour ne pas faire preuve d’impolitesse vis-à-vis des autres candidats sur la sellette. Sans ajouter un mot, je m’éclipse vers la place dans un coin que j’avais repéré quelques minutes auparavant.