L’annonce de la première soirée de la saison me laissa pensive, songeuse. Je n’avais point l’habitude de faire la fête, en fait, il m’avait même fallu jusqu’à mes vingt-trois ans avant que des amis réussissent à me traîner dans une boîte de nuit, et j’avais détesté l’expérience. Par contre, l’ambiance lounge de certains bars branchés de Chicago avait su me charmer, et j’allais parfois prendre un verre, le vendredi soir. Mais ça se résumait à ça. Alors, me mêler à une trentaine d’autres personnes sous une thématique ancestrale, costumes d’époque à l’appui, était loin de me mettre à l’aise. Cependant, rester dans mon coin, alors que tous les autres s’amusaient semblait une option décourageante. Pathétique, même. Je me forçais donc à me prêter au jeu, allant chercher une tenue acceptable à l’épicerie – une petite robe bleu pâle tout simple – et me coiffant avec simplicité. Un petit châle blanc couvrait mes épaules. Aucune place pour l’excentricité. Sur la place du village, la musique résonnait déjà, et les candidats réchauffaient l’ambiance de leur présence. Je me tins un moment à l’écart, mon regard scrutant la petite foule, puis je repérais un solitaire (Raphaël) dans cette masse de gens. Passé cette brève tentative d’approche, je m’accostais à ses côtés, lui souriant au passage - je ne souhaitais pas qu'il prenne peur à mon contact. « Cette tenue te va comme un gant. » fus-je à même de constater.

Ah ouais, un rôle, je suis censé me la jouer parisienne précieuse ? D'accord, avec plaisir, sauf qu'avant ça, je me reçois le paquet contre la poitrine. « Merci. » C'est donné avec tellement de gentillesse il faut dire. Je tire le bâton de nicotine du paquet et le lui rends, tandis que l'autre s'offusque. Ah oui, c'est vrai que ça pourrait être déplacé, c'est fou ce que les métisses s'offusque de ce genre de blague, susceptibles. « Mais non penses-tu c'était une petite blagounette. » Ouais, ouais, j'suis plus convaincante parfois, je le sais. Je force sur le sourire, limite nana stupide, ça j'suis douée pour le faire. J'veux pas flinguer son enthousiasme débordant, elle a tellement l'air de s'éclater. Youhou. Otello qui vient de se présenter à Kirikou qui se prénomme en réalité Asmaa est à fond dans le rôle, un parfait petit comédien. Moi pour le moment je fume. Son violon, ouais. Sauf que la blondasse qui dort avec mon mari se la joue grosse rageuse en direct live. « Tu ne préfères pas liquider la Paris Hilton du pauvre plutôt ? Elle est lourde... » Non c'est bon, là, t'arrête de faire ta drama et tu la fermes un peu, tu seras gentille. Je montre Daphne du menton, l'air totalement désabusée. Bien que je guette les réaction avec attention, du sang, du sang, du divertissement, de l'action, que la fête commence. Entre temps, je remarque mon partenaire à qui j'adresse un sourire. Je lève mon index dans sa direction, complimentant sa tenue.

Marlboro au coin des lèvres, coupe à la main, je regretterais presque de ne pas m'être servi un whisky, désireux de coller plus au rôle inspiration Corleone que lequel j'essaye de me fondre: certes, la blondeur ne fait pas très sicilien, mais le champagne façon danseuse du Moulin Rouge aide encore moins. Abandonnant Mads une seconde, je me sers à la hâte un Ballantine's bien dosé; amen à mon foie; pour finalement imiter ma camarade en m'adossant au mur surplombant l'endroit: lumières tamisées, accordéon en accompagnement, borsalino et nuage de nicotine: le thème est un succès total. A peine ai-je le temps de tirer sur ma cigarette que, débarquant de nul part, Fantine vient se cramponner à mon bras, manifestement peu encline à participer à cette soirée-ci. "On dirait qu't'es au bord du suicide ma belle, t'es sûre que ça va?" J'exagère à peine; son teint est blafard, son visage monotone. Je lui embrasse la tempe, tente de lui remettre du baume au coeur. "C'est l'thème qui t'plaît pas? Immersion en pleine trilogie du Parrain, j'trouve ça sympa pourtant." Pauvre petite. Je lui tends mon paquet de clopes, ouvert, lui proposant explicitement de se servir; si je ne parviens pas à lui faire décrocher un sourire dans les cinq prochaines minutes, je la fais danser. Fred Astaire s'en retournera dans sa tombe, mais qu'importe.

Penelope suggéra l’idée d’aller danser. A vrai dire, pourquoi pas ? La musique lui changerait sûrement les idées. Elle n’avait que faire de ce que les autres candidats pouvaient penser d’elle, surtout lorsqu’ils s’avéraient incapables de s’exprimer en direct. « Allons-y ! » La jolie blonde prit Penelope d’un bras et Corto de l’autre. Il n’avait aucune chance de s’échapper. De toute évidence, qui fuirait la compagnie de deux demoiselles sur une piste de danse ? « Chers ancêtres, ne m’en voulez pas si j’écorche vos pas de danse. Je ne suis pas vraiment familière au déhanchement sur de l’acordéon. » Déclara-t-elle avec humour en tournant son visage vers les cieux.

Je nous sers deux verres de vin et, tandis que j'en tends un à Elliot, prêt à passer une bonne soirée (tout aussi bonne, je l'espère que l'autre soir dans la bibliothèque), la voix stridente de Daphne parvient à mes oreilles et me fait grimacer. Je soupire, cette fille est pitoyable, elle me fait de la peine. Et je me reconnais. Moi aussi j'ai laissé un commentaire sur son blog. Je ne suis pas le seul. Et j'ai l'impression que la pauvre n'est pas aimée. Qu'elle se donne un genre. Aime être détestée et ne conçois pas l'expressions " se remettre en question ". Non, cette notion lui est complètement inconnue. Je bois une gorgée de mon vin et puis, je me tourne vers elle et hausse un peu la voix afin que Daphne, partie un peu plus loin pour danser m'entende. « Évite de gâcher une soirée qui n'est pas en ton nom s'il te plait. Tu nous en verras ravis. » je lui déclare avant de lui tourner de nouveau le dos. Je ne la connais pas mais elle irrite mes nerfs. Sa voix stridente, sa façon de se croire au-dessus de tout le monde est totalement insupportable. Et je suis certain de ne pas être le seul que ça dérange.

« Tu vois pas que je suis en train de danser ? Si t’as quelque chose à me reprocher, laisse un commentaire sur mon blog. Oops j’oubliais… c’est déjà fait ! Et pour ta gouverne, toutes les soirées de cette aventure seront à mon effigie. Mon nom est sur toutes les lèvres, fais-toi une raison ! » Répliqua-t-elle partagée entre insolence et ironie entre deux pas de danse avant d’éclater de rire. Se tournant vers ses deux compagnons du moment, Penelope et Corto, elle ajouta : « Tous des grands malades ici ! Pour cracher derrière un écran, ils s’en donnent à cœur joie. Mais quand il s’agit d’assumer ses propos en face, il n’y a plus personne. » La belle termina son verre de rosé qu’elle posa sur une table avant de reprendre ses déhanchements gracieux sur le rythme de la musique endiablé d’époque. Elle jugeait le thème de la soirée particulièrement original et inspirant.