Du coin du l’oeil j’observe les autres couples se mouvant à nos côtés. Je ne sais pas quel style de musique est entrain d’être joué, ou plutôt je ne sais pas vraiment à quel style de danse il est associé, mais clairement, aucun de nous n’est dans le vrai, pas plus le couple que je vois gesticuler sur notre droite, façon bal musette, que nous deux en mode valse sur les pavés. Après tout, qu’importe les flacons, du moment que le tempo est correct. Et celui-ci nous offre absolument la possibilité d’une valse dont ma partenaire de danse semblait avoir envie. Je la fais tourner, avancer, reculer, tournoyer, puis je la bloque contre moi, doucement, pour empêcher toute fuite et rattraper, comme il se doit, mes maladresses. Car j’ai tendance à oublier qu’elle n’est pas une de mes conquêtes, une de celles à qui je dois plaire, contenter, satisfaire, je me dois de réprimer mes réflexes de séducteur complaisant, et m’excuser de ceux que je laisse échapper par mégarde. C’est ce que je fais, avant de détourner son attention de ce sujet-ci pour la conduire vers un autre, bien moins risqué, son prénom. Mads, ce ne peut être qu’un diminutif. Ce qu’elle me confirme, m’affirmant qu’elle se prénomme Maddie, qui, à mes yeux, est aussi un diminutif. Je m’apprête à lui en faire la remarque, mais elle enchaine rapidement, ne se laissant, visiblement, pas berner par ma technique sournoise. Elle me questionne, encore, toujours, sur les raisons qui me poussent à vouloir être un autre, à me plier à la volonté d’une femme. « Un prénom. Qu’est-ce qu’un prénom ? Tu peux me donner le prénom que tu souhaites sans que cela fasse de moi quelqu’un de différent. Je m’appelle Otello, mais j’aurais pu avoir bien d’autres prénoms, aurais-je été différent ? » je l’interroge à mon tour, en esquivant délibérément sa question, la détournant de son but premier par cette technique grotesque. « Mads est-elle différente de Maddie ? » Je n’attends pas vraiment de réponse, juste une réflexion dans laquelle j’espère la plonger le temps de détourner son attention pour qu’elle ne creuse pas plus avant. Mais c’est mon attention à moi qui se trouve détournée lorsque mon regard croise le couple qui avance dans notre direction. La polonaise et le tatoué semblent déterminés à nous rejoindre. « Ne prends pas peur, mais mon ombre vient de me retrouver. » je souffle à l’oreille de ma partenaire de danse, avant de nous faire pivoter ensemble afin qu’elle puisse observer ce dont je parle. Mon ombre n’est autre que Janka, évidemment, auto-proclamée. Mads l’ignore encore, mais dans quelques instants, j’imagine qu’elle sera en mesure de comprendre.

Qu’est-ce que j’imaginais ? Qu’elle allait sourire bêtement et hocher de la tête comme les parfaites idiotes que j’ai l’habitude de rencontrer ? Honnêtement, oui. Mais c’était oublier un peu facilement ses aptitudes musicales et l’esprit acéré qui va indubitablement avec. Et donc, tout naturellement, au lieu de simplement se contenter de ma réponse qui n’en est clairement pas une, elle enchaine, m’enchaine, creusant toujours plus profondément dans l’espoir que je craque. Pourquoi voudrais-je qu’elle m’appelle différemment ? La véritable réponse ? Elle n’a aucune envie de la connaître. « Pour le plaisir. » je me contente alors de lui répondre, sans mensonge, mais sans, pour autant, en expliquer pleinement la raison. « Le plaisir du jeu. » Et maintenant, ça suffit, plus de question. C’est ce que mon regard lui intime, la supplie. De toutes manières, elle semble ailleurs, réfléchissant à tout autre chose, tandis que dans son dos, j’observe Janka s’approcher avec monsieur tattoo. La connaissant un peu -tellement peu- j’imagine qu’elle ne manquera pas une occasion de se manifester, parfaite dans son rôle d’ombre, la discrétion en moins. J’en informe ma partenaire de danse. Elle me demande si je l’avais perdu, et je lui réponds que « Je l’avais semé. » avant de la faire tourner pour lui permettre de voir de qui je parle. Est-elle dangereuse ? « Pas le moins du monde. » Juste un peu fatigante pour ma patience. Si seulement je savais ce qu’elle me veut. La recoudre, mon ombre ? J’avise son sourire, et laisse aller le mien. « Je suis l’absolu contraire de Peter Pan, je n’ai jamais été un enfant. » Alors mon ombre ferait bien de se faire à son autonomie, parce que je ne compte pas réclamer sa dépendance, bien au contraire. Ça fait bien longtemps que je ne compte plus sur personne d’autre que moi-même. Et surtout pas sur une ombre bien décidée à me pourrir l’existence, sans réellement y parvenir.