J'ai pas envie de me prendre la tête avec Elliot. Pas ce soir. Jamais. Je m'adoucis, je détend mes muscles. Je desserre la mâchoire et même, je tente un demi sourire. Qui s'apparente plutôt à un grimace, mais quand même. Ma main n'a pas quitté la sienne et désormais, elle me donne des frissons. Toute mon échine est en mouvement. Je l'attire sur la piste de danse, puis près de moi. On est en désaccord mais j'ai comme l’impression d'avoir besoin besoin d'elle, de sa présence et son corps près de moi pour me calmer. Même si à cet instant, j'ai plutôt envie de rester seul, de tirer une nouvelle fois sur un clope, de me défouler, je me retiens. J'ai les nerfs en pelote, j'ai envie de m'enfuir mais Elliot me retient. Tout me retient en elle. Mes bras s'enroulent autour de ses hanches. Je la rapproche de moi mais ses mains laissent un espace entre nos corps. J'ai l'impression qu'elle m’échappe, qu'elle ne veut pas s'abandonner totalement à cette soirée, à nous. Je respecte. Nos corps se balancent sur les notes douces de l'accordéon. « T'as l'air.. tendue. » je murmure près de son visage. Mes mains sont beaucoup moins à l'aise que la soirée dernière. Mon pouls s'accélère. Et ma respiration est saccadée. Pourquoi est-ce qu'elle me fait cet effet là ? Je reste impassible, néanmoins. Mon visage ne me trahit pas. Et elle n'est pas assez près pour sentir mon coeur.

Il suffit de parler cornichons pour que j’évoque de vieux souvenirs inintéressant au possible à un bel inconnu. Je crois bien que je suis barrée comme nana. Parler de la vieille tante camée de son patron, c’est original au moins et ça change des conversations stéréotypées du genre « Salut ! Ca va ? Tu fais quoi dans la vie ? ». Rien de plus banal et la banalité ne fait pas parti de mon quotidien. Oh ça non. Chaque jour est une nouvelle aventure pour moi. Aujourd’hui d’ailleurs, j’ai décidé de devenir Yvonne. Bref, au final, je vois bien que ma petite anecdote ne ravi pas l’Egyptien. Au contraire, il semble s’en foutre royalement. Je peux le comprendre. A sa place, je crois bien que j’aurai réagi pareillement. Mais ça n’est pas la première fois que ça m’arrive, j’ai plutôt l’habitude de ce genre de réaction. Je suis un peu trop bavarde et j’ai tendance à dire des choses inutiles, c’est comme ça. On ne me refera pas je crois. Sur ce, c’est à mon tour de me présenter au garçon. Mais j’ai tout bonnement envie de continuer à me faire passer pour quelqu’un d’autre. Une personne à la personnalité plus loufoque que moi, ça va être dur à trouver. Mais au final, pari réussi. Je m’appelle Yvonne, je suis éleveuse d’autruche, naturiste, je joue du triangle, j’aime les vieux et les vieilles. Non, sérieux, si là le mec gobe ça, j’avale un rat vivant. En plus, je suis intérieurement morte de rire. D’ailleurs, un sourire amusé trône sur ma frimousse. Je crois que Malik l’a grillé puisqu’il me demande si je me fiche de lui. « Mais pas du tout ! » que je réponds d’un air innocent et outré. Ouai, bon, je suis cramée mais en même temps ce fut drôle d’inventer Yvonne. « Bon, je suis grillée. Je m’appelle Sia. Et véritablement, j’ai vingt-deux ans, je vis en Corse, je suis célibataire et je tiens un petit stand de friandises et glaces sur la plage. » Comment résumer ma vie en une phrase ?! BIM ! J’aime pas du tout faire court mais là je me dois de le faire pour le jeune homme qui semble un peu remonté par ma petite blague. « Désolé pour la blague. Tu m’en veux pas ? » J’avale une petite tomate tout en faisant les yeux doux au métisse et en affichant une petite moue pour le faire fondre.

Danser, ça n’a rien de compliqué. C’est juste un art désuet qui s’est perdu de génération en génération. Maintenant, on baise avant de danser, mais en d’autres temps, la danse, quelle qu’elle soit, était le moyen le plus direct de toucher l’autre, d’apprivoiser le corps de l’autre, de tout simplement approcher l’autre, le séduire et connaître une forme d’intimité avant l’heure. C’était beau, c’était charmant et hésitant, et parfois je me demande si ce n’est pas dans cette époque révolue que j’aurais du naître, grandir, vivre et mourir. Parce que l’époque actuelle ne me convient pas, à bien des égards. Danser n’est pas réellement un art, c’est un mode de communication, et au milieu de tous les autres, cernés de toutes parts, nous ne sommes, étrangement, que deux. Elle et moi. Elle dont je ne connais pas le prénom, au milieu de ce décor flou dont je ne perçois que des trainées colorées à chaque mouvement. Alors je la fais tourner, puis la récupère, la rapproche, et lui demande son prénom à l’oreille. Mads. Elle s’éloigne à nouveau, tourne, et reviens juste à temps pour me renvoyer ma question. « Quel prénom souhaiterais-tu me voir porter ? » je m’entends lui répondre armé de mon sourire le plus charmant. Je l’éloigne en fronçant les sourcils, brusquement conscient d’avoir usé de mes réflexes trop naturellement, et m’être comporté avec elle comme je l’ai fais avec tant d’autres, dans le but de leur plaire. Ce n’est pas, et ça ne doit surtout pas être le cas, ici, aussi je m’en excuse dès qu’elle revient vers moi, verrouillant sa taille pour ne pas qu’elle s’en aille. « Désolé, de vieux réflexes que je ne maîtrise pas toujours. Otello, c’est mon nom. » Je ne la laisse pas partir, l’avantage de conduire et de décider des pas suivants. « Mads, c’est un diminutif ? » Oui, je tente clairement de faire oublier cet aspect prédateur dont j’ai usé plus tôt, par mégarde, par oubli, par réflexe. Un aspect que je ne dois pas laisser entrevoir ici, surtout pas avec elle. Elle vaut mieux que ça. Elle n’a absolument rien d’une proie.

Il paraissait évident qu’un jour ou l’autre Malik apprendrait la vérité à mon sujet. Comme on dit, les meilleures blagues sont les plus courtes. Donc autant lui faire comprendre dès maintenant qu’Yvonne n’existe pas. Je ne pense pas qu’il sera déçu au final. Car une éleveuse d’autruche naturiste qui aime les hommes mûrs, c’est pas très attirant. Enfin voilà. Je me dois de me dévoiler à lui et de lui en dire un minimum sur ma véritable personne. « Enchantée. » Je le regarde avec une petite moue désolé en espérant qu’il ne m’en veuille pas pour la plaisanterie. Mais vu son articulation exagérée et son regard persistant, cela semble être le cas. Vas-y donc pour des excuses. A mon grand étonnement, le jeune Malik m’affirme qu’il ne m’en tiendra pas rigueur et qu’il en a vu d’autres. Autrement dit, ce n’est pas la première fois que l’on lui fait ce genre de blague. Etonnement, cela ne me surprend pas. Il a plutôt la tête du mec gentil et naïf. Ce n’est toutefois pas un reproche, non, au contraire. « Tu m’en vois rassurée ! » Heureusement qu’il ne m’en veut pas quand même. D’ailleurs, j’espère qu’il a apprécié nos conversations en dépit de cela durant la soirée. Moi, c’est le cas. Je ne me suis pas ennuyée et je me suis même plutôt amusée. « Merci. Tu es très sympathique et j’admire ton courage face à l’adversité. » A mon tour de faire des compliments un peu. D’ailleurs, je n’hésite pas à exagérer un peu ressassant l’histoire du vers dans la salade.

La soirée est vraiment nulle, je suis pas déçut, je m'attendais même à pire alors je serais presque de super bonne humeur à remuer mon derrière sur le rythme de l’accordéon. J'ai dis presque bien entendu. Vu que j'arrive particulièrement à l'heure et bien je cherche qui je pourrais emmerder et je trouve Lulu tout seul. A peine je l'ai rejoins que je sens le regard de quelqu'un sur nous. Je pivote la tête je connais même pas son prénom, mon son espèce de fasciation est de courte durée. « Si mes vêtements te gênent tant que ça, tu n'as qu'à me les enlever. » Qu'il le répond, narquois. Je souris à mon tour. Bien entendu je le prend au pied de la lettre sauf que je suis pas certaines qu'il me dérangent. Oh si ça me gêne parce que je peux pas mater ses tatouages. Alors je m'approche en silence, encre mon regard dans le sien et me saisis délicatement du col de son manteau de trappeur.  « On doit avoir l'air de deux extraterrestres, blasés, à côté de ces deux singes. » Il me dit en parlant de la blonde et de l'autre gars. « Et c'est très bien comme ça. » Je lui répond mutine avant d’ôter les boutons de son manteau et de retirer le tout. Il se laisse faire, je ne voyais pas les choses autrement. Il parle de souvenirs, je n'écoute pas vraiment, je suis concentrer sur ma tâche. Je me saisis de son chapeau que je pose sur ma propre tête dans un rire enfantin et je m'occupe de cette écharpe, cette grosse échapper bien trop encombrante. Je mets un petit moment avant de réussir à l'enlever mêlant rire et exaspération de ma part et peu être même de la sienne. Mais voilà la tâche est accompli. « Je crois qu'il faut que je me repose maintenant. » Je lui dis sur le ton de la rigolade. Je fais un petit tour sur moi-même au rythme de la musique posant une main sur ce chapeau pour qu'il ne se fasse pas la malle. Je retourne vivement et plante mon regard dans le sien, un air malicieux il doit s’attendre au pire. Je m'approche de nouveau de lui et me saisis de ses deux mains, on va danser jeune homme. « Tu n'as pas le choix. » Je lui dis comme pour répondre à ses pensées.

J'essaie de resserrer mon corps contre le sien mais elle m'échappe. Je crois que tout m'échappe, finalement. Elle, la situation, tout. J'ai été faible. J'ai pensé que peut-être il pouvait y avoir quelque chose entre nous. D'un peu plus fort qu'une simple attirance. Que nous nous comprenions, que nous avions beaucoup de points commun. Que nous tout réunissait. Je m'étais bien trompé. Elliot ne concevait visiblement pas la chose de la même manière. Mes gestes se font un peu plus distants, un peu plus résistants. En fait, je ne sais pas comment me comporter, quoi faire, quoi dire. - Je n'en ai marre de lutter Ses mains cèdent et sa tête se pose sur mon torse. J'ai honte de mon coeur qui bat la chamade. Je n'ai pas envie qu'elle comprenne l'effet qu'elle me fait. Doucement, j'enroule un peu plus mes bras autour de sa taille. Je l'enlace et je niche mon visage dans ses cheveux. Elle sent bons les fruits, elle sent le sud. J'ai le sentiment d'être heureux et, en même temps, je suis perdu. Perdu dans cette cambrousse qu'elle me fait traverser pour arriver jusqu'à elle. Les femmes, d'habitude, je n'ai pas de mal à les comprendre. Elliot est différente, en tous points. Je ne détecte rien dans son regard, je n’analyse rien dans ses gestes. Je crois qu'elle se rapproche et puis, elle fait trois pas en arrière. J'embrasse d'un baiser doux sa chevelure et puis, je m'écarte, pour contempler son visage. « Alors laisse-toi aller. » Ma réponse est un peu tardive, je sais. Mais j'ai envie qu'elle se laisse aller, juste maintenant, juste ici. On reprendra les hostilités plus tard, si elle y tient. Mais là, j'ai juste envie qu'on ne fasse qu'un, me droguer à son odeur et me nourrir de ses sourires. Juste un peu.