Déconcertée, la demoiselle saisit la coupe de champagne. A vrai dire, son interlocuteur ne lui avait pas vraiment laissé le choix. Initiative qu’elle approuva. Elle l’écouta poliment même si le ton qu’il employait ne lui plaisait pas forcément. Toutefois, elle ne lui reprocha rien pour l’instant car dans le fond, il n’avait pas tout à fait tort. Elle ne pouvait commencer le jeu en ressassant ses démons du passé devant l’ensemble des habitants. « Merci. » Répondit-elle avec une sincérité déconcertante. « Pas seulement pour le champagne. » Le regard plus sévère, elle reprit : « Mais sur un autre ton quand tu t’adresses à moi je te prie. T’es juste un gamin. » Elle lui vida son verre de champagne au visage avant de tourner fièrement les talons. Personne ici ne lui manquerait de respect. Autant mettre les points sur les i dès le début.

Je louche sur la photo de moi épinglée au-dessus des fringues qui m'attendent en backstage. Roux?! Mes yeux sondent les habilleurs jusqu'à trouver la patronne: la plus vieille et la moins stressée. C'est toujours la patronne. Je m'avance à pas de loups. « Je suis plus roux depuis l'antéchrist, hé. » Je pointe de l'index mes cheveux bruns. « Tu vois du roux quelque part? C'était ma période bleue, j'étais jeune, je... pourquoi tu me fais ça? » Elle sourit et feint d'ignorer mon désespoir. Pas grave. Je la laisse enfouir ses mains pleines d'un gel gras et luisant dans mes cheveux, masser un peu, jusqu'à ce qu'elle avance devant mon visage un pinceau trempé dans du fond de teint. Je souris, serein. Je la laisse me faire tout ce qu'elle veut, un vrai poupon. Au milieu des autres candidats qui gueulent, elle a l'impression d'être tombée sur un ange. C'est peut-être vrai. Elle me tend pour la fin un jean noir taille basse – ça lui plait que toute l'Irlande mate mon calbart? – et un débardeur. Ah, ouais. « C'est pour mettre en valeur mes tatouages? » Elle acquiesce, je souris encore. « Trop mignonne. » Putain je suis vraiment tombé sur la plus conne de la production. Une voix gueule: « Gaspard, attendu au village, 2 minutes! » Et déjà, on me pousse, me donne une tape dans le dos, me prend par l'épaule, me tire, me traine. Merde, je suis devenu un objet et je m'en suis pas rendu compte. D'un geste rapide, je fais demi tour et me précipite dans la salle de maquillage, allume le robinet d'eau et passe la tête entière dessous. Adieu gel, fond de teint et même crayon noir qu'elle m'avait foutu sur la tronche. Je m'essuie et me sèche rapidement en empoignant le sèche-cheveux, sous le regard désespéré de miss make-up. « On me l'avait encore jamais faite celle-là... » Elle soupire, je lui dépose un baiser sur la joue, et prends les devants.

Paraît que ma partenaire s'appelle Janka. Je la cherche du regard mais je suis happé par la foule, et au lieu de me mettre activement à sa recherche, je suis debout comme un con à tous les dévorer du regard. Les filles sont sexy, mais pas très jolies, les garçons transpirent les hormones en mal de reconnaissance – j'espère qu'on aura une grosse réserve de capotes parce que ça risque de tirer de partout tant ça pue l'animalité dans cette ferme des animaux. Au moment où je me fais cette réflexion, une main se glisse dans la mienne et je me retourne. Une brunette en soutif est en train de se coller à moi, j'hallucine pas. Brunette qui n'est autre que ma partenaire, sur laquelle je cligne des yeux. « Pourquoi ma partenaire est en soutif? » Je crois que je me parle plus à moi-même, en fait, puisqu'elle se présente ensuite comme si de rien n'était. Je n'écoute qu'à moitié son prénom, je suis resté bloqué sur celui qu'on m'a donné quand je suis entré dans le village. « Janka c'est... suisse? Polonais? » Je demande en hissant sa main dans la mienne pour la regarder de plus près. Fine, blanche aux veines transparentes, et ongles propres. Pas d'alliance. Pourquoi ma partenaire mesure un mètre soixante dix? Je baisse le regard jusqu'à ses pieds. D'accord. Pourquoi ma partenaire est-elle déguisée en drag queen? « Appelle-moi Gaspard, et si je dors aussi tout nu tu dors toujours toute nue? » Espérons qu'ils coupent cet instant au montage.

Ma tête sur tout les écrans, j'étais officiellement candidat dans cette émission. Bouche entrouverte, je bloquais ce fameuse écran : waaaaaaouuuuuuh, j'savais pas trop comment j'avais réussi à être prise; pour tout dire, j'me souviens même plus de mon casting. Un gros trou noir parmi tant d'autres, sérieux. Pourtant j'étais bien là et on m'attendais maintenant. Après avoir fait cent mille pas dans cette touuuuute petite loge, j'pouvais enfin me dévoiler à la teeeeeeerre entière, mais genre, j'avais pas envie de me sapper comme tout le monde. Robe à ras de la foufoune et talons hauts, sous prétexte que j'passais à la télé et que j'allais devenir une star. Une toute petite starlette, huhu. J'suis bien dans mon jean alors je le garde sur mon cul, tout comme mes balleries toutes jolies, mon débardeur et mon gilet super « Grwaaaah ». J'ai pas envie que cette nana avec son pantalon vert vienne me dire ce que je dois porter où non. Ouai, l'habilleuse, un truc du genre. Et puis j'ai pas besoin d'une coiffeuse non plus, zut-crotte-flûte-saperlipopette. Avec son lisseur de *biiiiiiiiiiiiiip*, qu'elle me fiche la paix, non mais. Personne ne touche à mes bouclettes d'amour, personne, vous avez compris, peeeeeeeeersoooooonne. Bon, maintenant que ça s'était assimilé dans ma petite caboche, on me faisait avancer dans un long couloir, un très long cou-Ils auraient pu nous donner une petite voiturette, ouai comme celle qu'on voit à la télé, quand ils sont sur les truc de golfs. Les bougres. Une voiturette quoi. Alors après avoir marché au moins pendant une bonne heure – nan sérieux, j'éxagère pas, j'étais super essouflée – j'crois j'allais entrer dans le nid. Bah non, c'était pas encore tout de suite. Non là, tout de suite, j'voyais absolument rien du tout, genre, les yeux bandés quoi. Arrivée à un endroit où y'avais quoi. Y'avais quoi. Y'avais quoiiii. Oui une voiturette, avec laquelle je me faisais amener au lieu de la petite sauterie avec ma moitié, oh ouiii mon homme à moi, qui ressemblait étrangement à une nana. « Saluuuuuuuuuut, moi c'est Asmaaaaaaa », lui disais-je lentement, au cas où elle ne viendrait pas de la même planète. Je sautillais, que dis-je, trépignais d'impatience à l'idée de rencontrer les autres. Ouiiiiiiiiii j'avais grave hâte de contoyer mes petits camarades et de leur sauter dessus. Et de leur faire pleins de bisous. Et pleins de câlinous aussi. En tout cas, j'avais déjà embrassé généreusement le monsieur, poussant de léger cris d'exsitation. Moi ? Heureuse de rentrer ? Bah alors là... Avançant vers les lieux, j'appercevais au loin plein de monde. Youpiiiiii. Je lâchais un cris, leur faisant un signe de la main, comme s'ils me connaissaient depuis toujours que nous fétions nos toutes fraiches retrouvi/retrouvailles. J'attrapais la main de mon chéri, l'entraînant avec moi. « Saluuuuuuuuut » lançais-je au petit groupe, m'accorchant au cou de la personne à côté de moi (TRIS). « Saluuuuuuuuuut ! Moi c'est Asmaaaaa » Déclarais-je à une autre personne (MALIK), me pendant aussi à son cou. Pas le temps d'entendre quoi que ce soit de leur part, j'allais vers quelqu'un d'autres. Un mec. Ouai j'en étais sur. (LULU). Je lui tapais la bise sans gêne. « Saluuuuuuut » Mais j'allais bien vite vers quelqu'un d'autre. Je la connais elle, je l'ai déjà vu quelque part (BRANCA)... « Salut ! Moi c'est Asmaa »

« Merci. Pas seulement pour le champagne. Mais sur un autre ton quand tu t’adresses à moi je te prie. T’es juste un gamin. » action au ralenti. Aucune émotion ne se lit sur mon visage, sur lequel une vague d'alcool vient s'écraser. Non, pas une réaction, mes systèmes étaient maintenant rouillés, comme ceux d'un robot. Pas de quoi m'inquiéter cependant. Elle part. J'en aurais fait tout autant. Je suis mouillé, mais j'm'en fous. Au fond, je savais qu'elle m'aimait comme ça. Utilité : 52%. On s'améliore, bien que ses faiblesses soient encore bien trop visibles. Rien à foutre. Je passe mes mains sur mon visage, les secoues deux, trois fois avant qu'une candidate ne vienne me taper la biser. Je ne me baisse pas, non, d'ailleurs j'arrive même à me demander comment elle peut bien faire pour atteindre mes joues. Soit. Je suis de toute façon trop lent à la détente pour stopper cette furie en action. Je n'aime pas les contacts humains, je trouve cela dégradant. Non, en fait je m'en fous. Mais ça, vous deviez vous en douter. Fourrant mes mains dans mes poches, je fais un tour sur moi même, balayant la salle du regard. Mais où suis-je tombé ? Que quelqu'un vienne me sauver. Ou non, laissez moi seul, j'crois que c'est la meilleure chose à faire aux vues des énergumènes qui m'entourent. Bien que j'arrive tout de même à en repérer un, deux, trois. Non, deux, n'exagérons rien. Et le temps passe aux grès des gouttes qui s'écoulent sur mon visage, les dernières survivantes, que je m'empresse de chasser sans mot prononcé.

La nouvelle jeune femme que j'ai abordé à coup de vodka semble moins réfractaire à ma compagnie. La boisson doit y être pour beaucoup je le conçois, cela dit, c'est plus agréable. Je souris franchement face à son enthousiasme débordant. Je connais ce genre d'enthousiasme et finalement ce n'est pas une si bonne chose, mais je m'abstiens de tout commentaire. Eviter de me mettre d'autre gens à dos ce soir est mon nouvel objectif. Je l'observe avec attention, alors que je sirote mon soda, légèrement fade en comparaison. Est-ce que je l'ai empoisonné ? Qui sait. Je l'observe du coin de l'oeil. « Un mec t'aborde et te propose naturellement un verre alors que tu ne le connais ni d'Eve, ni d'Adam, ça ne te parait pas suspect à toi ? » Je demande, l'air grave. Je fronce un oeil, légèrement dubitatif. « Si dans quelque temps tu te rends compte que t'as plus ta culotte, la réponse est oui... » Je vous jure que je suis un mec particulièrement sain, je n'ai aucun problème psychologique, je teste, c'est tout. Je jette un oeil à ma partenaire qui vient de vider le contenu de son verre sur la tête d'un mec tatoué. Hystérique, je vous disais. Au loin, j'aperçois une silhouette féminine, avec un mec à peine sorti de l'adolescence, ça va lui plaire, c'est certain. Nos regards se croisent une seconde, je lui souris et reporte mon attention sur la jeune femme à la vodka. « T'es toujours habillé on dirait... » Je lance, l'air de rien.